Le rideau tombe sur l’incident Dong Tam

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14 septembre 2020

Par David Brown

Les verdicts ont été rendus pour l’incident de Dong Tam : un affrontement bref mais sanglant entre la police et une bande d’agriculteurs vietnamiens, restant toujours en opposition. Le 14 septembre, après une semaine de témoignages, de contre-interrogatoires, d’excuses et de demandes de clémence, le tribunal populaire de la ville de Hanoi a déclaré les 29 accusés coupables de résistance à l’autorité de l’État. Deux ont été condamnés à mort, un autre à la prison à vie et le reste d’entre eux à des peines moins sévères.

La sentence n’a cependant pas été une surprise. Il s’agissait d’un simulacre de procès ordonné et orchestré par les institutions de l’État vietnamien. Prisonnier après prisonnier, on entendait des aveux pratiquement identiques : « Je présente mes excuses aux familles des policiers qui se sont égarés. Je remercie nos professeurs en prison qui nous ont permis d’apprendre de nos erreurs. Je remercie mes avocats mais je n’ai plus besoin de leurs services. Et enfin, je demande une peine plus légère. »

Le régime de Hanoï voit d’un mauvais œil les protestations agraires. Selon la doctrine du parti et le droit vietnamien, la terre appartient au peuple et l’État la gère en son nom. Si les agriculteurs persistent à faire valoir leur droit de cultiver des parcelles de terre alors que le parti/l’État en a décrété une autre utilisation, ils risquent d’être étiquetés comme « émeutiers et terroristes », d’être expulsés de force et d’être poursuivis en justice, même si leur seule revendication est d’être payés à leur juste valeur.

Selon The 88 Project, un blog qui couvre les sujets de liberté d’expression au Vietnam, le ministère de l’Information a demandé aux médias d’État de dépeindre les accusés comme des « assaillants ayant attaqué en premier », de décrire leur chef comme « un membre dégénéré du parti », de souligner que « la plupart des gens sont d’accord pour dire que la police devait agir pour protéger la paix », et de ne pas rapporter « des arguments de défense préjudiciables au gouvernement ».

Un film “documentaire” produit par le Ministère de la Sécurité Publique a été diffusé au début du procès. Il illustrait la version des faits du gouvernement et comprenait des images d’accusés admettant leur culpabilité. Lorsque les avocats de la défense ont objecté et affirmé que leurs clients avaient avoué sous la contrainte, on leur a rétorqué qu’il « suffisait de regarder » pour juger de la culpabilité des accusés. Les avocats de la défense n’ont pas non plus eu la possibilité de parler aux accusés pendant les vacances judiciaires.

Les événements de Dong Tam, un ancien village situé à l’ouest du delta du Fleuve Rouge, se sont déroulés avec la fatalité d’une tragédie shakespearienne.

Acte I : il y a 40 ans de cela, l’État avait décrété que 208 hectares de terres seraient expropriés pour l’usage de l’armée de l’air. Il s’est avéré (pour des raisons encore inexpliquées) que 47 de ces hectares n’ont pas été intégrés la nouvelle base aérienne de Mieu Mon. Les habitants du village voisin de Dong Tam ont par conséquent continué à la cultiver comme ils l’avaient fait pendant des siècles car il s’agissait d’une terre agricole fertile.

Acte II : environ 35 ans plus tard, le ministère de la Défense a cédé ces 47 hectares à Viettel, une société de communication de haute technologie détenue à 100% par le ministère. Les agriculteurs ont érigé des pancartes proclamant leur droit de refuser l’expulsion et ont campé dans les champs. Le 15 avril 2017, le leader des agriculteurs et ancien chef de village Le Dinh Kinh ainsi que quelques autres ont été arrêtés. Les agriculteurs ont réagi en envahissant le bureau du village pour prendre en otage 38 fonctionnaires et policiers, un coup audacieux qui leur a valu une audience nationale sur les réseaux sociaux.

Acte III : Les évènements prennent une tournure surprenante. Avec la promesse que la revendication des villageois sur les terres contestées serait examinée en profondeur et que personne ne serait puni, le maire de Hanoi (ancien général de la police) a obtenu la libération générale des prisonniers.

Acte IV : La fin heureuse à laquelle on s’attendait n’a pas eu lieu. En avril 2019, les inspecteurs du gouvernement central ont annoncé leur verdict : les villageois n’ont ni droit sur les terres, ni sur une quelconque compensation monétaire. Peu de temps après, le ministère de la Défense a commencé à construire un mur autour du terrain en litige. Il semble que la famille et les amis de Kinh ont par la suite commencé à rassembler un petit arsenal comprenant des lances, des grenades à main improvisées et des coktails Molotov.

Acte V : Le matin du 9 janvier, la nouvelle d’un combat meurtrier s’est propagée sur les réseaux sociaux vietnamiens. Quatre en sont morts : parmi eux, trois policiers tombés (ou, alternativement, poussés) dans un puit d’aération, et Kinh, 87 ans, apparemment tué avec une grenade à la main alors qu’il résistait à son arrestation. Vingt-six autres (membres de la famille de Kinh et autres partisans) étaient en état d’arrestation. À la télévision nationale, le fils et le petit-fils de Kinh ont avoué avoir tué les policiers.

Dans les jours qui ont suivi, les trois officiers ont été proclamés martyrs héroïques et ont reçu des funérailles en grande pompe. Bien que la version officielle des événements meurtriers ait été plusieurs fois révisée au fur et à mesure que des pseudo-analystes investiguaient sur tel ou tel aspect, il devient de plus en plus clair que le récit officiel de l’Etat d’une attaque contre des agents des forces de l’ordre par les agriculteurs ne tient pas.

Certains pensent que l’incident de Dong Tam pourrait entraîner la mise en place d’une supervision par une autorité supérieure habilitée à contrôler plus étroitement les fonctionnaires locaux et les tactiques policières. Cela est cependant peu probable, notamment lors de situations comme la crise de la prise d’otages. Les décisions qui ont été par la suite choisies à Dong Tam n’auraient pas pu être prises à un niveau hiérarchique aussi bas. Les propositions du Ministère de la Sécurité Publique de répondre à la désobéissance des agriculteurs par une domination écrasante et meurtrière ont certainement été approuvées au plus haut niveau du parti au pouvoir.  Lorsque l’opération a échoué, laissant trois officiers morts, la haute direction du Vietnam a décidé de dissimuler les erreurs policières et de procéder à un simulacre de procès.

Presque aussi longtemps qu’il y a eu des agriculteurs, il y a eu des rébellions paysannes (Wikipédia en recensant de nombreux cas) et presque toujours ont-elles été brutalement réprimées.

Au Vietnam, la rébellion des Tay Son (1769-1788) avait réussi pendant un certain temps. De même que les diverses révoltes agraires de courte durée contre la domination coloniale française durant la première moitié du XXe siècle, elle est célébrée dans les livres d’histoire des lycées du pays.

Dans le Vietnam actuel, les protestations contre l’injustice des agriculteurs sonnent comme une histoire familière. Le Dinh Kinh semblait s’être persuadé lui-même, ses fils, ses amis et ses voisins que la justice et la loi était de leur côté, ce qui a entrainé les évènements aux conséquences tragiques que l’on connait aujourd’hui.

On ne peut espérer qu’un jour, la mémoire de Kinh et d’autres comme lui pourra être commémorée.

David Brown est un diplomate américain à la retraite avec une vaste expérience au Vietnam. Il contribue régulièrement à Asia Sentinel.

Source : Asia Sentinel

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