Tu ne critiqueras point La Chine

Asia Times Online

Depuis plusieurs mois, les autorités mènent une intense campagne contre la propagande antichinoise. Résultat de l’influence grandissante de Pékin dans un pays en difficulté économique.

08.10.2009 | Shawn W. Crispin

Ces dernières semaines, les autorités vietnamiennes ont jeté en prison plusieurs journalistes et blogueurs. On leur reproche d’avoir critiqué la Chine dans leurs écrits, notamment dans des articles dénonçant les investissements de Pékin dans un projet d’exploitation de la bauxite dans la région géographiquement stratégique des hauts plateaux du centre [voir CI n° 975, du 9 juillet 2009]. On les accuse aussi d’avoir abordé le vieux litige portant sur les îles Paracel et Spratly, en mer de Chine méridionale [ou mer de l’Est, pour les Vietnamiens], revendiquées par les deux pays. Cette répression reflète une tendance grandissante à museler les militants et les commentateurs qui en appellent au nationalisme vietnamien face au puissant voisin. Le gouvernement a ainsi mis derrière les barreaux, en 2008, le blogueur Dieu Cay, qui avait organisé sur Internet un mouvement de protestation contre le passage de la torche olympique en prélude aux Jeux de Pékin. Plus récemment, la journaliste Pham Doan Trang a été arrêtée pour son reportage sur les conflits territoriaux sino-vietnamiens. Peu après, l’accès en ligne à ses articles a été bloqué [elle a été relâchée début septembre, ainsi que deux autres ­blogueurs]. D’autres blogueurs ont subi le même sort, simplement pour avoir diffusé sur Internet des photos d’eux-mêmes revêtus de tee-shirts proclamant la souveraineté du Vietnam sur les archipels contestés.

Diverses thèses circulent sur les raisons pour lesquelles Hanoi prend avec autant de zèle la défense des Chinois. Sous couvert de l’anonymat, un analyste politique explique que le ­Vietnam était début 2009 au bord de la faillite, en raison d’une crise de liquidités provoquée par une baisse inquiétante de ses réserves de devises étrangères. En désespoir de cause, il s’est tourné vers la Chine, qui, elle, en dispose à profusion, pour un sauvetage financier secret. En contrepartie, toujours selon cette hypothèse, la Chine s’est vu accorder un traitement préférentiel dans le grand projet d’extraction de la bauxite. D’autres voient dans le durcissement du pouvoir la traduction de profondes dissensions internes opposant les factions conservatrice et réformiste à l’approche du Xe Congrès national du Parti communiste, prévu au début de 2011.

Pékin aide Hanoi à améliorer la surveillance d’Internet

Le Premier ministre Nguyen Tan Dung, champion des réformes économiques et chef de file des progressistes, a mécontenté certains éléments conservateurs, qui aujourd’hui cherchent à tirer un avantage politique de leurs liens avec Pékin. Selon certains observateurs, Dung risque de se voir marginalisé par les conservateurs avant le prochain Congrès, notamment à cause de ses réformes libérales (influencées par les Américains), qui sont jugées excessives et ont rendu le pays vulnérable face aux actuelles turbulences de l’économie et de la finance mondiales. Il lui est également reproché son style trop personnel, qui va à l’encontre d’une tradition de gouvernement collectif et anonyme.

Mais, les débats idéologiques sur l’orientation économique du pays étant clos pour l’essentiel, les rivalités au sein du Parti sont désormais nourries par la soif de pouvoir et l’âpreté au gain. Parallèlement, la lutte d’influence entre Chinois et Américains dans la région a accentué les clivages entre les différentes factions du Parti. Le Vietnam entretient des relations complexes avec la Chine voisine, d’autant plus que le souvenir de la brève mais sanglante guerre frontalière de 1979 est resté vivace. Les militants prodémocratie voient la main de la Chine – qui a considérablement accru ces derniers temps ses intérêts commerciaux au Vietnam – dans les efforts des autorités pour empêcher l’expression de tout sentiment antichinois. Ils mettent en avant le rôle du Tong Cuc 2 (ou Département général n° 2 du renseignement militaire), le service de renseignements, partisan de la manière forte, qui a été modernisé dans les années 1990 avec l’assistance technique des Chinois. Le Tong Cuc 2 a mené des opérations de surveillance à ­l’intérieur du pays sur des membres importants du Parti communiste. Il a pris une part active dans les ­campagnes de répression contre les ­militants démocrates. De l’avis de nombreux observateurs, la Chine a récemment aidé le Tong Cuc 2 à améliorer la surveillance d’Internet grâce à de nouvelles technologies [le Vietnam compterait 21 millions d’internautes et entre 1 million et 4 millions de blogs]. “Il est de notoriété publique que le Tong Cuc 2 est l’un des principaux canaux par lesquels Pékin exerce son influence au Vietnam”, affirme Duy Hoang, un responsable en exil du parti politique Viet Tan.

Dans le contexte de sa rivalité avec les Etats-Unis dans la région, la Chine a un intérêt stratégique capital à monter les diverses factions au sein du Parti communiste les unes contre les autres, soutiennent des analystes. Cette thèse s’appuie sur le fait que Pékin redoute qu’une direction du Parti unie et stable ne noue une alliance stratégique avec Washington qui permettrait aux forces armées américaines d’accéder au très convoité port en eaux profondes de la baie de Cam Ranh [dans le sud du pays]. Pour leur part, les responsables du Parti s’évertuent visiblement à pratiquer une diplomatie équilibrée entre Pékin et Washington. Par exemple, chaque fois qu’un navire de la marine américaine est attendu dans un port vietnamien, Hanoi s’assure que les Chinois sont également invités à venir jeter l’ancre. Mais, compte tenu du poids économique grandissant de la Chine et du soutien de plus en plus actif dont elle bénéficie au sein du Parti, les manifestations d’hostilité envers les Chinois continueront probablement de se heurter à l’avenir à une réaction prochinoise tout aussi énergique.