Vietnam : un affrontement meurtrier sur fond d’expropriation foncière laisse des questions sans réponse

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15 janvier 2020 – Duy Hoang

Le récent et violent différend foncier met en lumière de graves problèmes qui restent à résoudre.

Des milliers de policiers vietnamiens ont pris d’assaut un village à la périphérie de Hanoi aux premières heures du 9 janvier. Comme si elles affrontaient un dangereux chef terroriste, les forces de sécurité ont bouclé le village Dong Tam, illuminé la nuit avec des grenades éclair et, sous une grêle de balles, ont fait irruption dans la maison de Le Dinh Kinh, 84 ans, le patriarche du village.

Les forces de sécurité auraient tué Kinh ainsi que son fils. Mais Le Dinh Kinh n’était ni un terroriste ni un fugitif. Membre de longue date du Parti communiste, il était le patriarche d’une famille respectée et le chef d’un mouvement civil de protestation contre la corruption.

Depuis plusieurs années, les autorités municipales de Hanoi tentaient de s’emparer d’une partie du village Dong Tam par des intimidations physiques et des menaces légales. En avril 2017, les autorités locales ont commencé à saisir des terres qui appartenaient historiquement à la commune. Lorsque Le Dinh Kinh est arrivé sur les lieux pour s’y opposer, la police a agressé physiquement le vieillard et lui a brisé une jambe.

Dans un mouvement spontané, les villageois ont convergé vers les fonctionnaires et les ont retenus pendant une semaine. Pour sortir de l’impasse, le président du Comité populaire de Hanoi, Nguyen Duc Chung, a rencontré personnellement les villageois. Chung, qui était l’ancien chef de la police de Hanoi, a promis de ne pas exercer de représailles et de résoudre pacifiquement le conflit foncier.

En décembre 2019, Chung a émis un ordre faisant pression sur Dong Tam pour qu’ils renoncent à leurs terres. Les villageois se sont opposés à la décision des autorités de les exproprier pour le compte  de Viettel, le plus grand groupe de télécommunications du Vietnam[1]. Les villageois ont déclaré qu’ils tenaient à leurs terres et disent appliquer les consignes des dirigeants vietnamiens de lutter contre la corruption.

Dans les jours qui ont suivi l’attaque de la police du 9 janvier 2020, les médias d’Etat vietnamiens ont accusé les villageois d’être armés et de de s’opposer à la construction d’une clôture d’aéroport à proximité. Les médias d’Etat ont affirmé que Le Dinh Kinh était mort « en résistant aux fonctionnaires qui accomplissaient leur devoir public ». Les autorités ont également affirmé que trois agents de sécurité ont perdu la vie au cours de cette action[2]. Sans un accès de l’extérieur indépendant à Dong Tam, il est difficile d’évaluer les affirmations des médias d’État.

Ce que l’on sait, c’est que juste avant l’intervention policière, Internet a été coupé autour de Dong Tam. Des vidéos filmées depuis des téléphones portables et mises en ligne après l’intervention montrent des convois de police se dirigeant vers la commune, suivis de bruits d’explosions. Des proches ont pu récupérer le corps de Le Dinh Kinh le lendemain. D’après les images vidéo, il semble qu’il ait été touché à la tête et au cœur.

A leur habitude, les autorités ont consuré les nouvelles non-gouvernementales en provenance de Dong Tam. La police a également isolé les principaux blogueurs, basés à 35 de là, à Hanoi, pour les empêcher de faire des reportages sur l’incident. Un journaliste-citoyen bien connu, Trinh Ba Phuong, a été effectivement assigné à résidence pour ses reportages en direct la veille.

Actuellement, les tensions restent fortes et on ne sait pas combien de villageois de Dong Tam ont été blessés et combien sont toujours en détention. Les autorités empêchent tout déplacement dans la commune. Cet incident constituerait l’une des mesures de sécurité les plus médiatisées prises ces dernières années contre des opposants nationaux.

Les groupes de défense des droits humains ont appelé à la transparence. « Les autorités du Vietnam doivent lancer une enquête impartiale et transparente sur ces événements afin de déterminer qui est responsable des violences et si la police a fait un usage excessif de la force », a déclaré Phil Robertson de Human Rights Watch.

Mais le plus grand problème qui motive les conflits fonciers au Vietnam est la corruption officielle et le manque de responsabilité. Il est largement admis que les responsables du parti et du gouvernement s’enrichissent en se partageant l’usage des terres. Selon l’avocat vietnamien Le Cong Dinh, « Ces conflits fonciers sont issus du régime des droits d’utilisation des terres, qui permet à l’Etat d’acquérir, de posséder et de contrôler toutes les terres sur le territoire vietnamien au nom du “peuple” ».

Ce qui a peut-être le plus effrayé les autorités, c’est que Le Dinh Kinh s’est organisé avec ses voisins pour demander justice. Lors d’une des dernières réunions publiques de la commune, qui s’est propagé sur Internet, les intervenants ont réfuté les accusations des responsables de Hanoi selon lesquelles les habitants étaient manipulés par des forces extérieures. C’est notre terre, ont-ils dit, et nous sommes prêts à mourir ici.

Le meurtre de Le Dinh Kinh a déclenché une vague de tristesse teintée de colère parmi les internautes vietnamiens et les veillées de prière dans les églises activistes de Hanoi et Nghe An. À bien des égards, la répression violente à Dong Tam – qui signifie « coeurs unis » – met en lumière la crise plus large de la légitimité pour le Vietnam.

Duy Hoang est un dirigeant américain de Viet Tan, un parti politique pro-démocratie non autorisé au Vietnam.

Publication originale sur The Diplomat.

 

[1] NDLR : Viettel est une entreprise d’état, dirigée par le Ministère vietnamien de la Défense

[2] NDLR : Les circonstances et causes du décès des 3 agents restent mystérieuses. Depuis le 10 janvier, les médias d’état ont changé de version plusieurs fois sur les causes des décès.

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