Quand le sentiment d’injustice du peuple cessera-t-il ?

Tran Duc Tuong

Depuis peu, l’expression « personnes injustement traitées » est apparue au Viêt Nam. Elle désigne les personnes qui ont déposé plainte contre les autorités pour demander la restitution de leurs biens immobiliers. Il n’y a pas que dans le jardin public Mai Xuan Thuong de Ha Nôi que l’on peut rencontrer les « personnes injustement traitées ». Dans tout le pays, là où existe un « bureau d’accueil de la population », on peut trouver des dizaines, des centaines de ces plaignants. Ils campent littéralement devant ces représentations du pouvoir, jour après jour, pour demander aux autorités de faire la lumière sur leur cas. Ces « personnes injustement traitées » portent plaintes car elle pensent que la République Socialiste du Viêt Nam est un état de droit. Elles le pensent non sans raison car le Parlement vietnamien est une usine législative, et parce que les autorités communistes utilisent leur interprétation de la loi pour opprimer le peuple.

Cependant, c’est si triste pour le petit peuple, impuissant devant le pouvoir absolu : demander la justice là où la justice n’a jamais existé ! Selon les journaux du régime communiste, le 2 août 2006, lors de la 14ème réunion du Groupe de Réflexion sur la Réforme de la Justice, « le Président de la République Socialiste Nguyen Minh Triet demande à l’appareil judiciaire de fournir des efforts supplémentaires afin d’améliorer son fonctionnement, d’accélérer les réformes, d’éradiquer « le mal endémique » qui sévit au ministère de la Justice, à savoir « faiblesse et insuffisance. » Cela démontre que, depuis toujours dans notre pays, il n’y a jamais eu d’état de droit afin de réguler les problèmes dans la société.

Dans le passé, surtout dans les décennies 50 et 60, on voit les images terribles des « tribunaux populaires » avec pour seul objectif de condamner à mort ceux que l’on veut désigner comme propriétaires fonciers. Lynchages publics déguisés en « tribunaux populaires ». Dans ces lieux, le juge est souvent un cadre du Parti Communiste, souvent illettré — que dire de ses compétences judiciaires — alors que les accusés n’ont pas le droit de se défendre — pas d’avocat — le procès n’est pas basé sur la question judiciaire mais plutôt sur l’idéologie… Un système judiciaire où, durant plusieurs décennies, il n’y a pas eu de faculté de Droit pour former les professionnels du monde juridique. Après avoir envahi le sud Viêt Nam, les communistes ont fermé la faculté de Droit de Sài Gòn. Les procès se sont alors déroulés comme dans les années 50, 60. Le régime communiste n’a rouvert la faculté de Droit qu’après le « doi moi » (le renouveau, autrement dit l’ouverture économique), en1986. Depuis cette date, le système judiciaire vietnamien comporte toujours de nombreuses zones d’ombres. Pis encore, les lois votés par le Parlement sont appliquées différemment suivant les lieux, suivant l’époque. Si bien que de nombreuses décisions de justice sont contradictoires entre elles. Certains parlent de lois de la jungle, ils n’exagèrent pas.

À titre d’exemple, il suffit de lire les journaux officiels du régime pour constater cette situation anarchique. Le journal Nguoi Lao Dong (Le Travailleur) du 7 août 2006 écrit : « 20 ans à attendre l’application d’une décision de justice : le juge d’application des peines du 5ème arrondissement de HCM-Ville garde depuis 1986 la somme de 550 000 dongs appartenant à M. Tran Dang Hung. L’intéressé a porté plainte auprès du tribunal de la ville pour réclamer la restitution rapide de son argent. Réponse : “vous devez vous adresser directement au juge, le tribunal est incompétent.” Cela fait 20 ans que M. Hung attend son argent. » Le journal Lao Dong (Le Travail) du 22 décembre 2004 imprimait : « Mauvaise application des peines, le peuple doit subir. Les gens qui obéissent aux décisions de justice perdent leur maison, leurs titres de propriétés et ne peuvent plus que rédiger des lettres de plaintes à l’échelon supérieur. A l’inverse, si ce sont les services de l’État qui sont dans l’erreur alors ceux-ci rejettent la faute sur la population auprès de leurs supérieurs. Cette situation anormale est en train de se produire au tribunal de Bac Giang. » Ce tribunal est aussi le lieu où des bonzes ont été jugés – sur la foi de faux témoignages – pour le vol de statues antiques de Bouddha, et condamnés. Il y a encore tant d’autres cas similaires… En résumé, tout l’appareil judiciaire vietnamien, depuis les organismes appelés Instituts de Surveillance de la Population jusqu’aux tribunaux en passant par les fonctionnaires, est jugé inefficace par les professionnels internationaux. Il est la source des procès injustes, inéquitables, dont le seul but est d’opprimer la population.

Ce n’est pas un hasard si le nouveau président de la République Nguyen Minh Triet a ordonné « une réforme du système judiciaire » après l’avoir qualifié de « faible et insuffisant ». Il semblerait qu’il ait déjà été bloqué dans sa voiture par les personnes injustement traitées. Sa vision du système judiciaire pourrait paraître juste. Elle est fausse. Il est faux de dire que ce système est insuffisant car il y a des tribunaux à tous les niveaux, depuis les cantons jusqu’aux grandes villes. Et les effectifs de l’appareil judiciaire ne sont pas en reste. Il y a bien plus de candidats que de postes vacants. Il est faux de dire que ce système est faible ; Il suffit de regarder la puissance de la Sûreté Publique pour se rendre compte. Qui ose dire que la Sûreté Publique est faible ?

Le président parlait peut-être de l’insuffisance de transparence et d’honnêteté dans les tribunaux, dans les jugements, dans l’intégrité et la déontologie des professionnels de la justice. Si c’est de cela qu’il s’agit, alors le système judiciaire vietnamien est vraiment insuffisant. Cependant, il est impossible de trouver des personnes honnêtes et intègres dans tout le Parti Communiste Vietnamien. Et les tribunaux de la République Socialiste du Viêt Nam seront toujours le lieu de représentation de pièces de théâtres, jugeant les gens selon la loi de la jungle. Les personnes injustement traitées seront encore plus nombreuses !