Extraits du livre Le temps des chiens muets

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le temps des chiens muets

FLAMMARION

Page 49
En 1972, quelque sept mille montagnards chrétiens avaient abandonné leurs villages pour échapper à l’avance des communistes. […] Aujourd’hui, ils sont libérés ; l’ordre de regagner leurs anciens villages vient de leur être signifié. Avec ceux de Chu Pao, cela fera environ onze mille personnes qui seront une fois de plus déplacées, abandonnant l’espoir d’une maigre récolte. […] les réfugiés de Chu Pao sont mis en route. C’est leur châtiment, on le leur a clairement laissé entendre : ils ne devaient pas s’enfuir en 1972 devant la libération ! Pourquoi n’y a-t-il aucun journaliste, aucun photographe, aucune télévision pour alerter l’opinion internationale ? Silence et nuit !

Page 119
[22 mai 1975] Des nouvelles nous parviennent des onze mille montagnards obligés de réintégrer leurs villages dans les conditions que l’on sait. La mortalité en un mois atteint trente à quarante pour cent. Génocide.

Page 59
[Logique communiste :]
« Seules les choses prouvées par la science sont réelles. Jusqu’à ce jour, la science n’a pas prouvé l’existence de Dieu. Donc Dieu n’existe pas, et il ne faut pas y croire. »

Page 76
[…] je faisais la connaissance du professeur Pham Duy Khiêm, agrégé de grammaire française ; lui, Vietnamien, enseignant notre langue aux petits Français. Il avait le traitement et la considération qu’on accorde à un commis subalterne ! Il en allait de même pour toutes les élites intellectuelles « annamites » : aucune responsabilité importante, aucune initiative, aucune part dans la conduite de leur pays ne leur étaient permises. Deux éminents ministres de l’empereur Bao-Daï, Ngô Dinh Diêm et Nguyên De, venaient d’être écartés de la haute administration de Hué pour avoir réclamé le respect du traité de 1883 qui faisait du Tonkin et de l’Annam des protectorats, et non des colonies.

Il n’a certes pas manqué d’administrateurs, d’esprits clairvoyants, pour percevoir les signes des temps, faisant leur ce mot à remporte-pièce d’un Lyautey : « Une colonie bien administrée évolue nécessairement vers son émancipation : sinon, c’est qu’elle est mal administrée. »

Page 84
La deuxième phase s’étendra de 1954 à 1963. M. Ngô Dinh Diêm, patriote intègre, est nommé chef du gouvernement du Sud par Bao-Daï, qui est encore empereur… pas pour longtemps cependant. En effet, Ngô Dinh Diêm a vite fait de proclamer sa déchéance et l’avènement de la République du Sud, dont il devient président. Il refuse d’y laisser organiser les élections prévues par les accords de Genève. De fait, contrairement à ces accords, le Nord a laissé dans le Sud et le Centre Vietnam une organisation politique et militaire clandestine avec ses cadres, ses bases, son réseau logistique, ses dépôts d’armement et de munitions : bref, le même maquis qui mettait à feu et à sang le Vietnam depuis des années. Seulement maintenant, il se terre, se fait oublier. Point capital qui, à ma connaissance, n’a jamais été connu comme tel et dénoncé à l’opinion. […] Des élections « libres » hors des villes étaient impensables […] [le refus du président Ngô Dinh Diêm d’organiser des élections] était motivé.

Page 89
[…] du fantoche Thiêu ! [Président de la République du Sud-Viêt Nam] » La propagande en fait un bouc émissaire chargé de toutes les infamies : vénalité et corruption du régime, et, pour faire bonne mesure, de tout le peuple du Sud. On le crédite du chiffre exorbitant de trois cent mille détenus politiques, on l’accuse de pratiquer la torture… comme s’il était le seul et le premier au monde à la pratiquer ! Les mass media du monde entier, y compris la presse catholique, de nouveau emboîtent le pas et contre toute objectivité se font l’écho de ces contre-vérités. […] Combien faudra-t-il d’années pour que l’opinion publique mondiale cesse de croire aux mensonges si profondément incrustés dans les esprits ? Pour que le peuple du Sud Vietnam soit enfin réhabilité aux yeux du monde ?

Page 92
Et voici Diên Bien Phu et les accords de Genève qui livrent dix millions de Vietnamiens au parti viêt-minh. On voit se lever une masse énorme de plus de huit cent mille Nordistes, dont près de six cent mille catholiques qui, abandonnant tout, fuient le Nord pour se réfugier au Sud. On a dit et écrit sur cet exode nombre de contre-vérités, et la propagande communiste a expliqué à sa manière cette hémorragie qui faillit lui être fatale. Cette foule s’enfuit parce qu’elle sait d’expérience ce qu’est le communisme, et qu’elle n’en veut pas. Il n’est pas douteux que ce sont plusieurs millions qui auraient fui de la même manière et pour le même motif si le parti au pouvoir n’avait rapidement dressé d’infranchissables barrières en vue d’étouffer ce terrible référendum spontané des masses… Et jamais on ne vit le moindre mouvement de foule se diriger du Sud vers le Nord. Bien au contraire, le Sud s’organise hâtivement en République autonome. Le peuple accepte d’enthousiasme son nouveau chef, le président Ngô Dinh Diêm. Pourquoi donc ? Ne faut-il pas encore discerner là le même rejet spontané d’une idéologie et d’un système que le peuple connaît trop bien maintenant, et refuse ? Le peuple du Sud le peut. Celui du Nord est déjà garrotté.


Page 99
Pourquoi a-t-on si peu parlé des charniers de Hué en 1968, du massacre des civils qui tentaient de s’enfuir de Quang Tri en 1972 ? Pourquoi la presse a-t-elle si peu dénoncé les assassinats des chefs de villages, les rapts d’enfants qui se comptent par milliers, les innombrables bombardements perpétrés par une artillerie lourde viêt-cong de plus en plus meurtrière, contre les villes du Sud ; bombardements qui ont fait autant, plus peut-être de victimes innocentes que ceux des B 52 contre le Nord ? Pourquoi l’orchestre des accusateurs du Sud ignore-t-il ces questions ?

Le Vietnam est, à ma connaissance, le seul pays au monde qui, durant plus d’un quart de siècle, ait eu la chance, puis le courage, de résister à l’impérialisme et à la dictature communistes. C’est là son crime inexpiable. Et ce petit peuple du Sud, héroïque autant que celui du Nord, mais bafoué, calomnié, méconnu, est le seul qui, dans d’indicibles souffrances, ait osé résister à l’agression et donné ainsi une leçon au monde. Cela non plus n’est pas pardonnable.

Cette leçon fait étrangement écho à celle que Soljénitsyne nous jette à la figure : « Oh vous, penseurs gauchistes d’Occident, amants de la liberté, vous, travaillistes de gauche, étudiants progressistes d’Amérique, d’Allemagne et de France… pour vous, tout cela compte bien peu, pour vous mon livre tout entier ne vaut rien. Et vous ne le comprendrez tout entier que lorsqu’ils vous crieront : « Les mains derrière le dos ! », et que vous prendrez vous-mêmes le chemin de notre Archipel. »

Page 135
Impitoyablement la vengeance s’exerce, le châtiment est appliqué, mais sournoisement : l’opinion publique n’aura pas lieu de s’émouvoir. Les moyens de mise à mort sont naturels : malaria et dysenterie font à bon compte les ravages des chambres à gaz. Il suffit de soumettre le prisonnier à un travail au-dessus des forces humaines, de lui supprimer tout secours médical, de ne lui accorder qu’une nourriture insuffisante : c’est assez. En quelques semaines, quelques mois au mieux, il est aux portes de la mort. Les rescapés des camps de la Kampétai [Gestapo japonaise] à Hoà Binh en 1945 en savent quelque chose. L’océan vert, la jungle, dévorent tout : les cris de souffrance et d’agonie, puis les cadavres eux-mêmes.

Page 141
Depuis plus de vingt ans, c’est par centaines, par milliers peut-être, qu’il y a eu rapts d’enfants au Vietnam du Sud. Que de familles nous ont confié leur peine et leur rage. C’était un simple fait divers dont la presse locale parlait peu, et la presse étrangère pas du tout. Au musée des horreurs de cette guerre, il y avait infiniment plus spectaculaire à exhiber ! Et qui aurait voulu heurter le glorieux maquis ? Nous savions que ces enfants revenaient à l’âge adulte, transformés en cadres activistes. Nous savions aussi que certains d’entre eux étaient devenus les bourreaux de leurs proches, tandis que d’autres avaient profité de la première occasion pour déguerpir et rejoindre leur famille…

Pages 155 puis 167
Outre l’hôpital Minh Quy et son réseau de dispensaires, la mission avait fondé depuis le début du siècle une léproserie un peu à l’écart de la ville. La sœur Marie-Louise, Fille de la Charité, au cœur d’apôtre et au dynamisme extraordinaire, en avait fait, au cours de ces dernières années, une vraie cité modèle parfaitement fonctionnelle pour l’accueil et les soins de ses quatre cents pensionnaires, tout cela dans un cadre presque riant : jolies cases propres et bien alignées, verdure et fleurs ; avec, pour ces parias, la joie de revivre comme de vrais hommes. C’était devenu presque une attraction touristique, et qui portait un bouleversant témoignage du respect et de l’amour de l’homme qui, même frappé par la plus horrible maladie, demeure créature et temple de Dieu, comme n’importe quel autre homme.

[…] Une délégation de « médecins » est venue inspecter. Les malades ne les intéressent absolument pas (ils semblent même en avoir très peur !), mais seulement les bâtiments et l’équipement. Ces déchets humains coûtent cher, ne produisent rien et présentent un danger de contamination. — Alors ? A liquider ?

[18 juillet] […] aujourd’hui des nouvelles navrantes de quelque part, à 250 kilomètres de là : sœur Louise-Marie est décédée le 11 juillet dernier. Jeune encore, elle est morte du typhus ? de la malaria ? qui le sait ? Mais, ce qui est certain, faute de soins et de médicaments. Il y avait là un important refuge d’environ douze mille naufragés : des montagnards qui, depuis dix ans, avaient subi les malheurs consécutifs à la guérilla.

Page 165
Des bonzes avaient parcouru les rues, invitant les habitants à un accueil chaleureux. Ils s’étaient portés au devant des troupes viêt-cong, avaient offert leurs bons offices. Fort malmenés et humiliés par les nouveaux maîtres, on n’en avait plus entendu parler.

Page 243
« … Agir autrement est infantilisme spirituel. Courber la tête, ramper, est lâcheté … Et […] le principe de non-ingérence, appliqué par les nations encore libres, n’est que couverture à une lâche indifférence, fatale non seulement aux opprimés qu’elles laissent écraser, mais aussi à elles-mêmes…

Pages 244 puis 250
« Un haut fonctionnaire communiste envoyé de Hanoi à Dalat pour s’occuper des affaires religieuses au Sud Vietnam, comme il me l’affirma lui-même, vint bavarder avec moi. Pour quelle raison ? Je l’ignore. […] [L’auteur s’adressant au fonctionnaire] « — Et vous me dites tout cela ? Et si j’en faisais part à l’étranger, avez-vous pensé que ce serait de la bien mauvaise propagande pour vous ? « II a souri, et a répondu simplement : « — Prêtre, personne ne vous croira. »

Page 269
Aux « Dossiers de l’écran », ce même jour, 9 mars 1976, Soljénitsyne s’en étonnait : « Plus de trente livres ont été publiés sur l’archipel depuis la fin des années vingt. Mais chose étrange, l’Occident ne voulait pas entendre ces témoignages et ne voulait pas leur prêter foi. Des voix se sont toujours fait entendre, mais dans le confort, on ne veut pas entendre la vérité, parce que, si on apprend toute cette horrible vérité, il faut faire quelque chose… Or, on n’en a guère envie. » Cette explication psychologique me paraît être la plus importante.

Page 277
Jean Jaurès disait : « Ce que je reproche aux chrétiens, ce n’est pas leur doctrine ; c’est de ne pas la pratiquer. » Et Nicolas Berdiaeff : « Le marxisme démasque un christianisme qui n’a pas réalisé sa vérité. »


Page 285
Lettre ouverte à mes frères communistes du Vietnam

Ce serait trop peu dire que je n’éprouve ni rancœur ni colère, encore moins mésestime ou mépris à votre égard : ce dont certains m’ont soupçonné. Ce ne serait pas assez dire que je reconnais, chez les meilleurs d’entre vous, ce qui se trouve de qualités humaines : courage, sacrifice, ténacité exemplaire, foi en un idéal.

Il y a plus dans ma démarche, beaucoup plus : je respecte en vous l’homme, image de Dieu. Je vous aime comme des frères rachetés par le sang du Christ, aimés de Dieu comme je le suis moi-même, appelés ainsi que tous les hommes. Si j’ai tenté de déchirer l’écran de fumée que vous répandez sur une réalité que vous tenez à cacher, ou déformez aux yeux de l’opinion, ce n’est pas par esprit de vengeance ou pour desservir la cause du Vietnam, ma seconde patrie. C’est simplement parce que la vérité doit être dite : elle ne nous appartient pas. C’est une question d’honnêteté : je fais mon « métier » comme vous faites le vôtre et vous seriez en droit de me mépriser, sachant fort bien qui je suis, si je m’étais tu.

Vous êtes de rigoureux et attentifs analystes des situations concrètes. C’est pourquoi aujourd’hui où vous êtes sortis de la guerre, affrontés aux dures réalités de l’exercice du pouvoir et du gouvernement, je vous invite à une autocritique, autant de votre agir que des principes philosophiques qui l’inspirent. Vous êtes dans l’erreur : Dieu existe ; l’homme a une dimension et une finalité spirituelles.

Que cette victoire militaire, que vous avez remportée et que nul ne conteste, ne vous enivre ni ne vous aveugle : elle ne sera le prélude à une authentique grandeur de votre patrie, à la paix et au bonheur auxquels aspire le peuple, que si vous savez maintenant remporter une ultime victoire, cette fois-ci contre vous-mêmes : en recevant le message du Christ, en vous inclinant devant Dieu. A tout le moins, en respectant la liberté de ceux qui ont cette foi.

Étrange démarche contradictoire que la vôtre et que la conscience du peuple vietnamien ne cesse de récuser : vous demandez à Karl Marx, un occidental égaré hors de sa propre tradition spirituelle, de coloniser la pensée et l’âme du Vietnam, traditionnellement et profondément spiritualiste ! A tout bien considérer, Jésus-Christ vous est infiniment plus proche et accessible.

Avec le milliard de chrétiens répandus dans le monde entier, je chante à Dieu,

Vindica sanguinem
pour que vos yeux s’ouvrent…

Tout cela, j’aurais voulu vous le dire publiquement, si vous m’aviez traduit devant vos tribunaux, mais Dieu qui vous aime vous a inspiré de m’envoyer le proclamer à la face du monde,
pour mieux vous servir,
vous qui êtes mes frères.

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