Un avocat s’attaque au Premier ministre pour un projet minier

AFP

HANOI – Un avocat vietnamien s’est attaqué en justice au Premier ministre, Nguyen Tan Dung, à qui il reproche d’avoir violé les lois environnementales en entérinant un projet ultra controversé de mines de bauxite, des poursuites selon lui inédites dans le pays communiste. “J’ai déposé une plainte devant la cour de justice de Hanoï jeudi après-midi”, a affirmé Cu Huy Ha Vu, vendredi à l’AFP.

Le but de l’avocat : faire revenir le gouvernement sur sa décision. “Le Premier ministre a signé une décision qui approuve le plan d’exploitation de la bauxite (…). Il faut annuler la décision”.

La Cour n’était pas en mesure de confirmer l’information vendredi. De gigantesques projets d’exploitation de bauxite, avec technologies ou investissements chinois, suscitent un vif émoi au Vietnam depuis plusieurs mois. Scientifiques, intellectuels et militaires dénoncent des risques sociaux, environnementaux et surtout de mainmise de Pékin sur la région stratégique des Hauts plateaux du centre du pays.

Lettres à Nguyen Tan Dung du général Vo Nguyen Giap, artisan de la débâcle française à Dien Bien Phu en 1954, pétition d’intellectuels, vagues de critiques voire d’insultes sur des blogs en vietnamien : le projet a provoqué un rare tollé dans une société habituée à l’autocensure.

Sur un site internet dédié au sujet et tenu par des intellectuels à l’origine de la pétition, une lettre est adressée à plusieurs agences de l’ONU, qui ont “accordé des millions de dollars au Vietnam pour son développement durable”, leur demandant d’intervenir auprès des autorités vietnamiennes.

En 2007, Hanoï a entériné un plan de développement de la bauxite estimé à plus de 10 milliards de dollars, visant d’ici à 2025 une production annuelle de 13 à 18 millions de tonnes d’alumine.

Si les projets d’exploitation des gisements, concentrés dans les Hauts plateaux du centre, sont menés à bien, les scientifiques craignent la destruction de sols fertiles, des pénuries d’eau, des problèmes de pollution. Ils s’inquiètent de risques d’exode d’une population locale privée de terres et sans qualification pour travailler dans les usines. Le tout pour peu de retombées financières si, comme prévu, une infime quantité d’aluminium est produite sur place et le minerai exporté sous forme d’alumine, semi-transformé.

La récente arrivée d’ouvriers chinois dans la région pour travailler sur un premier site a encore exacerbé les craintes.

Dans un pays qui garde un souvenir amer du millénaire d’occupation chinoise, toute présence du grand voisin sur le territoire est perçue comme une menace et les détracteurs du projet sont persuadés que Pékin s’intéresse au contrôle du “Toit de l’Indochine”.

“C’est la première fois au Vietnam qu’une plainte est déposée contre un Premier ministre”, a affirmé vendredi Me Cu Huy Ha Vu.

L’avocat est sûr de son bon droit : selon lui, la décision signée par Nguyen Tan Dung viole les lois sur l’environnement — une étude d’impact poussée aurait dû être menée au préalable —, la défense et le patrimoine culturel. Mais il s’attend tout de même à subir des “pressions très fortes”.

Ces derniers mois, les critiques ont été d’autant plus acerbes contre le projet que, selon ses détracteurs, la décision a été prise sans concertation, par quelques dirigeants des alliés communistes chinois et vietnamiens.

Interpellé à l’Assemblée nationale sur le sujet, le ministre vietnamien du Commerce et de l’Industrie, Vu Huy Hoang, a en partie justifié l’attitude du gouvernement cette semaine, estimant que les premiers gisements exploités n’étaient pas suffisamment “importants” pour être soumis aux députés.

(©AFP / 12 juin 2009 16h37)