Au Vietnam, la politique pèse sur les décisions d’investissement

Reuters

Par John Ruwitch – 26.02.2009

Les 3 milliards de dollars qu’aura coûtés la construction de la raffinerie de pétrole de Dung Quat, le plus grand projet d’investissement à ce jour au Vietnam, ont beaucoup apporté à la jeune maman Tran Thi Yen.

Ils ont apporté de nouvelles routes pour le littoral sableux où Yen, 25 ans, vit dans une région isolée du centre du Vietnam. Ils ont également attiré une armée de travailleurs venus de loin, dont celui avec qui s’est mariée Yen, une petite femme avec un sourire chaleureux.

La raffinerie est officiellement ouverte depuis la semaine dernière. L’effervescence accompagnant sa construction a offert à Yen une opportunité d’affaire sur un plateau d’argent. L’année dernière, elle a construit près de la route un salon de karaoké qui est déjà bénéficiaire. « Avant, on ne trouvait ici que du sable », dit-elle en tenant son bébé potelé de sept mois.

Le gouvernement vietnamien peut considérer que les exemples comme celui de Yen prouvent que sa décision de construire la raffinerie ici a été visionnaire, apportant des opportunités économiques à l’une des régions les plus pauvres du Vietnam.

Mais les économistes et les analystes politiques ont critiqué le projet de raffinerie comme représentant, peut-être, l’archétype de la façon dont la politique interfère avec la prise de décisions économiques au Vietnam.

La raffinerie, qui a mis 15 ans à se construire, a été boudée par les investisseurs étrangers qui la jugent non viable en raison de sa localisation dans une région isolée, loin des réserves de pétrole. En fin de compte, le monopole d’État PetroVietnam a été contraint de faire cavalier seul.

Cela démontre que l’investissement dans le secteur public n’est pas très sensible aux considérations économiques », a déclaré Jonathan Pincus, doyen de l’institut Fulbright Economics Teaching Program de Ho Chi Minh Ville.

Depuis le lancement des réformes « doi moi » au Vietnam en 1986, le Parti communiste a décidé de se dégager peu à peu du contrôle direct sur l’activité économique. Des milliers d’entreprises d’État ont été transformées en « société cotées en bourse », un euphémisme pour dire privatisées.

Pourtant, les politiciens peut avoir une influence directe sur les projets d’investissement, à des degrés divers selon les secteurs, a déclaré Melanie Beresford, maître de conférences à l’Université Macquarie, en Australie.

« Ils ont une vision stratégique des industries qui sont essentielles pour le développement national. Les industries de l’énergie en font évidemment partie … comme d’autres industries de base. »

DES CANNES À PÊCHE

La rue qui porte aujourd’hui le nom du défunt Premier ministre Vo Van Kiet est une bande d’asphalte poussiéreuse qui s’étend sur 23 km, depuis le cœur de la zone économique de la raffinerie de Dung Quat jusqu’à son port.

Kiet, Premier ministre de 1991 à 1997, est crédité d’avoir pris la décision de construire la raffinerie aux 140 000 barils par jour sur la côte de Quang Ngai, et il est vénéré ici. Les investisseurs étrangers se sont retirés de Quang Ngai car c’était loin des arrivées de pétrole brut et des utilisateurs finaux.

En 1995, la société française Total SA s’est retirée d’un projet de co-entreprise avec PetroVietnam pour la construction de la raffinerie à cause de l’emplacement. Puis, en 2002, la société pétrolière russe d’État Zarubezhneft a reculé en raison de l’éloignement de l’usine et de problèmes techniques.

Pourtant, Le Van Dung, Vice-président de la Zone Économique de Dung Quat qui supervise une bande de terre près de deux fois la taille de Manhattan, zone dans laquelle se trouve la raffinerie et d’autres projets, a qualifié Kiet d’homme de « grande vision stratégique. » Il est de la responsabilité non seulement du Premier ministre, mais aussi du gouvernement de développer la région centrale qui a perdu des millions de vies dans la guerre et qui est actuellement en retard en termes de développement économique », a déclaré Dung. « Au lieu de leur donner du poisson, il faut leur donner des cannes à pêche. »

Dung a déclaré que les recettes fiscales dans la province ont augmenté et que le PIB par habitant est passé d’environ 400 $ en 2006 à 700 $ en 2008.

Certains observateurs restent très sceptiques.

« Lancez un projet à gros capitaux qui a peu de liens avec l’économie locale dans une province pauvre, l’impact local sera minime », a déclaré un expert de l’économie vietnamienne qui a refusé d’être nommé en raison de sa crainte d’exprimer un point de vue contraire à la ligne du Parti.

« Le transport du pétrole est si long que les marges de raffinage sont susceptibles d’être négatives. Le résultat final ? Un prix excessif pour un projet déficitaire et qui ne crée pas d’emplois. »

SATISFACTION ET ROGNE

Malgré quelques gains immédiats réalisés par beaucoup dans la région, tels que le salon de karaoké de Yen, d’autres résidents râlent.

Au total 7 000 ménages auront été déplacés en 2015 pour faire place à la zone économique et aux nouveaux investissements industriels.

Pham Thi Sach, 59 ans, qui habite à côté de la rue Vo Van Kiet, s’inquiète sur les inconnues. « Ici, nous pouvons faire quelques centaines de milliers de dongs chaque jour en allant vendre des fruits de mer au marché du matin, mais si nous déménageons, nous ne saurons pas quoi faire », dit-elle.

L’environnement est un autre sujet de préoccupation, notamment pour certains petits pêcheurs comme Bui Quang Tien.

« Le bruit de la raffinerie fait fuir les poissons, par conséquent mes prises sont plus petites », dit-il. « Dans le passé, je n’avais pas besoin d’acheter de l’essence pour aller à la pêche, il suffisait que je rame un peu, mais maintenant je dois aller plus loin en mer. Cela me coûte plus cher. »

Beaucoup, sinon la plupart, des travailleurs de l’usine viendront de l’extérieur parce que les résidents locaux n’ont pas les compétences, bien que certaines des autres usines qui seront construites dans la zone économique soient susceptibles d’offrir davantage en termes d’emploi local.

Quelques enseignements ont été tirés de la longue et tortueuse expérience de Dung Quat, même si le Parti reste inébranlable dans sa louange.

Les deux prochaines raffineries du pays, qui seront plus grandes, sont prévues dans des endroits beaucoup plus avantageux, à Nghi Son, juste au sud de Hanoi, et à Long Son, à proximité du nœud commercial de Ho Chi Minh-Ville.

En outre, les partenaires étrangers dans le projet Nghi Son, qui est le moins bien placé des deux, seront autorisés à prendre part à la distribution de produits raffinés, ce qui n’avait pas été accordé à Total ni à Zarubezhneft et qui aurait pu rendre le projet de Dung Quat viable.

(Notes supplémentaires par Nguyen Nhat Lam ; adaptation rédactionnelle par Megan Goldin)

http://uk.reuters.com/article/oilRpt/idUKSP36222320090226?sp=true