Quand faudra-t-il présenter ses papiers pour acheter ses légumes ?

Tran Duc Tuong
Depuis le 1er janvier, il faut déclarer son identité avant de pouvoir acheter une carte de téléhpone mobile pré-payée.

En ce début d’année, journaux et opinion publique commentent beaucoup la circulaire imposée par le Ministère de la Poste et des Télécommunications (PTT) concernant « l’encadrement de l’utilisation des cartes pré-payées pour téléphones mobiles ». Cette circulaire qui est entrée en application depuis le 1er janvier oblige les vendeurs de téléphones mobiles à déclarer la vente des cartes pré-payées, les numéros attribués, l’identité précise de chaque acheteur (nom, prénom, date de naissance, adresse) sur la foi de son certificat de citoyenneté – chung minh nhan dan – ou de son certificat de résidence – ho chieu -. Les personnes qui n’auront pas ces pièces d’identité devront passer par un tiers disposant de ces pièces officielles et qui voudra bien faire l’achat.

S-Fone est l’un des 4 opérateurs de téléphonie mobile au Viêt Nam. Mais aucun n’est totalement privé.

Posséder un téléphone mobile ne veut pas dire qu’on peut l’utiliser immédiatement. Il faut passer par un opérateur téléphonique pour obtenir une carte SIM (soit par abonnement, soit en pré-payant). On compte actuellement cinq opérateurs au Viêt Nam, tous publics ou semi-publics : Vinaphone (PTT), Mobiphone (une joint-venture entre les PTT et Comvik, un opérateur suédois), Viettel Mobile qui appartient à l’armée, EVN qui appartient à Electricités du Viet Nam, et S-Fone qui appartient à La Poste de Sài Gòn.

Dans le cadre d’un abonnement téléphonique, il est normal que les opérateurs recueillent l’identité précise de l’acheteur pour la facturation du service. Ceux qui ne souhaitent pas prendre un abonnement achètent des cartes pré-payées, comme les touristes par exemple. Selon le journal électronique VietNamNet, seuls 30% des utilisateurs choisissent un abonnement, alors que 70% préfèrent les cartes pré-payées. Le journal économique Sài Gòn Tiep Thi ajoute qu’une personne possède généralement plusieurs cartes pré-payées, soit autant de numéros de téléphones différents. Les statistiques des PTT indiquent 9,8 millions d’achats de cartes pré-payées en 2005, 15,2 millions en 2006 et projettent 24 millions en 2010.

Ces statistiques montrent que les vietnamiens, même vivant dans un pays en voie de développement, sont friands de technologies modernes. Cette réalité démontre l’aspiration des vietnamiens à échanger l’information, notamment à prendre des nouvelles de leurs proches. Or, les compagnies occidentales qui ont mis en place les réseaux de téléphonies mobiles au Viêt Nam l’ont fait sur le modèle de leur pays d’origine. Dans les pays occidentaux, la législation interdit aux autorités de s’immiscer dans la vie privée des citoyens, sauf exception. Les conversations téléphoniques effectuées sur les téléphones mobiles des gens relèvent du domaine privé. Les écoutes téléphoniques sont sévèrement réglementées et soumises à l’approbation des juges. Sans autorisation légale, les écoutes téléphoniques peuvent mener à des scandales retentissants comme l’affaire des écoutes de l’Élysée.

70% des utilisateurs de téléphones mobiles préfèrent les cartes pré-payées aux abonnements.

Jusqu’à présent au Viêt Nam, l’achat des cartes pré-payées était très simple, « aussi simple que d’aller acheter des légumes au marché » disait un opérateur téléphonique. Mais aujourd’hui, les autorités vietnamiennes n’acceptent plus que leurs citoyens puissent s’échanger librement des informations hors du contrôle de l’état. La circulaire imposant la déclaration de l’identité des acheteurs de cartes pré-payées a été lancée sans doute de peur qu’ils ne fomentent des complots pour renverser le régime ! Car cette mesure ne protège aucunement les opérateurs contre un quelconque aléa économique. Son seul but est de permettre au régime communiste de retrouver l’identité des personnes qui fournissent les moyens aux dissidents de communiquer avec des journalistes à l’étranger. Cette circulaire prévoit une coopération étroite avec le ministère de la Sûreté Publique et celui de l’Information. Les autorités ajoutent qu’avant cette circulaire « certains éléments perturbateurs ont profité de la situation pour diffuser des informations erronées et malhonnête à destination des médias étrangers, dans le but de salir le Parti et la République Socialiste du Viêt Nam… ». Selon les autorités, cette circulaire permettra d’ « empêcher les mauvais éléments d’utiliser les téléphones mobiles pour créer des troubles dans la société… ».

Non seulement la circulaire réglementant la vente des cartes téléphoniques pré-payées embête les utilisateurs de téléphones mobiles, mais elle crée un préjudice aux sociétés qui vivent de la vente de ces cartes. Les sondages effectués auprès des étudiants de Hà Nôi montrent qu’ils pensent diminuer leurs achats de cartes pré-payées. Cette prévision est confirmée par Nguyen Manh Hung, vice-président de la compagnie Viettel, qui ajoute que la baisse des ventes de cartes ne sera pas totalement compensée par l’augmentation des abonnements. Si, auparavant, acheter une carte pré-payée était aussi simple que d’acheter des légumes au marché, cette simplicité est aujourd’hui révolue. On peut alors se demander : faudra-t-il un jour présenter ses papiers pour acheter ses légumes ?