Discours du Dr Nguyên Thi Xuân-Trang lors de la soirée « Journée des Libertés »

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Discours du Dr Nguyên Thi Xuân-Trang, membre du Comité Suisse Vietnam – Cosunam lors de la soirée « Journée des Libertés » organisée par le Parti Radical le 7 octobre 2006 à Genève / Suisse.


Une nuit de juin, une nuit sans lune… Je me réveille et découvre une petite lueur de lampe de poche qui se promène devant des visages inconnus. Assise à l’arrière du poids lourd de mon oncle, avec ma sœur on devait se rendre à Da-Lat pour les vacances d’été. Enfin c’est ce que ma mère m’avait dit…

Mais je n’ai plus le temps de penser à quoi que ce soit, car le camion s’est arrêté et tout le monde descend avec une telle vitesse ! Je me sens perdue… Subitement, d’une main, ma tante me tire avec elle et de l’autre, elle porte sa fille sur le flanc, on avait le même âge : 6 ans !

On court à travers un champ de roseaux en direction de la mer, puis tout s’arrête : on a perdu les responsables qui devaient nous mener jusqu’à la barque ! En colère, ma tante s’est mise à crier aux escrocs, persuadée que les responsables de la barque, qui ont déjà reçu l’or de chacun d’entre nous, tentent de nous voler en nous abandonnant sur la rive. Mais très vite quelqu’un revient, nous fait signe de ne pas faire de bruit, et nous guide jusqu’en bordure de mer.

Sans destination précise, le voyage en mer a duré 3 nuits, sur une petite barque de pêcheurs, avec 96 passagers à bord. Hommes, femmes et enfants de tout âge, tenaillés par la faim et la soif, mais plus aucune force pour avoir peur de quoi que ce soit. On croise plusieurs paquebots mais aucun ne vient à notre secours, pensant que ce sont des pirates de mer qui se déguisent en boat people pour les appâter. Ou refusant tout simplement de nous venir en aide pour d’autres raisons : peur de l’inconnu, peur de la maladie, ou encore peur de perdre du temps car ils sont en mer pour des raisons commerciales principalement…

Au quatrième jour, sur une barque qui partait en miettes tellement elle a subi la colère des vagues, alors que le moteur tombe en panne, on aperçoit un monstre pétrolier venir dans notre direction. Nous sommes sauvés !

A nouveau, tout se passe très vite : les enfants sont hissés à bord à l’aide de cordes qui s’enroulent autour du ventre, pendant que les adultes se disputent l’échelle de cordage pour quitter au plus vite la barque en train de couler. Puis le calme est revenu : le calme dans mon corps et dans ma tête d’enfant.

Le soir même je courais dans les couloirs du paquebot avec ma petite cousine et mes amis, les pieds nus chauffés par un sol en fer, et croisant des marins par-ci, par-là, souvent baraqués et impressionnants, mais au sourire si tendre… C’était un soir de juin, sans lune, en 1979.

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Dr Nguyên Thi Xuân-Trang


Si à l’époque de l’après 1975, année de la fin de la guerre du Vietnam, l’oppression du communisme vietnamien envers son peuple est indiscutable : camp de rééducation pour d’anciens soldats, déplacement de familles par milliers en région « Kinh Tê’ Moi », nouvelle zone économique, l’appropriation de terres par l’état, etc. on comprend alors la nécessité pour plus de 2 millions de Vietnamiens de quitter la terre qui les a vus naître, la terre de leurs ancêtres : c’est une question de survie.

Si au lendemain de la fin de la guerre, en 1975, l’oppression du gouvernement vietnamien est très claire, elle existe encore aujourd’hui mais sous une autre forme, si sournoise car tellement déguisée, que très peu de gens la voit.

En voici la preuve : si je vous dis Vietnam, là, maintenant, à quoi pensez-vous ? Quels sont les premiers mots qui vous viennent à l’esprit ? « Asie, paradis touristique, paradis économique, etc. » Et cela ne vous concerne pas que vous. Même le Vietnamien ancien boat people qui a réussi à reconstruire sa vie dans un pays d’accueil, le VN signifie aussi « paradis touristique, économique »… des vaches à lait prêtes au sacrifice d’un côté, et un gouffre à dollars prêt à toutes les engloutir de l’autre côté : on estime la somme d’argent « contribuée » par la diaspora vietnamienne à plus de 3 milliards de dollars par an au Vietnam !

Je remercie la Suisse et son peuple de m’avoir accueillie, d’avoir chaleureusement ouvert ses bras il y a 30 ans à cette petite fille de 7 ans que j’étais, trimbalant dans tous les sens sur une embarcation de fortune. Si à l’époque de mes 7 ans, je ne comprenais pas pourquoi j’ai dû fuir mon pays, aujourd’hui je ne comprends que mieux les raisons qui ont poussé plus de 2 millions de vietnamiens vers la mer.

Je remercie également le Parti Radical de me donner l’occasion de pouvoir m’exprimer devant vous ce soir dans le cadre de la Journée des Libertés commémorant les 160 ans d’existence de ce parti, dont le père fondateur est James Fazy.

En effet, l’histoire du Parti Radical nous apprend que la liberté ne se donne pas mais elle se mérite. Oui, elle se mérite car ce parti a su persévérer dans ses convictions, dans ses manifestations, dans ses luttes à travers les âges. Et parfois au prix des vies humaines.

Si je suis ici ce soir à vos côtés, c’est parce qu’un soir en juin 1979, mes parents ont choisi pour moi la promesse de liberté, avec une vie meilleure loin des oppressions communistes vietnamiennes.

Parce que pendant 3 nuits, des hommes et des femmes se sont relayés pour faire qu’en sorte la petite barque de pêche, emmenant 96 personnes en son bord vers l’inconnu, ne puisse pas craquer alors qu’eux-mêmes n’avaient plus aucune force, mais toujours avec l’espoir de liberté à l’horizon.

Parce qu’un jour en juin 1979, un matelot de couleur, simple employé d’un paquebot pétrolier a forcé son capitaine de nous sauver mes compagnons boat people et moi des tempêtes déchaînées de la Mer de Chine, sous peine de le dénoncer à la commission des Droits de l’Homme. Et on peut imaginer facilement que cet homme risquait le licenciement suite à son acte, mais ô combien libre dans sa tête et au plus profond de sa conscience.

Mesdames, messieurs,

Plus que quiconque, moi, vietnamienne, boat people, venant d’un pays où la dictature règne encore et toujours d’une main ferme, je suis pleinement consciente de la valeur du mot Liberté.

Et aujourd’hui, au Vietnam, pour ne parler que du pays mes origines, cette liberté continue d’être baillonnée. Aucune opinion autre que celle du seul et unique parti dirigeant n’est tolérée. Prêtres, pasteurs, bonzes, écrivains, jeunes, passez votre chemin. Le parti a raison et il ne se trompe jamais. Et cela depuis que trop longtemps.

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Monsieur Bernard Favre, secrétaire général du Parti Radical genevois signe la pétition : “Contre l’oppression physique et morale envers les défenseurs de la Démocratie et des Droits de l’homme au Vietnam”

Mais aujourd’hui, dans ce pays au pouvoir dictatorial, des voix se lèvent et revendiquent le simple droit d’exister.

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » (article 1 de la Convention des Droits de l’homme)


Je cite en exemple quelques personnalités représentatives : le vénérable Thich Quang Dô, lauréat du prix des Droits de l’Homme de la Fondation Rafto/Norvège le mois passé ; le Père Nguyên Van Ly emprisonné puis mis sous surveillance pour avoir crié : « Liberté de religion ou mourir », le Pasteur Nguyên Hông Quang, plusieurs fois emprisonné et tabassé à coup de poing…

Face aux revendications de ces démocrates, le gouvernement a choisi la solution ferme : emprisonnement, résidence surveillée, disparition soudaine, pression psychologique appelée là-bas terrorisme psychologique où l’on vous harcèle nuit et jour, menace les membres de votre famille, de vos proches, vous interdit de travail, vous traite de tous les mots et accusations possibles et imaginables : espions, coup d’état, détenteurs de documents secrets de la défense, et tout cela par le biais de la presse et les média d’état.

L’oppression est l’arme du plus fort et où le pouvoir est au bout du fusil.

Mais la liberté d’expression, elle, est éternelle.

Ainsi, un groupe de dissidents courageux s’affiche au grand jour et propose le « Manifeste de 2006 Pour La Liberté et La Démocratie au Vietnam ». Aussitôt il suscite non seulement l’engagement politique de milliers de Vietnamiens qui l’approuvent, mais il obtient également un soutien international.

Par ailleurs, un parti politique à part entière se dévoile après plus de 15 ans d’activités dans l’ombre, c’est le Parti Viêt Tân, Parti pour la Réforme du VietNam. Un de ces représentants, que certains d’entre nous ont eu déjà l’occasion de côtoyer, est parmi nous ce soir. Il m’a beaucoup aidé dans la recherche des documentations pour cette présentation, merci à toi, Bao d’avoir répondu à mon invitation.

Mesdames, messieurs,

En ce début du 21ème siècle,

Pouvons-nous encore légitimer la répression pour soi-disant préserver la stabilité politique ?

La liberté d’opinion n’est-elle pas un droit universel ?

Le Vietnam et les vietnamiens le méritent-ils aussi ou reste-t-il un cas d’exception ?

La lutte “pacifique” est-elle toujours une valeur à encourager et à soutenir ?

Tant qu’il n’y a pas de liberté, il n’y aura pas de stabilité politique ni économique. Mais le gouvernement vietnamien continue par tous les moyens à faire croire le contraire à l’opinion internationale : en effet, dans un mois, le Vietnam recevra le Forum de l’APEC, Coopération Economique Asie-Pacifique, où il tentera de séduire à nouveau des partenaires et investisseurs, malgré des centaines de projets échoués car trop de flou juridique et trop de corruption.

De ce fait, les militants vietnamiens pour la démocratie insistent sur le lien étroit entre développement économique, bonne gouvernance et droits de l’homme, et appellent les dirigeants mondiaux à exprimer cette même idée au cours du Forum de l’APEC.

Ces dissidents mêmes qui risquent leur vie et celle de leurs proches car ils ont décidé de proclamer de vive voix leur droit d’exister, il faut à tout prix les soutenir et les protéger contre l’oppression permanente qui les menace chaque jour. Le COSUNAM a proposé une pétition pour préserver ces nouvelles voix vietnamiennes, les précurseurs de la démocratie, de la liberté et du droit à la vie au Vietnam, une pétition contre l’oppression du gouvernement vietnamien communiste.

Je remercie encore une fois le Parti Radical de me donner l’occasion de pouvoir m’exprimer devant vous ce soir dans le cadre de la Fête des Libertés, et je remercie également la Suisse et son peuple, si imprégné des notions humanitaires et respect des droits humains grâce à qui je suis avec vous ce soir pour ce témoignage, et grâce à qui je continue mon combat pour que le pays de mes ancêtres, le Vietnam, connaisse bientôt la Démocratie et la Liberté en ses terres.

Merci infiniment de votre attention.

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Le point d’informations du Viêt Tân

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Panneaux d’exposition présentant la situation du mouvement démocratique vietnamien

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De gauche à droite : MM Nguyen Dang Khai, Nguyen Ngoc Bao (représentant de Viêt Tân en Europe), Michel Rossetti (ancien maire de Genève), Dr Nguyen Thi Xuan Trang (COSUNAM), M. Nguyen Tang Luy, et Madame Rossetti.

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