Blogueurs au Vietnam, les nouveaux rebelles

Chronicle Foreign Service

Geoffrey Cain, Chronicle Foreign Service

Samedi 13 décembre 2008

Avec un Internet sans fil, rapide et gratuit, maintenant disponible dans les cybercafés et les universités dans tout le Vietnam, les blogueurs défient de plus en plus la censure et le pouvoir du Parti Communiste. « Nous ne descendrons pas dans la rue, nous ne crierons pas quoi que ce soit. Nous sommes assis devant un écran, écrivant sur un blog », dit un étudiant universitaire dont le pseudo est M. Cold. » « Voilà comment nous nous rebellons. »

M. Cold fait partie d’une catégorie de militants blogueurs qui écrivent sous des pseudos tels que Blacky et Viêt+Die. Ils sont connus pour leurs opinions anti-gouvernement et ils évoquent des événements qu’ignorent les médias aseptisés. Les sites officiels tels que Vietnam Net et le Nouvelles du Vietnam News parlent généralement des entreprises, de la bureaucratie administrative et des projets de développement soutenus par l’État.

« Ils (les médias d’État) décident de ce que nous allons entendre, de ce que nous allons lire et de ce que nous allons voir », dit M. Cold. « Ils sont les esclaves des communistes. »

Bien que le Parti communiste ait desserré son contrôle sur les forces du marché au cours de ces dernières années, il n’a pas relâché son emprise sur la plupart des journaux, sur la télévision et les stations de radio, qui restent sous le strict contrôle du gouvernement.

En juin, un tribunal a condamné le journaliste Nguyen Viet Chien à deux ans de prison pour avoir parlé d’un grand scandale de corruption concernant le gouvernement en 2006. Quatre autres journalistes ont eu leur carte de presse révoquée pour avoir critiqué l’arrestation de Nguyen, selon l’Associated Press.

Jusqu’en 2007, l’opposition politique a été presque inexistante au Vietnam, sauf en 2003 lorsque le gouvernement a autorisé les manifestations contre l’invasion américaine de l’Irak. Mais les blogueurs et les sites non agréés ont irrité le gouvernement en discutant du sida, de la drogue et du sexe – et, surtout, pour avoir critiqué le gouvernement.

Résultat, Hanoi a ouvert en octobre un nouveau bureau – l’Agence Administrative pour la Radio, la Télévision et l’Information Électronique – pour surveiller Internet. La nouvelle agence a suscité des craintes que les dirigeants communistes créent ainsi une version vietnamienne du « Grand Pare-feu » chinois, une implacable censure en ligne qui bloque les sites Web critiquant le gouvernement chinois. Parmi les 86 millions de Vietnamiens, environ 17,5 millions utilisent Internet, selon les chiffres du gouvernement – une augmentation considérable par rapport aux 200.000 utilisateurs de l’année 2000.

« Cette loi donne aux autorités un outil juridique supplémentaire pour réprimer la liberté de la presse au Vietnam, alors qu’elle est déjà parmi les pires de la région en termes de harcèlement par le gouvernement d’écrivains et de journalistes », a déclaré Shawn Crispin, le représentant pour l’Asie du Sud-Est du Comité de Protection des Journalistes basé à New York. « Les mauvais traitements infligés à Nguyen Van Hai étaient destinés à envoyer un message à tous les blogueurs du pays. »

En septembre, Nguyen Van Hai, qui blogue sous le nom de Dieu Cay, a été condamné à 30 mois de prison pour fraude fiscale. Avant son arrestation, Hai avait appelé à des manifestations contre le relais chinois de la flamme olympique lors de son passage à travers Ho Chi Minh-Ville en avril ; il avait également critiqué la Chine pour sa répression au Tibet. Le Vietnam craint de froisser son puissant voisin. « Ces nouveaux règlements de censure ne sont pas conformes à la liberté d’expression, un droit reconnu par la Constitution vietnamienne et par les conventions internationales signées par le Vietnam » a déclaré Le Minh Phieu, un juriste vietnamien vivant en France.

Toutefois, Do Quay Doan, vice-ministre de l’information et des communications, a approuvé la répression, disant aux reporters locaux que le Vietnam « fait face à beaucoup d’informations erronées » émanant de blogueurs. Le ministère a également dit qu’il y avait environ 1,1 millions de blogs, dont la plupart n’étaient pas réglementés. Dans un avenir proche, déclare Doan, il demandera à Google et à Yahoo d’aider à « réglementer » la blogosphère. Les deux géants de la Silicon Valley ont été vivement critiqués pour avoir aidé le gouvernement chinois à réprimer les dissidents politiques.

Certains blogueurs vietnamien pensent que défier le gouvernement ne fait plus de mal que de bien et ont choisi de réclamer des réformes d’une manière plus douce.

Le blog de l’Apprenant-Électronique 2.0 de Nguyen Anh Hung Hung, par exemple, enseignera aux enfants pauvres comment utiliser les nouvelles technologies prometteuses. « Je veux aider les gens à savoir ce qui se passe au sein de l’industrie technologique au Vietnam », a-t-il déclaré.

Le site du blog Vang Anh réclame la liberté d’expression mais pas la fin du gouvernement. Les militants animant ce blog populaire se réunissent chaque semaine dans des salles de tchat, discutant des sujets d’actualité dans le pays.

Mais de nombreux blogueurs préfèrent défier le gouvernement communiste et son plus grand voisin.

En décembre dernier, des militants blogueurs ont coordonné une importante manifestation devant l’ambassade de Chine à Hanoi après que le porte-parole chinois du ministère des Affaires étrangères, Qin Gang, eut réaffirmé la souveraineté de son pays sur les Trựờng Sa, îles contestées en mer de Chine du Sud, qui sont également revendiquées par le Vietnam et Taiwan. Les manifestants – pour la plupart étudiants – criaient « À bas la Chine ! » et « Vive le Vietnam ! »

En mai, les blogueurs ont piraté Dan Tri, un populaire site web d’actualités, contrôlé par l’État, en écrivant des slogans pro-démocratie et nationalistes tels que « Nous citoyens, exigeons le pluralisme ! » « Les communistes bâillonnent la presse ! ».

Les blogueurs ont également critiqué la rudesse de la police envers les agriculteurs manifestants qui avaient affirmé que le gouvernement avait refusé de leur donner une juste indemnisation pour leurs terres saisies par l’État.

La plupart des bloggeurs gardent un oeil sur leur accès à Yahoo 360, une plate-forme de blogs qui est très populaire auprès des jeunes Vietnamiens.

« Nous sommes satisfaits que le gouvernement n’ait pas censuré Yahoo 360, mais il le fera avec les nouvelles règles », prédit M. Cold. « Notre gouvernement a été lent à réagir aux blogs ».