Rapport annuel 2007 sur la situation des droits de l’homme au Viêt Nam

Human Rights Watch

Événements de 2006

Le 10ème Congrès du Parti Communiste Vietnamien (PCV) a apporté un changement significatif au Politburo avec le remplacement des vieux cadres par des membres plus jeunes. Cependant, les nouveaux venus n’ont pas apporté d’amélioration significative au respect des droits de l’homme.

Malgré un taux de croissance parmi les plus élevés d’Asie, le Viêt Nam reste à la traine des autres pays en matière de respect des droits fondamentaux de l’homme, et reste un pays à parti unique, intolérant à toute critique.

Des centaines de prisonniers politiques ou religieux restent derrière les barreaux, dans de dures conditions. En 2006 le gouvernement a libéré une poignée de prisonniers d’opinion mais en a arrêté des dizaines, dont des militants pour la démocratie, des cyberdissidents, des chrétiens appartenant aux minorités ethniques.

Les autorités continuent à persécuter des membres des églises indépendantes, imposent leur contrôle total sur Internet et sur la presse, limitent certains rassemblements publics, emprisonnent pour opinions religieuses ou politiques. L’existence des médias, des partis politiques, des organisations religieuses et des syndicats est subordonnée au consentement officiel et il leur est interdit d’agir dans un sens contraire à la ligne dictée par le PCV.

L’année 2006 a vu une agitation sociale sans précédent, un pouvoir tenter de museler un mouvement démocratique naissant, et la poursuite de la répression des bouddhistes et des chrétiens appartenant aux minorités ethniques.

Travail
L’année a commencé par une série de grèves spontanées impliquant des milliers d’ouvriers des usines à capitaux étrangers autour de la ville de Sài Gòn. Les ouvriers ont exigé des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Les grèves se sont rapidement propagées au centre et au nord du pays, mais se sont vite arrêtées quand le gouvernement a augmenté de 40% le salaire minimum des ouvriers travaillant pour les compagnies étrangères, à 54 dollars par mois. C’était la première hausse du salaire minimum depuis 1999.

Mouvement démocratique
En avril 2006 plus de 100 personnes ont publiquement signé l’« Appel pour le Pluripartisme » et le « Manifeste 2006 pour la Liberté et la Démocratie ». Les initiateurs du mouvement (appelé Bloc 8406, d’après la date du manifeste : 08/04/2006) sont le père Nguyen Van Ly, les dissidents Hoang Minh Chinh et Do Nam Hai. En août, plus de 2.000 personnes avaient signé ces appels publics.

En octobre, les militants ont annoncé la création d’un syndicat indépendant comme alternative à la Confédération Générale du Travail du Viêt Nam, contrôlée par le PCV. En 2006, les dissidents ont également lancé plusieurs publications indépendantes, comme Tu Do Ngon Luan (« Liberté d’Expression ») et Tu Do Dan Chu (« Liberté et Démocratie »).

Le gouvernement a répliqué en détenant et interrogeant plusieurs dissidents considérés comme meneurs et en confisquant leurs documents, ordinateurs, et téléphones portables (voir ci-dessous).

Libérer l’expression et Internet
Les lois du Viêt Nam sur les publications interdisent strictement celles qui s’opposent au gouvernement, divulguent des secrets d’état, ou diffusent des idées « réactionnaires ». Il y a peu de publications privées ; la plupart des publications sont éditées par le gouvernement, le PCV, ou des organismes sous la coupe du PCV. En 2006 les médias d’État qui habituellement étaient autorisés à parler de la corruption, ont passé sous silence le détournement des fonds d’aide internationaux par des hauts fonctionnaires du ministère des Transports.

Le gouvernement bloque les sites Web considérés comme choquants ou politiquement sensibles, surveillent les courriels privés et les forum de discussion en ligne, et rendent les propriétaires des cybercafés responsables du contenu des informations lues ou transférées depuis ou sur Internet par leurs clients.

Le nouveau décret N° 56, portant le nom de « Sanctions Administratives sur Les Activités de l’Information et de la Culture », fait la chasse aux activités telles que la diffusion des informations « nocives », « diffamatoires » envers la nation et les héros nationaux, ou révélant les « secrets du Parti, des secrets d’État, des secrets militaires et des secrets économiques. »

Répression de la dissidence
Les militants qui lancent des publications indépendantes ou utilisent Internet pour critiquer le gouvernement sont harcelés, détenus, emprisonnés. Pour ces motifs, au moins deux cyberdissidents restent encore en prison.

Nguyen Vu Binh purge actuellement une peine de sept ans pour « espionnage », à cause de ses envois par Internet, de son témoignage soumis par écrit à la Commission des Droits de l’Homme du Congrès des États-Unis, et pour avoir communiqué sur Internet avec d’autres militants démocrates à l’intérieur du Viêt Nam et à l’étranger.

Truong Quoc Huy, détenu en 2005 pendant plus de huit mois après avoir participé aux salons de discussions sur Internet consacrés à la démocratie, a été arrêté de nouveau dans un cybercafé le 18 août 2006. Il avait exprimé publiquement son soutien au mouvement pour la démocratie.

Mi-avril 2006, deux journalistes ont été arrêtés à l’aéroport de Sài Gòn et empêchés d’aller participer à une conférence sur la liberté d’expression à Manille.

Le 20 avril, la police a arrêté deux étudiants Montagnards et les a détenus pendant 18 jours dans une prison du Dak Lak, où ils ont été battus, interrogés et accusés d’employer Internet pour envoyer aux groupes de défense des droits de l’homme basés à l’étranger des listes de prisonniers politiques.

Le 30 juin, la police a perquisitionné la maison du dissident Nguyen Thanh Giang, confisquant des livres et des documents. Le 12 août, elle a perquisitionné les maisons de cinq dissidents, dont Nguyen Khac Toan, Nguyen Van Dai, et Hoang Tien, alors que ceux-ci se préparaient à lancer un journal indépendant. En octobre, Do Nam Hai et deux autres dissidents ont été convoqués à plusieurs reprises au commissariat pour « des sessions de travail » avec la police.

Le citoyen américain Do Thanh Cong (Tran Nam), un représentant du parti démocratique populaire, a été arrêté le 14 août, puis expulsé du Viêt Nam le 21 septembre. D’après la presse officielle, l’ordre d’expulsion indique qu’il a été arrêté pour avoir diffusé des informations anti-gouvernementales. Pour ce même motif, six Vietnamiens arrêtés en août à cause de leurs liens avec le parti démocratique populaire restent encore en détention. En novembre, quatre Vietnamiens et trois Américains d’origine vietnamienne, arrêtés en 2005, ont été condamnés à quinze mois de prison et à d’autres peines couvertes par la prison préventive. On les accuse de terrorisme et de contrebande de matériel radiophonique à l’intérieur du Viêt Nam.

Les militants démocrates Truong Quoc Huy et trois autres arrêtés en août – Nguyen Ngoc Quang, vu Hoang Hai, et le Ba Hai de Pham – ont été accusés de mener une propagande anti-gouvernementale.

Population
Les manifestations sont rares, particulièrement après la répression du gouvernement contre les protestations de masse, en 2001 et 2004, dans les hauts-plateaux des provinces centrales. Le décret 38, signé par le premier ministre en 2005, interdit les rassemblements publics à proximité des lieux où le gouvernement, le PCV, ou les conférences internationales se tiennent, et impose aux organisateurs des manifestations d’obtenir la permission du gouvernement à l’avance.

Avant le congrès du Parti en avril 2006 et avant la visite du Président Bush en novembre, la police a « nettoyé » Hà Nôi des enfants des rues et des personnes sans domicile fixe. Ceux-ci ont été envoyés de force dans des centre de « réadaptation », en périphérie de la ville où certains sont battus. L’armé a été déployée dans les villages des hauts-plateaux pour empêcher d’éventuelles manifestations pendant la visite de Bush.

Religion
L’ordonnance de 2004 sur la Foi et les Religions affirme le droit à la liberté religieuse. Cependant, elle exige que tous les groupes religieux se déclarent auprès des instances officielles afin d’avoir une existence légale, et elle interdit toute autre activité religieuse considérée comme susceptible de causer le désordre public, de nuire à la sécurité nationale ou de « diviser la population. »

Des disciples de quelques religions non reconnues par l’État continuent à être persécutées. La Sûreté Publique disperse leurs rassemblements religieux, confisque leur livres religieux, convoquent pour interrogatoire les chefs religieux, dans les commissariats de police.

Les moines bouddhistes de l’Église Bouddhiste Unifiée du Viêt Nam (EBUV) interdite, y compris son patriarche suprême, Thich Huyen Quang, et son adjoint, Thich Quang Do, sont confinés de force dans leurs pagodes.

En dépit des règlements destinés à améliorer la procédure d’enregistrement, les centaines de propriétaires de maisons qui servent de lieux de cultes protestants qui ont demandé en 2006 leur enregistrement ont vu leur demandes rejetées, ignorées, ou bien leurs dossiers renvoyés non ouverts. Sont concernées 500 églises protestantes des minorités ethniques des montagnes du nord-ouest. Dans les hauts-plateaux des provinces centrales, quelques églises de Montagnards liées à l’Église évangélique officielle (ECVN), reconnue par le gouvernement, ont réussi à se faire enregistrer. Néanmoins, les Montagnards appartenant aux églises chrétiennes non agréées par le gouvernement subissent une forte pression pour rejoindre l’ECVN ou bien pour renoncer à leur foi, malgré un décret de 2005 interdisant de telles pratiques.

En mai2006, une cinquante de policiers ont perquisitionné la maison – qui est aussi lieu de culte – du pasteur Mennonite Nguyen Hong Quang. Ils ont démoli les agrandissements en cours. Quang, un ancien prisonnier politique, est l’un des signataires du Manifeste 2006 du Bloc 8406.

Même les groupes reconnus officiellement font face à des problèmes. Plus de cinquante moines et nonnes de l’église bouddhiste officielle du Viêt Nam (VBC) ont manifesté en juillet 2006 pour protester contre l’emprisonnement et les tortures infligées à huit moines bouddhistes. L’un des moines a été battu à mort durant sa garde à vue. Le cas a été jugé par le tribunal populaire départemental de Bac Giang. Les policiers mis en cause ont seulement écopé d’une mise à pied provisoire.

Prisons et torture
Des centaines de prisonniers religieux et politiques demeurent en prison dans l’ensemble du Viêt Nam. Cela inclut plus de 350 Montagnards condamnés depuis 2001, accusés d’activités politiques ou religieuses pourtant paisibles ou d’avoir cherché asile au Cambodge.

L’usage de a torture et d’autres mauvais traitements sur les détenus est prouvé de façon indiscutable. Les prisonniers sont placés à l’isolement dans des cellules étroites, sombres, sales. Ils sont frappés et subissent des chocs avec des bâtons électriques.

La police arrête et maintien couramment en détention des suspects sans ordre écrit. Les procès faits aux dissidents sont cachés au public, aux médias, et aux familles des détenus. Sous le décret administratif 31/CP relatif à la détention, des individus accusés d’avoir attenté à la sécurité nationale peuvent être mis en résidence surveillée jusqu’à deux ans sans passer devant un juge.

Acteurs internationaux principaux
Ceux qui aident financièrement le Viêt Nam, dont la banque mondiale, la banque de développement asiatique, et le Japon ont manifesté leur vive préoccupation lorsqu’éclata en janvier le scandale du détournement massif des fonds d’aide par le ministère de transport, qui conduisit à la démission et à l’arrestation de plusieurs fonctionnaires du ministère.

L’Union Européenne est la plus généreuse à l’égard du Viêt Nam. Tandis qu’elle prêtait attention aux libérations de prisonniers politiques, elle plaçait le Viêt Nam dans la liste des pays préoccupants dans son rapport de l’année 2006 sur les droits de l’homme. En mai, une délégation du Parlement européen en déplacement au Viêt Nam réclamait la libération des prisonniers d’opinion, le libre accès pour la presse internationale aux hauts-plateaux des provinces centrales, et l’abolition de la peine de mort. En septembre, le Royaume-Uni a loué la diminution de la pauvreté au Viêt Nam mais a dit qu’il lierait la poursuite de son aide au meilleur respect des droits de l’homme, à la politique l’anti-corruption, au bon gouvernement et à la réforme financière.

Les relations avec les États-Unis ont atteint, en 2006 un niveau sans précédent, avec la reprise du dialogue sur les droits de l’homme – dialogue qui avait été suspendu depuis 2002 – et avec la visite du Président George Bush en novembre. Les USA ont retiré le Viêt Nam de la liste des pays particulièrement préoccupants pour atteinte aux libertés religieuses (Countries of Particular Concern). À la fin de l’année 2006, les USA ont accordé au Viêt Nam le statut de pays bénéficiant de « relations commerciales normales et permanentes. »