Normalisation des relations commerciales et décret 31/CP

Ly Thai Hung

A moins d’un imprévu de dernière minute, le Viêt Nam deviendra le 150ème membre de l’Organisation Mondiale du Commerce, après 11 ans de procédures. Cette décision sera officialisée lors d’un sommet des membres de l’OMC le 8 novembre à Bruxelles. Le Viêt Nam espère aussi obtenir le statut de partenaire normal et permanent dans ses relations commerciales (PNTR en anglais) avec les États-Unis. Ces deux succès probables serviront beaucoup les intérêts des autorités vietnamiennes, à quelques jours du sommet de l’APEC qui se tiendra à Hà Nôi les 17 et 18 novembre.

Selon certaines sources, à Washington, les États-Unis accorderont le statut PNTR à Hà Nôi mais sous des conditions qui ne concernent pas l’économie. En effet, le point d’achoppement dans le dialogue américano-vietnamien concerne le décret 31/CP promulgué le 14 avril 1997. Ce décret est une invention de l’appareil répressif vietnamien qui permet à la Sûreté Publique d’arrêter et emprisonner toute personne jusqu’à deux ans sans jugement, pour motif de « protection de la sécurité nationale ». Dans les faits, les personnes tombées sous ce décret sont des dissidents religieux et politiques auxquels on colle l’étiquette d’ « espion » car ils ont échangé des emails avec des correspondants à l’étranger.

Depuis des années, grâce à la mobilisation d’organisations politiques vietnamiennes aux USA, Washington demande à Hà Nôi d’abroger le décret 31/CP en échange de l’obtention du statut PNTR et du retrait du Viêt Nam de la liste des « pays préoccupants » (CPC). Le mois dernier, le Département d’État, par l’intermédiaire de son représentant spécial sur les questions des droits de l’homme, a de nouveau demandé au Viêt Nam de retirer ce décret avant la tenue du sommet de l’APEC. Mais il semblerait qu’à cause des dissensions internes au Parti Communiste Vietnamien (PCV), le décret n’ait toujours pas été officiellement abrogé.

La prudence de Hà Nôi est compréhensible car le régime totalitaire répugne à abandonner un moyen de répression fort redoutable face au mouvement démocratique actuel. Ce mouvement prend toujours plus d’ampleur et gagne toujours plus d’adhésion, avec notamment la création récente d’une Alliance pour la Démocratie et les Droits de l’Homme, d’un syndicat indépendant, d’une association d’anciens prisonniers de conscience, etc. À défaut de pouvoir emprisonner les militants démocrates, les autorités recourent à de viles méthodes comme celle, toute récente, d’envoyer des policiers déguisés en voyous s’attaquer à Mlle Le Thi Cong Nhan et à Maître Nguyen Van Dai, après leur avoir refusé l’autorisation de sortie du territoire. Les autorités recourent aussi au harcèlement administratif, convoquant messieurs Do Nam Hai et Nguyen Chinh Ket tous les jours au commissariat, pendant plusieurs jours d’affilée, pour les interroger sur l’Alliance pour la Démocratie et les Droits de l’Homme. Même procédé à l’encontre de M. Le Tri Tue, accusé d’avoir participé à la création du syndicat indépendant… Ces réactions somme toute assez molles montrent que les autorités usent davantage du harcèlement que de la répression à l’encontre des dissidents.

L’hésitation actuelle de Hà Nôi est comparable à celle des autorités communistes polonaises, tchèques et hongroises, voici 17 ans, lorsque celles-ci furent obligées de lever l’état d’urgence promulgué à l’époque pour arrêter et détenir sans jugement toute personne s’élevant contre le régime. Avant de se décider à lever l’état d’urgence, les pays communistes d’Europe de l’Est avaient temporisé afin de négocier avec l’Ouest des conditions commerciales privilégiées. Tactique vaine, car la pression populaire conduisit à l’effondrement de ces régimes.

Les autorités vietnamiennes se trouvent devant un choix difficile. Mais la difficulté est de leur fait car elles ont choisi d’aller à l’encontre des aspirations du peuple, de l’humanité. Tant que Hà Nôi continuera dans la voie de la libéralisation économique sans concessions politiques, la communauté internationale et les organisations militant pour la démocratie maintiendront leur pression. Le déphasage entre l’économie et le système politique s’aggrave car l’une se modernise en s’ouvrant au libéralisme tandis que l’autre réprime pour protéger le pouvoir en place. Le PCV a sous-estimé l’ampleur du mouvement démocratique depuis la création du Bloc 8406, en avril dernier. Ce mouvement ne se limite plus à quelques dissidents célèbres. Il devient multiforme avec par exemple les grèves des ouvriers du textile, ou bien les manifestations des paysans expropriés. On retiendra plus particulièrement les révoltes populaires de milliers de paysans à Chi Thanh, Tuy Hoa, Phu Yen les 21 et 22 octobre derniers, coupant les voies de circulation sur 20 kilomètres. Les paysans protestaient contre la mort d’un des leurs dans un commissariat, sans doute torturé par la police.

En conclusion, l’évolution politique au Viêt Nam nous permet d’être optimiste. L’abrogation du décret 31/CP affaiblira encore plus le pouvoir totalitaire vietnamien, facilitant ainsi le développement du mouvement démocratique à l’intérieur du pays.

Ly Thai Hung
31 Octobre 2006