Au Vietnam, bloguer peut nuire gravement à votre liberté

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Au Vietnam, il ne fait pas bon traiter de la situation des droits de l’homme ou parler librement de politique, sauf à aspirer devenir un “ennemi du régime”. Proposer une vision alternative à celle prônée par le Parti communiste, c’est s’ériger contre l’État. Et prendre un risque sérieux de se voir privé de la liberté que l’on entendait justement défendre.

Dans ses Réflexions sur l’expression “être contre l’Etat”, le blogueur Paulus Lê Van Son analyse à l’utilisation de la notion de “propagande contre l’État”, utilisée systématiquement par les autorités contre les voix critiques. Il publie ce texte très courageux le 10 mars 2011 sur son blog. Paulus Lê Van Son dénonce l’utilisation de l’article 88 du code pénal contre des Vietnamiens réclamant des réformes. Les familles de ces derniers ont parfois voué leurs vies au Parti communiste. Le blogueur estime qu’au lieu de rejeter ces critiques, le régime devrait les prendre en compte : “Réflexion faite, les personnes que les autorités accusent de s’opposer au régime sont justement celles qui s’efforcent d’apporter leur précieuse contribution pour réparer la maison et construire un État plus solide.”

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Le blogueur Paulus Le Son.

Ce texte fait partie des écrits qui ont valu à Paulus Lê Van Son son arrestation et plus d’un an de prison sans jugement. Il fait l’objet du même type d’accusations que celles qu’il dénonce dans ce texte, même si son cas ne tombe pas sous le coup de l’article 88. Comme le montre l’acte de détention provisoire, seul document juridique dont nous disposons puisque son avocat n’a pas accès à son dossier, Paulus a été inculpé pour son “adhésion à l’organisation réactionnaire Viet Tan ‘Parti pour la Réforme du Vietnam’ visant à renverser le gouvernement populaire”, en vertu de l’article 79 du code pénal. Comme lui, 18 net-citoyens sont actuellement emprisonnés pour avoir informé leurs concitoyens, d’après Reporters sans frontières. Aucune date de procès n’a pour le moment été fixée alors que le blogueur languit en prison. Représentatif des prises de position de nombreux blogueurs locaux de sensibilité pacifiste, l’article est bloqué par certains fournisseurs d’accès à Internet au Vietnam.

Un jeune blogueur catholique devenu bouc emissaire

Âgé de 27 ans, le blogueur Paulus Lê Van Son couvre l’actualité sociale et politique de son pays, et notamment les questions religieuses et les droits de l’homme. Il est également collaborateur du blog collectif Baokhongle et du journal Vietnam Redemptorist News. Ses récits des manifestations anti-chinoises et des violences policières ne sont pas étrangères à son arrestation le 3 août 2011, à Hanoï, dans le cadre d’un véritable “kidnapping policier”.

La veille, le blogueur s’était rendu au procès d’un autre net-citoyen Cu Huy Ha Vu, procès dont il avait couvert la première instance, en avril dernier, date à laquelle il s’était déjà fait violemment arrêté. Il évoque dans le texte ci-dessous/joint sa visite à la famille de ce juriste et les représailles prises à l’encontre de ses proches.

Récemment, les conditions de détention de Paulus Lê Van Son se sont dégradées. Détenu jusqu’à début juillet 2012 à la prison B14 de Hanoï, il a ensuite été transféré à la prison Hoa Lo, dans le centre de Hanoi. Hoa Lo est une prison très vétuste et qui offre des conditions de détentions beaucoup plus difficiles qu’à la prison B14. La mère de Paulus Lê Son est décédée le 21 avril 2012 sans que celui-ci ait été autorisé à sortir pour assister à ses funérailles.

Trainé dans la boue

Paulus Lê Van Son fait parallèlement l’objet d’une véritable campagne de diffamation dans la presse officielle, qui l’accuse de fomenter, en compagnie d’autres jeunes catholiques, un complot contre le régime. Un article du journal « Công An » (organe de la sécurité publique) de Ho Chi Minh-Ville, paru le 13/10/2012, prétend décrire le complot dans lequel seraient impliqués des jeunes catholiques originaires des provinces de Nghê An et de Thanh Hoa, arrêtés depuis la fin du mois de juillet 2011 ». Il s’agit là, selon le journal, d’un projet de grande envergure fomenté de l’extérieur. L’article apporte de nombreux détails fantaisistes concernant les divers membres du groupe.

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Paulus Le Son interpellé en par la Sécurité Publique en 2009.

Un passage concerne en particulier le blogueur Paulus Lê Van Son. En voici la traduction :

Lê Van Son, originaire de Thanh Hoa est en relation étroite avec un groupe d’opposants à l’État comme Lê Quôc Quân et un certain nombre de religieux extrêmistes. Ainsi, Son collecte en permanence des informations au sujet des diverses plaintes, du combat des forces de la sécurité contre les opposants, de divers problèmes provoquant le mécontentement et considérés comme sensibles. Cette collecte était au service des activités de propagande dirigées contre l’État vietnamien. Devenu membre du groupe des « entrepreneurs et intellectuels républicains » dont Lê Quôc Quân est le responsable, Son a participé à des sessions de formation à la communication catholique. Du 12 au 13 juillet 2011, il est allé en Thaïlande pour participer à une session de formation intitulée « Quang Trung ». Lors de son arrestation, il s’est montré rebelle, donnant des réponses biaisées, niant ses crimes ».

Dans un article paru sur le site Thanh Niên Công Giao, le journaliste-blogueur Jean-Baptiste Nguyên Huu Vinh reproduit le passage traduit ci-dessus et y ajoute des commentaires. Il observe que l’association à laquelle appartenait Lê Van Son n’était pas celle des “entrepreneurs et intellectuels républicains” mais l’association des “entrepreneurs et intellectuels catholiques”, une association qui avait été lancée par le cardinal Tung, archevêque de Hanoï, pour la promotion sociale des catholiques et qui a repris ses activités il y a un ou deux ans.


Réflexions sur l’expression être contre l’état

Selon le dictionnaire vietnamien, le mot “contre” signifie quelque chose de solide qui s’appuie contre un autre objet pour l’aider à tenir debout, comme les murs qui supportent le toit d’une maison. Mais le mot “contre” a aussi une autre signification qui est celle de s’opposer, de s’ériger contre quelqu’un, une entité, une organisation, ou bien encore des faits de sociétés, comme de se dresser contre l’oppression, l’injustice, la perte de l’intégrité territoriale.

Les journaux du parti publient régulièrement des informations sur les forces de sécurité publiques, qui arrêtent tel ou tel militant pro-démocratie en l’accusant d’”être contre l’État” et de chercher à renverser ce qu’ils appellent “le gouvernement populaire”. Mais ces journaux ne précisent pas à qui ces militants s’opposent, ni comment ils s’opposent, et en quoi cette opposition porte préjudice au peuple, à la nation vietnamienne. Pourquoi est-ce qu’il y a autant de personnes, issues de tant de milieux différents, qui sont classées dans cette catégorie par le gouvernement ? Il y a les professeurs, les enseignants, les anciens combattants, les étudiants, les lycéens. Il y a les avocats, les artistes, les médecins et les agriculteurs. Ils sont considérés comme des gens qui s’opposent … à l’état. Il y a tant de catégories différentes de la population qui s’opposent alors essayons de voir du côté de l’État quelles sont les raisons de cette opposition.

Le peuple s’efforce de s’opposer pour réformer et améliorer le régime. Ou bien le peuple s’érige contre les injustices, l’oppression … créées par ce régime afin de préserver l’intégrité territoriale, la nation et construire une société meilleure.

Peut-être que le régime devrait remercier les gens qui s’opposent à lui nuit et jour plutôt que de les opprimer. Prenez une vieille maison délabrée, recouverte de végétations et aux murs troués. Les colonnes en bois sont attaquées de l’intérieur et ne supportent plus vraiment la toiture. La maison peut s’effondrer à tout moment. On ne peut pas sauver cette maison en changeant une seule pièce déficiente. Si la famille qui réside dans cette maison veut la sauver, tous les membres de cette famille doivent se mobiliser, et faire intervenir plusieurs corps de métier comme les architectes, les ingénieurs, les maçons. Et parfois, il est préférable de raser cette maison afin d’en construire une autre plus sûre, plus jolie, plus confortable.

L’autre jour, le 8 mars, avec le blogueur Nguoi Buon Gio (marchand de vent) ainsi que quelques amis hommes d’affaires, intellectuels, et écrivains de Hanoi, nous avons rendu visite à la famille du juriste Cu Huy Ha Vu. Nous étions venus souhaiter une bonne fête à Madame Duong Ha, son épouse, à l’occasion de la journée de la femme. Nous avons également demandé des nouvelles de son époux en prison pour s’être… dressé contre le régime.

Notre première interrogation concerne la détention de Vu. Nous avons beaucoup discuté du défunt père de Vu, Monsieur Cu Huy Can, un grand écrivain et poète, mais aussi l’un des pères du régime actuel qui a donné toute sa vie à la Révolution. Pourtant, lors des cérémonies du Nouvel An de l’association des poètes, il n’y a aucune photo de M. Can. Sur ce point, nous avons remarqué que Mme Ha n’a pu retenir ses larmes. Elle se demandait si c’est à cause des actions de son mari que son beau père n’a plus la place qu’il mérite dans la mémoire collective. Dans notre société d’aujourd’hui, il ne manque pas de personnes ingrates. Certes, M. Huy Can n’est pas mentionné durant ces un ou deux jours de festivités mais, dans le cœur de nombreuses personnes, il est toujours présent à travers ses poèmes émouvants et remplis des idéaux de son époque.

Nous avons évoqué l’article 88 du Code pénal accusant Vu et tant d’autres de propagande contre l’État socialiste. C’est vraiment ridicule d’accuser Vu de propagande. Mme Ha considère cette accusation comme sans fondement. Elle espère qu’avec le procès de Vu, les gens verront mieux ce qu’est la « propagande contre l’État ». Premièrement, Vu est le fils unique d’un des fondateurs du régime. Il n’y a pas de raison que les mérites du père ne soient plus reconnus à cause des agissements du fils. Deuxièmement, Vu ne s’oppose à personne en particulier, ni à un régime et encore moins à l’État socialiste ou au peuple. Il n’a fait qu’exercer ses droits fondamentaux inscrits dans la Constitution et dans les lois de l’État, sans parler des droits inscrits dans les conventions internationales. En tant qu’intellectuel, si Vu constate quelque chose de contraire à l’intérêt général, alors il prend la parole, apporte sa contribution à la construction d’un pays prospère et puissant, indépendant et démocratique.

En toute objectivité, les prises de position des militants pour la démocratie sont comme des points d’appui pour la maison que forme le Vietnam. Ils voient les fissures, les trous, les fondations qui s’effritent, les tuiles qui s’envolent. Chaque citoyen a le droit et le devoir d’être un point d’appui pour que cette maison ne s’effondre pas, ou alors il doit chercher à construire une nouvelle maison plus solide. Ceux qui critiquent ouvertement sont les colonnes qui supportent la maison. La pression qui pèse sur elles est immense. Qui au Vietnam ne voudrait pas vivre dans une maison solide ? Qui ne voudrait pas vivre dans une nation prospère, puissante, belle et solide. Tout cela est évident, et pourtant, pourquoi ces architectes talentueux sont-ils opprimés ? Si des personnes comme Vu, qui s’efforcent de bâtir les fondations d’une maison solide dans le temps, sont emprisonnées, alors allez donc imaginer les perspectives que peut avoir cette maison ? S’effondrer, s’effondrer totalement, s’effondrer jusqu’aux fondations. La maison va disparaître et le terrain avec.

Réflexion faite, les personnes que les autorités accusent de « s’ériger contre le régime » sont justement celles qui s’efforcent d’apporter leur précieuse contribution pour réparer la maison, construire un état plus solide. Les autorités devraient remercier ces personnes, car elles pointent du doigt les fissures, les trous, les malformations profondes d’un régime politique qui est sur le point de s’effondrer. Pour avoir vu cette perspective, et parce qu’elles veulent éviter un effondrement total du régime, les personnes comme Vu se sont transformées en colonnes pour supporter la maison. Mon dieu ! Ceux qui aident leurs prochains sont si mal récompensés. Si un régime agit correctement, apporte des bienfaits à son peuple, à sa nation, alors pourquoi est-ce que les gens de cette nation iraient se dresser contre ce régime ?

Hanoi, 10 mars 2011

Paulus Le Son


Source : We Fight Censorship

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