LÊ QUÔC QUÂN, ou le courage de Prométhée

Alexandra Dumitresco

Chaque année, le concours des plaidoiries des avocats du Mémorial de Caen permet à des avocats inscrits à un barreau, quels que soient leur nationalité, leur langue et leur âge, de présenter une plaidoirie relative à un cas avéré de violations des droits de l’homme dans le monde. Les finalistes du concours montent sur scène pour prononcer leur plaidoirie.

Cette année, la finale a eu lieu le 2 février 2014 sous la présidence de Madame la Ministre de la Justice Christine Taubira.

Nous vous proposons de regarder la plaidoirie de Maître Alexandra Dumitresco, avocate à Antony, inscrite au Barreau des Hauts-de-Seine, intitulée Lê Quôc Quân, ou le courage de Prométhée.


Lê Quôc Quân, ou le courage de Prométhée

Alexandra Dumitresco
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine
FRANCE

« Les mythes n’ont pas de vie par eux-mêmes. Ils attendent que nous les incarnions. Qu’un seul homme réponde à leur appel, et ils nous offrent leur sève, intacte. »  [9] C’est CAMUS qui parle…

LÊ QUÔC QUÂN est né et vit au VIETNAM, il a 42 ans.

Avocat, il était inscrit au Barreau de HANOI depuis 2003.

Bloggeur dénonçant la corruption et les atteintes aux libertés individuelles, pacifiste, de confession catholique, il s’est spécialisé dans la défense des victimes de violations des Droits de l’Homme.

Depuis bientôt une année, il croupit en prison.

L’avocat défenseur des droits de l’homme Lê Quôc Quân.

Ses conditions de détention sont à l’aune de la crainte qu’il inspire aux autorités vietnamiennes.

Son défenseur et ami de la Faculté, Maître TRÂN THU NAM, avocat d’affaires pourtant, le défend avec courage. Il est depuis lors, surveillé, inquiété, son entourage fait l’objet de pressions ; il est en sursis sans doute lui aussi.

Car, le VIETNAM est un Etat centralisé à parti unique, dirigé par le Parti communiste vietnamien qui contrôle toutes les collectivités, l’administration, donc la Justice, les écoles, les universités, les organisations socio-professionnelles, l’armée, la police, tout.

Comme Zeus, jaloux de son autorité et de son pouvoir, ce pays interdit toute opposition politique qu’il réprime sévèrement. S’exprimer librement, c’est trahir, un acte de terrorisme, un crime.

La « propagande contre l’Etat », donc la critique, est punie de 20 années d’emprisonnement [12], il lui fut interdit de voir son avocat.

Et jusqu’à son procès, – initialement fixé 9 juillet, mais reporté ce jour là, sine die -, il n’a pas pu rencontrer sa famille une seule fois, ni recevoir ses lettres.

Durant l’instruction de son dossier, ses réponses aux interrogatoires ont directement influé sur ses rations alimentaires hebdomadaires. Placé dans une cellule de 60 m²…mais avec cinquante autres détenus, il lui est interdit de lire autre chose que le journal du parti.

Mais tel Prométhée, LÊ QUÔC QUÂN est animé d’un feu ardent, dans lequel il puise la force de défendre encore, de se défendre.

Le 2 octobre 2013, il était enfin jugé ; l’accès à la salle d’audience, pour un procès de droit commun prétendument public, fut limité : des « accréditations » étaient requises.

Une Consœur française d’Avocats Sans Frontières s’apprêtait à s’y rendre lorsqu’elle fut « prise en charge », à son hôtel, par cinq agents de la sécurité publique.

Elle fut alors contrainte de signer un procès-verbal mentionnant qu’elle avait l’obligation de se trouver à une distance minimale de 50 km d’HANOI pendant le temps du procès, qu’il lui était interdit de s’approcher du Tribunal et qu’elle se rendrait aux visites touristiques requises, dument escortée.

Au terme de deux jours de débats, le Tribunal se retira quelques secondes – pour au moins tenter de sauver les apparences-, et revint lire un jugement de culpabilité, de plus de vingt pages…

LÊ QUÔC QUÂN était condamné, en première instance, à trente mois de prison et 59.000.USD d’amende, pour un délit de droit commun qui permet, en apparence au moins, d’éluder tout débat sur la violation de ses droits les plus élémentaires.

Au terme de cette lutte, inégale, il n’y a évidemment qu’un seul vainqueur :

 Prométhée, bien qu’enchaîné à sa montagne pour l’éternité tandis que l’aigle divin lui dévorait le foie, refusait encore et toujours de se soumettre à la volonté de Zeus, même en échange de la fin de son supplice ;

 Prométhée donc, plus fort que Zeus, « plus dur que son rocher et plus patient que son vautour » [13] ;

 LÊ QUÔC QUÂN aussi, plus fort que les autorités vietnamiennes, plus courageux et plus obstiné encore, à l’image de ce « premier symbole de l’humanisme » [14] ;

Et ce n’est pas si surprenant.

Car, et c’est encore CAMUS qui parle :

« Qu’est-ce que l’homme ?

Il est cette force qui finit toujours par balancer les tyrans et les dieux » [15]

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