Élections et élections

Nguyen Ngoc Duc

La France entre en campagne électorale. Le 22 avril prochain, aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle. Quelques semaines après le second tour suivront les élections législatives. Le Viêt Nam se prépare aussi aux élections. Le 29 janvier, le bureau du Parlement vietnamien a officialisé la date des prochaines élections législatives : le 20 mai. Les électeurs de nos deux pays s’apprêtent donc à aller voter, mais il y a élections et élections !

Lors des élections législatives françaises de 2002, il y avait une moyenne de 14 candidats par circonscription. Au Viêt Nam, il n’y a que 1,5 candidat par circonscription.

En France, malgré l’hiver, l’ambiance électorale commence à chauffer. Aux yeux des français, l’élection présidentielle constitue le plus important des scrutins. De son résultat dépendra l’orientation politique de la France pour les cinq prochaines années. L’importance de l’enjeu justifie que depuis plusieurs mois, les sondages, les débats, les meetings et les autres tribunes donnent du rythme à cette campagne électorale.

Au Viêt Nam aussi, l’ambiance chauffe, à quelques mois des élections. Serait-ce pour les mêmes raisons qu’en France ? Mais non, vraiment pas ! Ce qui agite les Vietnamiens, c’est le Nouvel An Traditionnel, le Tết, et ses préparatifs. Pourtant, si le scrutin présidentiel compte autant dans l’esprit des français, l’élection du Parlement devrait revêtir la même importance aux yeux des vietnamiens. Mais lorsque j’appelle par téléphone mes amis au Viêt Nam pour leur demander leur impression sur cette élection, ils me répondent abruptement : « Ah bon ? c’est le 20 mai [que se tiendront les élections législatives] ? On n’est pas au courant. Et puis, on s’en f… ! Ce jour là, on ira voter car c’est obligatoire, et on cochera le pantin désigné à l’avance. On aura le choix entre un communiste et un autre communiste… ». Voilà le résultat de plusieurs décennies d’un régime mono-partiste. Les élections ne veulent plus rien dire.

« Ah bon ? c’est le 20 mai [que se tiendront les élections législatives] ? On n’est pas au courant. Et puis, on s’en f… !… »

En France, chaque scrutin donne lieu à inflation, pas celle des prix mais plutôt l’augmentation du nombre de candidats. En 2002, il y avait 16 candidats à la présidence de la République. En 2007, c’est plus de 40. Certes, l’obligation qui leur est faite de recueillir 500 signatures de parrainages en éliminera quelques uns, mais beaucoup resteront en lice.

En 2002, les élections législatives ont vu 8424 candidats se disputer les 577 sièges, soit une moyenne de 14 candidats par circonscription. Ce grand nombre de candidats a bien posé quelques problèmes comme l’augmentation des budgets électoraux, la dispersion des voix, etc. Mais les électeurs français semblent apprécier le large choix qui leur est offert. C’est le reflet des multiples sensibilités politiques ; chaque courant de pensée a le droit de peser dans la vie politique nationale et régionale. Les électeurs français y voient le signe d’un réel pluralisme politique qui permet aux minorités d’avoir toujours la parole et qui ne confie pas tous les pouvoirs au parti qui a remporté les élections. Ce pluralisme politique crée des contre-pouvoirs bénéfiques au débat démocratique.

Au Viêt Nam, les gens frissonnent en entendant le mot inflation. En effet, au début des années 80, lorsque le Parti Communiste Vietnamien (PCV) « pousse joyeusement et rapidement le pays sur la voie du socialisme », le niveau général des prix s’emballe joyeusement. L’inflation à deux chiffres de la fin de la décennie 70 passe à trois chiffres dans les années 84-85.

Si le PCV est un piètre gestionnaire économique, il a toujours su maîtriser l’inflation politique. Lors des dernières élections législatives, en 2002, 759 « candidats » « se disputaient » les 498 sièges à pourvoir. Pourquoi employer les guillemets ? Parce que les chiffres sont éloquents, en moyenne 1,5 candidat par circonscription, ce qui donne au mot « candidat » une couleur particulière… Ce chiffre est en augmentation par rapport aux précédents scrutins mais il ne représente que le dixième des candidats français. On mesure bien, par cette comparaison statistique, le piètre niveau du pluralisme politique au Viêt Nam.

En limitant le nombre de candidats, au Viêt Nam, on limite la dispersion des voix, dispersion qui empêche généralement qu’un candidat dépasse les 30% au premier tour. Aucun risque de dispersion avec en moyenne 1,5 candidat par siège ! Dans ces conditions, les pourcentages ne veulent pas dire grand chose. Ainsi en 2002, M. Nong Duc Manh (Premier Secrétaire du PCV) avait recueilli 94,82% des suffrages, M. Phan Van Khai (ancien Premier Ministre) avait obtenu 91,22%. La palme revient à Tran Duc Luong (Président de la République Socialiste) avec 98,20%. Les scores des dirigeants occidentaux comme MM. Chirac, Bush, Blair font pâle figure à côté !

Dans les élections vietnamiennes, le « PCV décide et les électeurs approuvent ». Avec cette méthode, bien que les vietnamiens vivent sous une dictature, ils peuvent tout de même voter tous les 5 ans.

Dans les élections vietnamiennes, le « PCV décide et les électeurs approuvent ». Avec cette méthode, bien que les vietnamiens vivent sous une dictature, ils peuvent tout de même voter tous les 5 ans. En 2002, le taux de participation atteignait 99,73% car aller voter est un « devoir civique » et ne souffre pas d’exception. Même les malades doivent voter sur leur lit d’hôpital. Ceux qui ne votent pas voient leur certificat de résidence (ho khau) confisqué et deviennent de facto « sans domicile fixe ». Les 0,27% d’abstention concernent donc probablement des personnes décédées le jour même du scrutin ! Mais il est vrai que cette obligation de vote sauve les apparences, car combien de vietnamiens feraient l’effort de voter s’ils n’y étaient contraints ? La participation des électeurs serait tellement faible que la représentativité de certains élus apparaîtrait pour ce qu’elle est réellement : minable !

Bien que la méthode « Le PCV décide et les électeurs approuvent » ait permis la constitution d’un parlement discipliné et à la botte du gouvernement, le PCV cherche encore à « réformer » ce système. Dans quel sens ? Le comité central du PCV a proposé de nouvelles méthodes pour les élections législatives. Décrire ici ces nouvelles méthodes serait long et fastidieux ; les lecteurs qui le souhaitent peuvent consulter le texte intégral sur le site web du PCV. De cette réforme, je ne retiendrai que cette phrase : « la finalité des élections législatives est de former un parlement fidèle à la patrie et à la République Socialiste du Viêt Nam. ». Autrement dit, ceux qui n’approuvent pas que le Viêt Nam, comme Cuba, la Corée du Nord et la Chine Populaire suivent la voie du socialisme peuvent s’exiler.

Cette comparaison entre élections à la française et élections à la mode PCV montre bien qu’il y a élections et élections, les unes vraiment démocratiques, en France par exemple, les autres qui n’en revêtent que l’apparence. En définitive, qui affirmerait sans ciller que les 80 millions de vietnamiens approuvent la voie décidée par le PCV ?