Au Vietnam, des projets miniers ravivent des craintes d’emprise chinoise

AFP

HANOI – De gigantesques projets d’exploitation de la bauxite, avec technologies ou investissements chinois, suscitent un vif émoi au Vietnam, les experts dénonçant des risques sociaux et environnementaux mais surtout une mainmise de Pékin sur une région stratégique.

Dans un rare concert de critiques, voix de scientifiques, d’intellectuels et d’ex-militaires se mêlent à celles d’opposants notoires au régime pour dénoncer une décision prise sans concertation par quelques dirigeants des deux alliés communistes, au péril de l’indépendance nationale. Le général Vo Nguyen Giap, artisan de la débâcle française en 1954 à Dien Bien Phu, a mis en garde contre des “conséquences extrêmement dangereuses en matière de (…) défense”. Le bonze dissident Thich Quang Do, plusieurs fois proposé pour le Nobel de la Paix, a dénoncé des “effets destructeurs sur la vie et l’environnement de dizaines de milliers de personnes”.

Avec des réserves estimées par Hanoï à 5,5 milliards de tonnes, principalement dans les hauts plateaux du centre du pays, la bauxite vietnamienne suscite des convoitises, de la part du chinois Chinalco ou de l’américain Alcoa. Mais les critiques en sont persuadés : tout est fait pour que la Chine se taille la part du lion dans les provinces de Lam Dong et surtout de Dak Nong.

En 2007, Hanoï s’était doté d’un plan de développement de la bauxite estimé à plus de 10 milliards de dollars, visant une production annuelle de 13 à 18 millions de tonnes d’alumine d’ici à 2025.

Si les projets d’exploitation de gisements de bauxite sont menés à bien, les scientifiques craignent la destruction de sols fertiles, mais aussi des pénuries d’eau et des problèmes de pollution. Ils s’inquiètent pour la population, privée de terres et sans qualification pour travailler dans les usines.

“Il y a des problèmes financiers, écologiques, sociaux, culturels,” déplore l’écrivain Nguyen Ngoc, expert de la région inquiet de voir s’aggraver la marginalisation des minorités. “Mais la question la plus importante, c’est la question de (…) la sécurité et l’indépendance”.

Récemment, la polémique a enflé quand sont arrivés des ouvriers chinois à Lam Dong, où les terrains ont déjà été dégagés. Selon les experts, ils sont quelques centaines mais pourraient être plusieurs milliers à l’avenir, là et sur des gisements plus importants à Dak Nong. Une pétition d’intellectuels, déposée à l’Assemblée nationale avec 135 signatures, déplore que la Chine, après avoir fermé ses propres mines, vienne “faire porter le poids de la pollution aux générations présentes et futures de Vietnamiens”.

Dans un pays qui garde un souvenir amer du millénaire d’occupation chinoise, toute présence du grand voisin sur le territoire est perçue comme une menace. Pour les détracteurs du projet, les Chinois s’intéressent peut être à la bauxite, mais sûrement aussi au contrôle du “Toit de l’Indochine”.

“Les hauts plateaux constituent une position stratégique pour tout le sud de l’Indochine”, note Nguyen Ngoc, qui pointe la présence chinoise de l’autre côté de la frontière aussi, aux Cambodge et Laos. “On dit que celui qui est maître des hauts plateaux est maître de toute la partie méridionale de l’Indochine”.

“Pour des pays comme le Vietnam (…), exploiter des ressources naturelles au service du développement est nécessaire”, reconnaît Dang Trung Thuan, géologue spécialiste du dossier. Mais pour lui non plus, pas à n’importe quel prix. “L’exploitation est évidente, mais à quelle ampleur ?”, s’interroge-t-il.

(©AFP / 20 avril 2009 06h30)

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