Corruption, communisme et catholicisme au Vietnam

Samuel Gregg

Cette année marque le 20e anniversaire de la défaite du communisme dans l’Europe Centrale de l’Est. Alors que beaucoup se souviennent de l’effondrement des régimes communistes dans les pays comme la Pologne, l’Allemagne de l’Est et la Hongrie, d’autres se souviennent de l’héritage du marxisme : des millions de morts et de gens torturés, la « rééducation » et les camps de travail, les procès-spectacles, une destruction économique sans précédent et la pire dégradation de l’environnement dans l’histoire.

Comme l’a conclu l’ex-philosophe marxiste récemment disparu Leszek Kolakowski, dans son œuvre magistrale en plusieurs volumes Principaux courants du marxisme, ce n’est pas accidentel ; c’est au contraire l’aboutissement logique de la philosophie marxiste. Par définition, aucun programme politique fondé sur un point de vue matérialiste explicite ne peut se considérer lui-même limité par l’idée d’une dignité innée de l’homme, ou quoi que ce soit suggérant que la véritable dimension de la vie humaine transcende sa dimension physique.

C’est une des raisons pour lesquelles les régimes marxistes sont systématiquement hostiles à la croyance religieuse. Une autre raison vient du fait que certaines religions – comme le christianisme – insistent sur les limites inhérentes au pouvoir de l’État, y compris celui exercé par la « dictature du prolétariat. » Accepter l’idée de la liberté religieuse, fondée sur le devoir pour tous de chercher la vérité, c’est accepter que le pouvoir de l’État soit limité. Et c’est quelque chose qu’aucun gouvernement communiste ne pourra jamais réellement admettre.

Ainsi, ce n’est pas un hasard si le régime soviétique a férocement persécuté l’Église orthodoxe en URSS entre 1920 et 1940, exécutant des milliers de membres du clergé. Ce n’est pas non plus par hasard que l’Église catholique tout au long de l’après-guerre, dans l’Europe Centrale de l’Est, communiste, a souffert du poids de l’oppression d’État, avec des milliers de prêtres et de religieuses arrêtés, torturés et parfois exécutés, tandis que des croyants pratiquants étaient poussés aux limites du supportable.

S’il ne s’agissait que du passé, ce serait bien, mais si nous cherchons la preuve que les régimes communistes restent les mêmes, il suffit d’observer l’affrontement grandissant, bien que peu commenté, entre l’Église catholique au Vietnam et les autorités communistes du Vietnam.

Il y a environ 6 millions de catholiques au Vietnam aujourd’hui (environ 8 pour cent de la population). Ils sont la plus grande minorité religieuse dans un pays qui a été dirigé depuis 1975, dans son intégralité, par un gouvernement communiste. Comme tous les régimes communistes, le Vietnam a ses camps de « rééducation ». En outre, le régime harcèle depuis longtemps l’Église catholique. Il n’y a pas de meilleur symbole de cela que le défunt cardinal François-Xavier Nguyen Van Thuan, largement considéré comme un saint moderne. Avant son exil, le régime l’a emprisonné pendant 13 ans, dont neuf à l’isolement.

Certaines des raisons de ce traitement de l’Église catholique du Vietnam sont historiques. Les dirigeants vietnamiens sont parfaitement conscients que les catholiques ont été parmi les vietnamiens les plus anti-communistes pendant la guerre du Vietnam. Beaucoup de Vietnamiens ont également associé le catholicisme au régime colonial français.

Cet arrière-plan, cependant, est d’une importance marginale dans l’explication de la répression violente actuellement vécue par les catholiques au Vietnam. Au fond, la cause en est tout simplement la corruption du gouvernement.

Ainsi que l’ont écrit en 2008 les évêques catholiques du Vietnam, la corruption est un problème majeur au Vietnam. C’est vrai de tous les pays privés d’un État de droit et dans lesquels la manière la plus facile de s’enrichir consiste à confisquer la propriété des autres plutôt que de créer de la richesse à travers l’esprit d’entreprise. Le Vietnam est classé par Transparency International comme l’un des pays les plus corrompus.

Le plus récent système d’auto-enrichissement de la classe politique communiste du Vietnam a été la « réquisition » des terres des paysans, terres qu’elle peut ensuite revendre au plus offrant, tout en prenant tranquillement sa part de bénéfice sur la transaction. Sur ce sujet, l’Église a depuis longtemps pris la défense des paysans. La déclaration des évêques de l’année dernière insiste pour que les droits de propriété privée soient respectés.

Maintenant, les biens de l’Église sont de plus en plus menacés. Fin 2008, par exemple, les autorités des provinces de Vinh Long ont annoncé leur intention de s’« approprier » la terre d’un couvent de religieuses qui faisait également office d’orphelinat, dans le but de construire un hôtel. Plus récemment, des terres à Hanoi que le gouvernement reconnaît comme ayant appartenu à un monastère catholique depuis 1928, ont été tout simplement données par l’État pour de la construction résidentielle.

Ces histoires se multiplient dans tout le Vietnam. En réponse, des milliers de catholiques ont tenu des manifestations pacifiques depuis près d’un an. Comme le rapporte Amnesty International, la réponse de l’État a consisté en intimidation et violence. Les laïcs catholiques ont été dénoncés en ces termes typiquement marxistes de « contre-révolutionnaires », arrêtés et soumis à des procès-spectacles. Des religieuses et des prêtres ont été sauvagement battus par des policiers et par des « contre-manifestants ». Une femme a raconté à Amnesty : « ils profèrent des mots grossiers à l’encontre de nos mères et de nos pères, et disent des choses comme ‘tuer l’archevêque’ et ‘tuer les prêtres.’ »

Le Vietnam est un pays où le marxisme, bien décrit par Kolakowski comme « le plus grand fantasme de notre siècle », s’est révélé à nouveau comme rien d’autre que la couverture efficace d’une classe politique corrompue, pour maintenir son pouvoir et vivre aux frais des autres. Et, une fois encore, les chrétiens et la cause de la liberté religieuse en paient le prix.

Samuel Gregg D. Phil. Directeur de recherche

http://www.acton.org/commentary/541_corruption_communism_catholicism.php