L’inflation teste les limites de la croissance vietnamienne

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Par Andrew Symon, Asia Times, 17 mars 2008

Traduction : Viet Tan

La transition du Vietnam d’une économie planifiée à l’économie axée sur le marché est confrontée à une nouvelle série de défis posés par une inflation galopante. Selon la façon dont les décideurs économiques et financiers vont répondre, elle peut faire le succès actuel des réformes économiques du pays, ou bien le briser.

En février, l’indicateur de l’inflation du pays s’est accru de 15,7% en glissement annuel, soit la plus forte hausse en plus depuis une douzaine d’années, et actuellement le taux le plus élevé dans une Asie de l’Est en pleine industrialisation. L’inflation a bondi à deux chiffres pour chacun des cinq derniers mois, menaçant de remettre en cause la stabilité macro-économique et sociale qui a sous-tendu la croissance rapide du PIB, qui, ces cinq dernières années a été en moyenne de plus de 8%.

Dans le secteur industriel, l’épine dorsale des exportations du Vietnam, le mécontentement a augmenté en même temps que l’inflation est à la hausse. Cela se traduit par un nombre croissant de conflits sociaux et de grèves sur les salaires et les conditions de travail, qui, à ce jour, frappe de manière disproportionnée les entreprises à capitaux étrangers.

À la mi-février, plus de 5 000 ouvriers de Yazaky Eds Viet Nam Ltd, une entreprise à capitaux japonais, qui fabrique des pièces automobiles pour l’exportation dans la zone industrielle du Nord de Hai Phong, se sont mis en grève, exigeant des augmentations de salaire, plus des indemnités, et une réduction du temps de travail. Selon les journaux locaux, les ouvriers ont dit que leur salaire mensuel moyen est de 1,1 à 1,2 millions de dong (de 46 à 51 euros), pourtant au-dessus du taux de salaire minimum, ne suffit même plus à couvrir leurs besoins quotidiens.

D’après le Ministère du Travail, dans les deux premières semaines de cette année, 50 grèves ont eu lieu dans tout le pays, qui s’industrialise rapidement. Début mars, à la périphérie de Saigon, quelque 10 000 travailleurs ont débrayé à l’usine à capitaux coréens Tae Kwang Vina, qui confectionne des vêtements et chaussures pour la société Nike. Ces ouvriers exigent un salaire plus élevé pour suivre le rythme de la hausse des prix.

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Selon les statistiques gouvernementales, de 1995 à la fin de janvier 2006, plus de 1 000 grèves ont eu lieu au Vietnam. En 2007, il y a eu quelque 387 grèves qui coïncident avec l’augmentation des coûts de la vie. Parmi ceux-ci, 300 ont touché les entreprises à capitaux étrangers. L’année dernière, au grand dam des investisseurs étrangers, le gouvernement a augmenté le salaire minimum pour les travailleurs de l’industrie d’environ 25%. Mais comme les prix à la consommation se sont envolés, les protestations sociales ont continué.

Le Vietnam n’est pas le seul pays en Asie à faire face à des pressions inflationnistes, mais son taux d’inflation est à peu près le double de ceux de ses principaux concurrents régionaux. En Chine, l’inflation se situe à 7,1% et il est de 7,4% en Indonésie. L’inflation galopante au Viet Nam ne peut que partiellement être imputée sur les facteurs du marché mondial, comme la hausse des produits alimentaires et la flambée rapide du prix du pétrole.

Le Bureau Général des Statistiques, un organisme d’état, a déclaré lors de son annonce de février que le taux de 15,7% a été alimenté principalement par une augmentation de 25,2% du coût des denrées alimentaires et une hausse de 16,4% et dans les matériaux de construction, reflétant le boom de la construction dans le pays.

La surchauffe de l’économie perturbe également la balance des paiements, avec un énorme déficit commercial qui s’aggrave avec l’augmentation des importations. Pour les deux premiers mois de 2008, le déficit était de 4,2 milliards de dollars, contre 12,4 milliards pour l’ensemble de 2007. Ce chiffre représente une forte hausse par rapport aux 4,8 milliards de dollars de déficit pour 2006.

Mais ces pressions sont encore aggravées dans le cas particulier du Vietnam par une multitude de facteurs internes, y compris l’afflux rapide de capitaux étrangers, consécutif à une croissance rapide dans l’offre de monnaie locale et, apparemment, à la relative inexpérience du gouvernement dans la gestion de ces défis technocratiques.

Le gouvernement a, ces dernières années, a cherché à moderniser la Banque Centrale du Vietnam (BCV) pour en faire un gardien de la politique monétaire et des changes, dans le cadre d’un programme de réforme du secteur financier approuvé par la Banque Mondiale. C’est précisément ces types de réformes favorables au marché, qui avait, ces dernières années, fait du Vietnam le favori régional pour les investisseurs internationaux et des usines d’assemblage.

Maintenant avec un risque dans la stabilité macro-économique, cet engouement tourne au vinaigre. Ces préoccupations ont été exacerbées lorsque le gouvernement a soudainement reporté l’EuroMoney, une importante conférence sur l’investissement prévue pour le début de ce mois, qui a attiré l’année dernière plus de 1 500 délégués de plus de 30 pays différents, et qui s’est traduit par des dizaines d’investissement de plusieurs millions de dollars et la création de nombreux joint-ventures.

Auparavant, il n’y avait que des éloges pour le dynamisme économique du Vietnam, de son gouvernement pro-économie de marché et sa politique pro-investissement ; aujourd’hui, le gouvernement semble être, au moins partiellement, refermé sur lui-même comme à l’ère de l’isolationnisme communiste, car il évite d’offrir une tribune critiquant ses nouvelles politiques plus restrictives. Les organisateurs de la conférence Euromoney ont dit que l’événement se tiendra en septembre.

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Mais il n’est pas évident que d’ici là, la stabilité macro-économique aura été rétablie. L’inflation et d’autres distorsions des prix provoquées par ce que certains analystes appellent la « surchauffe économique » du Vietnam représente clairement le premier grand test pour le gouvernement et la banque centrale depuis son ouverture à l’économie de marché et l’afflux des capitaux étrangers.

Ces derniers mois, la BCV a mis un frein à la croissance de la masse monétaire, dans une tentative brutale de retirer des liquidités circulant dans le système financier par le biais des investissements directs étrangers et les portefeuilles d’investissement. Avec efficacité, la BCV a longtemps maintenu un taux de change fixe et artificiellement bas pour promouvoir les exportations. Maintenant ce taux, officiellement fixé le 13 mars à 15 865 dongs pour un dollar américain, fait l’objet d’une pression spéculative pour une réévaluation en hausse.

Les entreprises étrangères dans le secteur des exportations ont été les plus durement touchées par les récentes interventions de la BCV. C’est le cas lorsque la banque centrale tente de réduire la masse monétaire en circulation, ce qui rend la conversion des devises étrangères de plus en plus difficile pour les entreprises, principalement la conversion des dollars américains pour la monnaie locale, le dong.

Dans le même temps, le gouvernement a ordonné à la banque centrale et d’autres ministères de mettre en place plus de restrictions, comme des règles plus strictes à l’octroi de prêts, la hausse des taux d’intérêt, l’augmentation des réserves obligatoires des banques et l’expansion des émissions obligataires pour absorber la monnaie locale. Le gouvernement a également limité en 2008 à 30% la croissance du crédit par le biais du système bancaire, inférieur au plafond de 40% de croissance constaté en 2007.

Le gouvernement a également élargi provisoirement de 0,75% à 2% la bande de fluctuation du taux de change par rapport au dollar américain. Les dirigeants vietnamiens espèrent qu’un dong fort contribuera à réduire l’inflation en rendant les importations relativement moins chères, mais font part aussi de leurs inquiétudes sur les exportations qui seront moins compétitives, notamment vis-à-vis de la Chine qui a récemment permis à son taux de change fixe d’augmenter marginalement.

Les paramètres du nouveau resserrement de la politique monétaire de Hanoi mettront également à rude épreuve les entreprises locales, en particulier celles avec d’importantes recettes en devises et qui s’appuient sur des fonds étrangers afin de faire leurs paiements locaux. Et il existe un nombre croissant de rapports sur les entreprises à capitaux étrangers rencontrant des pénuries de dong dans les banques locales, ce qui engendre le non-paiementt du personnel et des loyers. Avec les banques qui ont reçu des ordres stricts pour préserver leurs réserves dong, de nombreuses entreprises s’approvisionnent en dehors du système bancaire pour leurs besoins en monnaies locales.

Le tout jeune marché boursier vietnamien, qui a perdu beaucoup de son lustre au cours des 12 derniers mois, est également frappé par l’inflation et les mesures restrictives du gouvernement. Par exemple, à la bourse de Saigon avec une capitalisation de 20 milliards de dollars, les petits investisseurs locaux ont vendu massivement leurs titres. Dans une tentative de calmer la fébrilité des investisseurs, le gouvernement aurait acheté de plus en plus d’actions pour maintenir les prix.

Le plus grand risque est que le resserrement monétaire affecte le secteur bancaire. Les analystes prédisent que des cracks pourraient apparaître en premier lieu dans les banques à capitaux mixtes. La concurrence pour attirer les dépôts est plus en plus forte et elle favorise les banques d’État en raison d’une meilleure garantie (on peut du moins l’espérer). Dans son rapport de février, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s (S&P) a mis en garde : « un retrait prolongé des liquidités ne fera qu’exacerber les faiblesses structurelles inhérentes au système bancaire du Vietnam. »

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Pendant ce temps la banque d’investissement américaine JP Morgan Chase s’attend à une inflation moyenne de 16,1% pour cette année au Vietnam, soit près du double des 8,5% connus en 2007. Toutefois les opinions varient sur la dangerosité des tensions inflationnistes sur la santé économique générale du pays. S&P indique qu’il ne s’attend pas à une forte inflation à la suite d’une dégradation dans la notation des emprunts d’état pour cette année ou l’année prochaine, à moins que l’inflation n’accélère beaucoup plus vite.

C’est une maigre consolation pour l’énorme population pauvre du pays, qui, avec l’augmentation des prix des produits de base a de plus en plus de difficultés à joindre les deux bouts. Jonathan Pincus, économiste senior à Hanoi pour le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), a récemment déclaré à la presse que le gouvernement doit contenir l’inflation en dessous de 10% afin que les entreprises puissent prévoir plus sereinement leur production et planifier leurs investissements. Les exportations restent compétitives et les pauvres ne doivent pas faire les frais de la politique monétaire d’une manière disproportionnée.

L’économiste fait remarquer que le taux d’inflation du Vietnam est maintenant deux fois plus élevé que les autres pays de la région, y compris la Chine. « C’est un gros coup dur si l’inflation est supérieure à 10%, » dit Pincus. « Le Vietnam doit reconnaître qu’il existe des problèmes mondiaux, mais il y a aussi des problèmes qui sont très spécifiques au Vietnam et ils ont besoin d’être résolus au Vietnam. » Pour le moment, le verdict est de savoir si les technocrates inexpérimentés du Vietnam sont à la hauteur de la tâche à accomplir.

Andrew Symon est un journaliste et analyste économique basé à Singapour. Il peut être joint à l’andrew.symon @ yahoo.com.sg


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