Des dissidents devant leurs juges

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Dans l’après-midi du 29 mars, de nombreux agents de la Sûreté ont pénétré dans la petite paroisse de Bên Cui [près de la ville de Huê, au centre du pays]. Un certain nombre d’entre eux se sont postés devant les maisons du village, ne laissant personne entrer ou sortir. D’autres sont allés à l’église pour y chercher le père Nguyên Van Ly. Il était environ 14 h 30. Lorsqu’il a été amené, le prêtre portait une soutane noire et était escorté par deux agents de la Sûreté. A un moment donné, le prêtre a crié pour donner l’alerte. On lui a alors fermé la bouche et entouré le corps d’une pièce d’étoffe. Il a été ensuite poussé dans une voiture qui attendait sur le parvis de l’église et a aussitôt démarré en trombe.

Le père Nguyen Van Ly dans sa chambre-cellule à Bên Cui, avant son procès.

Plus tard dans l’après-midi, à 18 heures, le deuxième coaccusé, Nguyên Phong, a également été amené par la Sûreté, les menottes aux mains. Quelques jours auparavant, un certain nombre d’agents de la Sûreté étaient venus le voir pour lui annoncer que, dans la matinée du 30 mars, ils reviendraient chez lui et l’emmèneraient prendre son petit déjeuner avant de se rendre au tribunal. Les trois autres coaccusés, Nguyên Binh Thanh, Mlle Hoang Thi Anh Dao et Mlle Lê Thi Lê Hang, ont été conduits, le 30 mars au matin, de chez eux au tribunal, chacun escorté par quatre policiers. Une voiture les a conduits directement au tribunal provincial de Huê, où ils sont arrivés vers 6 heures. Là, ils ont tous attendu dans la voiture jusqu’à 7 heures. A 6 heures du matin, quelques paroissiens d’An Truyên, l’ancienne paroisse du père Ly, qui étaient venus

Le tribunal de Huê le jour du procès.

de bonne heure et se tenaient dans le jardin public faisant face au tribunal, ont aperçu une voiture qui s’est arrêtée devant la porte du tribunal. Lorsque la porte s’est ouverte, ils ont vu le père Ly résister à deux agents de la Sûreté qui le poussaient de toutes leurs forces. De nombreux fidèles venant de diverses paroisses situées autour de Huê, comme Phu Cam, Me Hang Cuu Giup, Nguyêt Biêu, se sont peu à peu rassemblés devant le tribunal et ont demandé à entrer. La police, après leur avoir demandé leur carte d’accès, les a refoulés. Ils se sont alors repliés dans le jardin public. Ils en ont été chassés peu à peu par la police, qui, auparavant, avait pris soin de les photographier et d’enregistrer leur nom. D’autres fidèles ont été bloqués dans les rues adjacentes. Selon des estimations approximatives, le nombre d’agents de la Sûreté mobilisés à l’intérieur et à l’extérieur de la salle d’audience devait approcher les 500, sans compter ceux qui se trouvaient dans le jardin devant le tribunal, dans des postes de garde à 150 mètres de là, dans les cafés du quartier et aux carrefours des rues. De plus, des forces de police avaient été placées dans les paroisses classées « brûlantes ».

Le procès a débuté à 7 h 30 et s’est achevé à 11 h 30. En dehors des cinq accusés étaient présents le président du tribunal, Bui Quôc Hiêp, les assesseurs populaires et le représentant du parquet ; il y avait également quelques personnes placées là comme témoins, des représentants du corps diplomatique, un petit nombre de journalistes de la presse internationale et des employés des services d’information. Les plus nombreux étaient incontestablement les agents de la Sûreté. Les avocats de la défense étaient totalement absents, ainsi que les membres de la famille des accusés. Il n’y avait pas non plus de représentant de l’archevêché de Huê.

Le père Nguyen Van Ly, ceinturé par deux policiers.

Alors que le président du tribunal se préparait à annoncer l’ouverture du procès, deux agents de la Sûreté en uniforme ont traîné le père Nguyên Van Ly, qui refusait d’avancer, jusqu’à la salle d’audience et l’ont placé sur une chaise de la première rangée. Le prêtre était vêtu d’une chemise violette, d’un pantalon et de sandales. Ses mains étaient menottées. Alors que le président du tribunal annonçait l’ouverture du procès, le prêtre, en guise de protestation, s’est mis à réciter à haute voix un poème intitulé : « Le tribunal communiste vietnamien » (poème qu’il avait préparé et diffusé les jours précédents) :

Le tribunal communiste vietnamien,
une farce ignoble
dont on n’aura jamais fini de rire.
Les magistrats, cette bande de primates,
ces valets à la solde d’une dictature,
qui veulent-ils juger ?

Au quatrième vers du poème, un policier lui a appliqué la main sur la bouche. Le prêtre fut entraîné hors de la salle d’audience et amené dans une salle d’isolement toute proche, d’où il pouvait suivre le déroulement du procès par des haut-parleurs.

Le père Ly est revenu une deuxième fois lorsque le président du tribunal a appelé les accusés à la barre pour qu’ils confirment leur état civil. Deux policiers ont traîné le prêtre, en le soulevant, depuis la salle d’isolement jusqu’à la barre. Le prêtre s’est alors débattu de toutes ses forces, a même frappé la barre de son pied, tout en criant : « C’est ce tribunal, ce parquet, ce service de la Sûreté, ce régime communiste qui devra répondre de ses fautes devant l’Histoire et la nation vietnamienne. Il n’y aura pas d’échappatoire. Au lieu de former un peuple fier et héroïque, le communisme, en l’opprimant de mille manières, en a fait un peuple lâche et peureux. Il a considéré cela comme une victoire, une réussite. »

Il allait continuer à parler lorsqu’un agent de la Sûreté s’est précipité pour lui appliquer la main sur la bouche. Deux agents l’ont soulevé à nouveau et l’ont traîné hors de la salle d’audience. Lorsque le président a demandé aux accusés de faire leur déclaration, le père Ly a été ramené dans la salle d’audience.

Il a réagi alors en criant par deux fois : « A bas le Parti communiste ! »

De nouveau, un agent l’a empêché de parler en plaçant une main sur sa bouche. On l’a encore conduit dans la salle attenante au tribunal, lieu où il est resté jusqu’à la fin du procès.

Le père Nguyen Van Ly bailloné

Dès le début, les autorités avaient annoncé que le procès serait public. Mais il ne l’a été que par intermittence. Les journalistes de la presse internationale ainsi que des représentants de l’ambassade de Norvège et du consulat des Etats-Unis n’ont été admis dans la salle d’audience que quelque cinq minutes, lorsque le président du tribunal a annoncé l’ouverture du procès, puis dix minutes encore lors de la lecture de la condamnation. Le reste du temps, ils n’ont pu suivre le procès que sur un écran placé dans une salle située à proximité de la salle d’audience.

Aucun parent n’était là. Les épouses de deux des coaccusés, Nguyên Phong et Nguyen Binh Thanh, non seulement n’ont pas été autorisées à entrer dans la salle d’audience, mais elles ont été chassées du jardin public près du tribunal lorsque la police les a identifiées.

De gauche à droite : Nguyen Phong, Le Thi Le Hang, Hoang Thi Anh Dao, Nguyen Binh Thanh.

En l’absence d’avocat, les accusés auraient dû se défendre eux-mêmes. Ils n’en eurent pas l’autorisation. Ceux qui voulurent le faire en furent empêchés par des policiers en uniforme qui les repoussèrent loin de la barre. Les seules réponses autorisées aux questions posées étaient « Oui » ou « Non ». Aussi bien, le juge n’interrogea les inculpés que très sommairement, sans leur laisser le temps d’exposer leurs idées, leurs positions, les motifs profonds qui les animaient. Quiconque mentionnait la démocratie, les droits de l’homme reconnus dans les conventions internationales était immédiatement interrompu. Malgré cela, les quatre coaccusés ont réagi avec calme et sans agressivité, mais avec résolution. Ainsi, à un moment donné, Nguyên Phong (qui sera condamné à six ans de prison) a levé ses deux mains menottées en déclarant : « Jusqu’à ma mort, je lutterai pour les droits de l’homme et je défendrai le Parti du progrès pour le Vietnam. »

Un policier l’empêcha de continuer. Nguyên Binh Thanh, quant à lui, déclara : « Interrogez donc l’opinion internationale pour savoir quel crime nous commettons en luttant pour la liberté et les droits de l’homme ? »

Lui aussi fut interrompu par les agents de la Sûreté, qui le repoussèrent loin de la barre. Craignant que les deux jeunes femmes n’élèvent aussi la voix, la cour s’est retirée précipitamment pour délibérer.

Après vingt minutes de délibérations, la séance a repris. Le président a lu la sentence en l’absence du père Ly, qui a pu cependant l’entendre depuis le réduit où il était gardé.
 Le père Nguyên Van Ly a été condamné à huit ans de prison ferme, plus cinq ans de résidence surveillée.
 M. Nguyên Phong à six ans de prison, plus trois ans de résidence surveillée.
 M. Nguyên Binh Thanh à cinq ans de prison, plus deux ans de résidence surveillée.
 Mlle Hoang Thi Anh Dao à deux ans de prison avec sursis, plus trois ans de mise à l’épreuve.
 Mlle Lê Thi Lê Hang à un an et demi de prison avec sursis, plus deux ans de mise à l’épreuve.

Après la sentence, le procès s’est achevé et l’assistance s’est dispersée. Quatre agents de la Sûreté sont venus passer les menottes à Thanh et à Phong, à qui on les avait retirées durant le procès. Ils ont été ensuite conduits avec le père Ly jusqu’à une voiture qui les a emmenés dans le lieu où ils sont internés. Quant aux deux jeunes femmes, elles sont rentrées chez elles, mais, jusqu’à présent, où qu’elles aillent, elles sont suivies par la police.

Le tribunal communiste vietnamien,
une farce ignoble
dont on n’aura jamais fini de rire.
Les magistrats, cette bande de primates,
ces valets à la solde d’une dictature,
qui veulent-ils juger ?

Nguyen Van Ly