Internet au Vietnam

Michel Tran Duc

21 Avril 2010

De nos jours, Internet est devenu un outil incontournable dans le monde entier. C’est un passeport pour voyager, communiquer, apprendre, échanger avec le voisin d’à côté ou bien avec un correspondant à l’autre bout du monde. Internet, c’est un accélérateur de croissance pour les pays en retard de développement. C’est une opportunité sans précédent de rattraper le niveau de connaissance des pays les plus avancés. Une opportunité qui n’existait pas il y a encore 20 ans.

Cependant, c’est dans les pays les moins avancés qu’Internet est le plus souvent censuré, comme c’est le cas au Vietnam. Il n’y a pas de doute, les dictatures se plaisent dans l’obscurantisme et, pour mieux les asservir, retardent au maximum l’élévation du savoir de leurs peuples. Le Vietnam n’échappe pas à cette règle. Pourtant, les vietnamiens voudraient être l’exception qui confirme la règle.

En 1997, c’est avec beaucoup de réticences que le régime communiste vietnamien a laissé le pays s’ouvrir à Internet. Le parti communiste vietnamien sent bien quelles menaces Internet peut représenter pour leur pouvoir, et il ne s’y est pas trơmpé. Le développement d’Internet au Vietnam est tout simplement fulgurant. En 98, il n’y avait que 20 000 internautes au Vietnam. Onze ans après, ce nombre a été multiplié par mille. Il y a actuellement au Vietnam plus de 21 millions d’internautes pour 87 millions habitants, soit près du quart de la population.

Longtemps privés d’informations indépendantes, les vietnamiens se sont emparés d’Internet pour assouvir leur soif de liberté. Car dans un environnement où l’information est étroitement contrôlée par le gouvernement, les internautes n’ont pas tardé à voir les possibilités qu’Internet peut offrir en termes d’expression et d’activisme. Les informations sur les scandales de corruption du gouvernement, les questions sociales et les analyses politiques à l’extérieur comme à l’intérieur du pays sont devenues les principaux sujets de discussion au Vietnam. Les gens se tournent vers les blogs, les sites internet privés, pour les informations qu’ils ne peuvent pas obtenir de la part des médias contrôlés par l’État.

Comme à son habitude lorsqu’il perçoit les menaces sur son pouvoir absolu, la dictature vietnamienne utilise la répression contre les internautes qui utilisent Internet pour exprimer leurs opinions politiques.

Les premiers cyber-militants sont apparus au début des années 2000. Les personnes qui suivent l’actualité du Vietnam se souviennent encore du jeune Lê Chi Quang, condamné à 4 ans de prison en 2002 pour avoir publié des articles critiquant le régime communiste. Ou bien le Dr Pham Hong Son, condamné à 8 ans pour avoir traduit en vietnamien un article intitulé « Qu’est ce que la démocratie » [52].

Facebook au Vietnam

C’est dans le courant 2009 que Facebook a décollé au Vietnam, coïncidant avec la fermeture du service de blog Yahoo360. En novembre 2009, on estimait le nombre d’utilisateurs de Facebook au Vietnam à un million. Facebook est également le réseau social préféré des étrangers expatriés au Vietnam.

Facebook permet aux utilisateurs de s’organiser en groupes venant de tout horizon. Le groupe comme « OVS Overseas Vietnamese Students » rassembleplus de deux mille étudiants à l’étranger comme au Vietnam. En septembre 2009, ce groupe s’est organisé pour monter une opération humanitaire à destination des sinistrés de l’ouragan Ketsana, au centre du Vietnam.

Lorsque Nguyen Tien Trung, un jeune militant pour la démocratie ayant fait ses études en France, a été arrêté au Vietnam, un groupe de soutien rassemblant près d’un millier de membres s’est créé sur Facebook [53].

D’autres groupes liés à une organisation militante pour les droits de l’homme comme « Friends of Viet Tan » [54] existent également.

Fin août 2009, un document du Ministère vietnamien de la Sécurité Publique demandant aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer un certain nombre de sites, dont Facebook, circulait sur Internet [55]. L’authenticité de ce document avait été mis en doute jusqu’à ce qu’en novembre 2009, le blocage ait réellement commencé. Interrogé par CNN, un officiel vietnamien justifie le blocage par le fait « qu’un certain nombre de réseau sociaux sont abusivement utilisés pour véhiculer des informations nocives pour la République Socialiste du Vietnam. » [56]

Très vite après le blocage, des groupes se sont formés sur Facebook (Facebook back in Vietnam) ou ailleurs (Bring Facebook Back – www.bringfacebookback.wordpress.com) et diffusent des outils et méthodes pour contourner le blocage gouvernemental et accéder au réseau social [57]. Une vidéo réalisée par le groupe Bring Facebook Back a déjà été visionnée plus de 52 000 fois sur Youtube.

A l’heure actuelle, le blocage de Facebook n’est pas total. L’accès au site est aléatoire, dépendant du lieu de connexion et de la date, le régime cherche surtout à décourager les gens d’utiliser Facebook.

Les cyber-attaques

Comme si ces méthodes ne suffisaient pas, le régime lance désormais des cyber-attaques sur les sites d’opposition.

Non content de censurer la liberté d’expression à l’intérieur du Vietnam, le régime communiste utilise des cyber-attaques pour espionner et tenter de réduire au silence les opposants en dehors des frontières du Vietnam. Les cyber-pirates aux ordres du régime opèrent de deux manières : l’attaque sournoise ou par la force brute. La première méthode consiste à envoyer un spyware, un logiciel espion, aux administrateurs du site web ciblé afin de dérober son nom de connexion et son mot de passe. Une fois connues, ces informations permettent aux cyber-pirates de prendre le contrôle du site internet, d’en modifier le contenu et d’interdire aux vrais administrateurs de se connecter. C’est ce qui est arrivé à l’un des administrateurs du forum de discussion X-café via un email piégé.

L’autre méthode consiste à submerger le site ciblé de requêtes massives, plusieurs milliers de requêtes par seconde, afin d’anéantir le serveur du site. C’est l’attaque par déni de service distribué (Ddos). Pour être efficace, cette méthode nécessite la prise de contrôle de plusieurs milliers d’ordinateurs infectés, appelés zombies, qu’on relie entre eux pour lancer l’attaque de manière simultanée. Cet ensemble d’ordinateurs zombies est appelé botnet. La constitution d’un botnet, qui peut rassembler jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de machines, n’est pas à la portée du premier cyber-pirate venu. En revanche, c’est tout à fait dans les moyens d’un état.

Une troisième méthode d’attaque pernicieuse a été lancée en novembre 2009. Les cyber-pirates, ont pu s’introduire à l’intérieur du site de l’Association des Professionnels Vietnamiens (VPS) et remplacer le très utilisé logiciel VPSKeys (pour l’écriture des lettres vietnamiennes) par une version vérolée, contenant un virus permettant une prise de contrôle à distance de l’ordinateur infecté [58]. Ce virus sera dénommé par la suite W32/Vulcanbot par la société Mc Afee, spécialiste des logiciel antivirus. Google et Mc Afee ont dénoncé une cyber-attaque politiquement motivée. Car cette attaque est spécifiquement ciblée contre les internautes vietnamiens de la diaspora. La prise de contrôle de ces machines n’est pas destinée à en faire des zombies et à les utiliser pour lancer des attaques de type Ddos. Il s’agit d’espionner leurs utilisateurs, de dérober leurs mots de passe de messagerie, de voler leurs clés PGP (Pretty Good Privacy), un logiciel de cryptage réputé pour être quasiment inviolable.

Le régime communiste vietnamien a monté d’un cran dans la répression des activités en ligne. Il n’utilise plus seulement les moyens passifs comme la surveillance des cyber-cafés ou la mise en place de pare-feu. Avec l’emprisonnement des blogueurs et les cyber-attaques, on peut dire que le régime a déclaré la guerre aux internautes vietnamiens qui s’obstinent à utiliser Internet pour exprimer leurs opinions.

Mais des millions de jeunes vietnamiens veulent tout simplement être connectés, communiquer entre eux et avec le reste du monde. Cette aspiration est totalement légitime et amènera de facto la liberté d’expression et d’association. Ces deux libertés sont le fondement de la démocratie. Il est crucial d’aider les vietnamiens à surmonter les restrictions et les harcèlements des autorités, y compris via des moyens de contournement des pare-feux.