Facebook au Vietnam : pourquoi le blocage ne fonctionne pas

Global Post
(Hoang Dinh Nam / AFP / Getty Images)

HANOÏ, Vietnam – À première vue, les panneaux publicitaires pour le nouveau téléphone C3 de Nokia n’avaient rien de surprenant.

Le Vietnam, comme de nombreux pays de la région, est fou du téléphone mobile, et les publicités pour différentes marques parsèment les plus grandes villes.

Pourtant, cette campagne publicitaire avait bien quelque chose de surprenant ; en effet, elle vantait la possibilité d’accéder par téléphone au tchat de Facebook, alors que celui-ci est bloqué au Vietnam, de même que les autres fonctions de Facebook.

Comment une entreprise peut-elle inciter à violer aussi effrontément ce blocage ?

Aux néophytes, les experts disent qu’il ne s’agit pas d’un vrai blocage. Cette version vietnamienne du Grand pare-feu chinois s’apparente à une clôture de bambou en braise — une entrave plutôt qu’une interdiction radicale.

Comme la Chine, le Vietnam s’efforce de profiter de l’ouverture offerte par Internet tout en contrôlant étroitement la circulation de l’information. Le blocage au Vietnam est une des nombreuses mesures prises récemment pour contrer l’activisme en ligne et les autres activités Internet considérées comme « nuisibles » par les autorités.

Le Vietnam a d’abord bloqué Facebook vers la fin de 2009, d’une façon maladroite que le gouvernement n’a jamais reconnue directement. Un prétendu projet de règlement répertoriant huit sites bloqués, y compris celui de Facebook, circula sur Internet. Peu de temps après, divers fournisseurs d’accès Internet (FAI) commencèrent à bloquer le site de réseau social, parfois pendant plusieurs jours.

Mais quelques semaines plus tard, tout le monde bidouillait son système de noms de domaine (DNS) pour contourner le pare-feu ou utilisait Facebook Lite, une version réduite qui était encore accessible.

Le consultant en marketing Nguyen Thanh Hai déclara, via le tchat Facebook, « Ce n’est pas un blocage sérieux, il vous suffit de changer le DNS. »

Contrairement à la Chine, qui bloque les sites Web au niveau du FAI, le Vietnam le fait au niveau du DNS. Cela signifie, comme un expert en informatique l’a expliqué, que le gouvernement dit simplement aux fournisseurs d’accès de rediriger leurs serveurs en dehors des sites plutôt que de bloquer réellement leur accès. Il en résulte qu’il est plus facile de contourner le pare-feu vietnamien que le chinois, où l’on estime que 30 000 censeurs recherchent les contenus illicites sur Internet.

Selon l’expert en informatique, qui a souhaité rester anonyme, « C’est particulièrement facile à contourner. Il vous suffit de remplacer votre fournisseur de DNS par l’un de ceux qui sont accessibles. Google DNS en est un excellent exemple. »

La facilité de la solution de contournement, ajoutée à l’absence de menace officielle de sanctions, signifie pour les utilisateurs de Facebook, dont le nombre dépasse un million au Vietnam, qu’ils peuvent plaider l’innocence. Les utilisateurs tchatent en ligne, publient des photos, et jouent à Farm Ville.

(Matthew Bennett / GlobalPost)

Les entreprises étrangères au Vietnam, à l’exception de Nokia, continuent à citer Facebook dans leurs publicités, bien que certaines disent à micro fermé qu’elles craignent d’enfreindre la loi. Certaines, comme la ligne de soins de la peau Clean and Clear, utilisent Zing, un site de réseau social géré localement, très utilisé par une population plus jeune que celle de Facebook. Nokia n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.

Contrairement à une réglementation gouvernementale de 2008 abondamment publiée, qui disait aux blogueurs habitant au Vietnam quels sujets ils pouvaient abordaient, le blocage de Facebook fut à peine mentionné par les fonctionnaires du gouvernement.

Le site de nouvelles locales VietnamNet Bridge disait dans son article de tête, quelques semaines après le début du blocage : « Le ministère des Affaires étrangères a confirmé que, en réponse aux préoccupations du public, les organismes officiels évaluent le contenu de certains sites de réseaux sociaux. »

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Nguyen Phuong Nga, a déclaré : « Un certain nombre de sites web de réseaux sociaux ont été mal utilisés, diffusant des informations dont le contenu (sic) s’oppose à la République Socialiste Démocratique du Vietnam … menaçant la sécurité de l’information. »

Bien que laconique, Nga a confirmé que le gouvernement avait bloqué Facebook pour les raisons que pressentaient les analystes : un groupe de militants avait créé une page attaquant la mine de bauxite du pays, située dans les Hauts Plateaux et valant plusieurs milliards de dollars.

Le Vietnam a un des taux de pénétration d’Internet les plus élevés dans la région asiatique, plus de 25 pour cent. La pratique du blog est si courante depuis de nombreuses années et le jeu sur Internet est si populaire que des centres de traitement ont ouvert pour traiter les personnes dépendantes. Même les petits cafés de banlieue offre le WiFi en haut débit, le plus souvent gratuitement.

Au cours de ces dernières années, le gouvernement a réprimé les blogueurs, en arrêtant beaucoup et en jetant certains en prison. Le gouvernement a été accusé d’espionnage et de cyber-piratage de sites qu’il juge nuisibles.

La Chine a bloqué en juillet 2008 Facebook ainsi que, et peu après, YouTube et Twitter. Le Vietnam n’a pas attendu longtemps pour suivre l’exemple de la Chine avec le filtrage d’Internet.

« Par sa taille et ses ressources la Chine diffère nettement du Vietnam. Je pense que le Vietnam a la volonté politique, mais pas les ressources. Le Vietnam a toujours été plus modéré que la Chine. » a déclaré le professeur Carlyle Thayer, expert du Vietnam à l’Académie Australienne des Forces de Défense.

L’attitude du Vietnam a été fortement critiquée. Human Rights Watch a condamné les blocages, les arrestations de blogueurs et le logiciel espion qui est censé être installé dans tous les ordinateurs grand public à Hanoï en 2011.

Lors d’un sommet de l’ASEAN à Hanoï en avril, la Secrétaire d’État des États-Unis, Hillary Clinton, s’est dite préoccupée. « Au Vietnam, l’accès à des sites populaires de réseau social a soudainement disparu », a-t-elle déclarée, condamnant ensuite les arrestations de blogueurs et le piratage présumé d’un militant et d’autres sites.

L’ambassadeur britannique Mark Kent blogue en vietnamien et en anglais depuis plus de deux ans sur le site de son ambassade. L’ambassade a lancé sa page Facebook au Vietnam alors que le blocage avait commencé. Il gagne trois nouveaux amis chaque jour, selon l’ambassade.

« Personne au gouvernement n’a parlé du blocage [de Facebook]. … Il ne semble pas avoir eu un effet durable, car les gens ont trouvé des moyens de contournement », a-t-il déclaré.

« Nous avons dit très clairement que des restrictions injustifiées à Internet nuisent à une société en développement. Si ce pays se développe, c’est grâce à son ouverture sur le reste du monde », a-t-il ajouté.

Viet Tan, parti démocratique basé outre-mer, a commencé récemment une campagne Anti Pare-feu. « Il est très encourageant de constater que la majorité des utilisateurs de Facebook savent y accéder. » a déclaré par mail la porte-parole du Viet Tan, Angelina Do. « Toutefois, ils ne constituent encore qu’une minorité d’utilisateurs d’Internet au Vietnam. … La maîtrise du contournement et la compréhension de la sécurité numérique sont indispensables pour le Vietnam dans son ensemble. »

http://www.globalpost.com/dispatch/vietnam/100928/facebook-internet-china-press-freedom