Vietnam : à l’école de la corruption

France Inter

11 novembre 2010

Un reportage signé Lucie Moulin à Hanoï, au Vietnam

« La journée des professeurs » est une institution au Vietnam. Le 20 novembre, parents d’élèves et étudiants vont offrir des cadeaux aux enseignants. Souvent dissimulés dans les bouquets de fleurs ou des boîtes de chocolats : de grosses enveloppes d’argent ! Une corruption qui ne dit pas son nom, et qui prend de plus en plus d’ampleur.

Ce jour-là dans les cours d’écoles, les parents d’élèves ont les bras chargés. Ici, une statue traditionnelle, là un parfum. Ils comblent les enseignants en échange de bons résultats pour leur progéniture. Une fois l’université, ce sont directement les étudiants qui prennent le relais. Et plutôt que des cadeaux, Loan préfère donner de l’argent. Pour ses professeurs, elle cotise en moyenne 40 euros par an.

Loan : L’étudiant, il aime donner seulement les enveloppes parce que c’est plus simple. C’est difficile et ça perd du temps de trouver qu’est-ce qu’ils veulent. Mais pour les parents, il y a un proverbe vietnamien qui dit qu’aimer, c’est respecter -ça c’était avant-, mais maintenant tu dois remercier.

Remercier, ou plutôt acheter. Car chaque enseignant a son prix et ses préférences. Selon les écoles, on paie donc pour quelques points ou même un diplôme, les plus riches étant parfois « dispensés » d’examen. Phuong est prof de physique à la fac. Selon lui, ses collègues qui acceptent les enveloppes sont tout simplement les plus mal payés.

Phuong : Le salaire minimum d’un professeur d’université, c’est 2 millions de dongs. Si vous vivez en ville, il vous faut au minimum de 4 millions de dongs par mois ! Et là je ne parle que de conditions de vie moyennes, pas particulièrement aisées. 4 millions de dongs, c’est-à dire 1,5 million pour le logement, 1,5 million pour la nourriture et 1 million pour les frais supplémentaires.

Et si les enseignants n’ont pas le choix, les parents sont tout autant accrochés à cette habitude. Certains par peur des conséquences, d’autres tout simplement par suivisme. C’est le cas de Kiem, maman de deux petites filles.

Kiem : Je n’ai jamais essayé de ne pas donner d’enveloppe au professeur. Je crois qu’au fond, que je donne ou que je ne donne pas d’argent, ça ne changera pas beaucoup son comportement vis-à-vis de ma fille. Mais puisque tout le monde le fait, je ne peux pas être une exception.

En ville, la pratique est devenue tellement fréquente que beaucoup la considèrent comme « normale ». Après tout, au Vietnam, on glisse aussi quelques billets aux policiers pour obtenir leur clémence, ou même à l’entreprise d’électricité pour éviter les coupures de courant ! L’école ne fait pas exception, elle est juste la première étape dans l’apprentissage de la corruption.

Ajoutons que selon l’organisation Transparency International, le Vietnam occupe la 116ème place (sur 178) du classement des pays les plus corrompus au monde.

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