Au Vietnam, une amorce de contestation du parti unique émerge de la crise économique

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13 juin 2013

Par Bruno Philip

Hanoï, envoyé spécial. Une situation économique peu reluisante, un Parti communiste clivé par des dissensions internes, un premier ministre de plus en plus isolé… Le Vietnam traverse une sérieuse période de turbulences. Alors que la montée du chômage et la multiplication des faillites fait redouter une crise sociale.

Au milieu des années 1990, le Vietnam était perçu comme un futur “tigre” de l’Asie. Il y a encore cinq ans, beaucoup pariaient sur la réussite d’un pays qui, depuis 1986, s’était lancé sur la voie du doï moï (“le renouveau”). Un slogan qui augurait de vastes bouleversements dans l’économie et l’ouverture au marché d’un système hérité d’une vision soviétique.

La réalité n’est pas à la hauteur des attentes de ceux qui avaient misé sur une réelle émergence du Vietnam. Les succès enregistrés dans le passé sont indéniables, mais tous les signaux d’alerte sont désormais allumés : croissance la plus faible depuis treize ans (5,3 % en 2012), difficultés à maîtriser l’inflation (6,5 %), système bancaire pourri, dont le taux de créances douteuses – prêts non remboursés aux banques – s’élève officiellement à 8,8 % mais pourrait bien être de 15 % à 20 %…

QUELQUE 100 000 ENTREPRISES PRIVÉES ONT FAIT FAILLITE

Le climat général est déprimé. Quelque 100 000 entreprises privées ont fait faillite en 2011 et 2012 et déjà une quinzaine de milliers ont mis la clef sous la porte depuis le début de l’année. Exportateur majeur de prêt-à-porter et de chaussures aux Etats-Unis et en Europe, le Vietnam conserve des atouts dans ces secteurs. Mais ses exportations n’ont pas été épargnées par la baisse de la demande mondiale.

Les raisons des difficultés sont systémiques. Elles sont notamment la résultante d’une politique de croissance et de développement du premier ministre Nguyen Tan Dung reposant sur l’expansion de grands conglomérats d’Etat. Inspiré des chaebols sud-coréens, ce modèle a échoué. La faillite en 2010 du géant des chantiers navals, l’entreprise Vinashin, en a été la preuve la plus éclatante. Elle avait accumulé une dette de 3,3 milliards d’euros, soit 4,5 % du produit intérieur brut (PIB).

“On a injecté un courant formidable de capitaux dans ces conglomérats sans prendre la précaution de jeter les bases d’un système de contrôle, sans mettre en place les indispensables contre-pouvoirs”, analyse le célèbre économiste Le Dang Doanh. Membre du Parti communiste vietnamien (PCV), ancien responsable d’un cercle de réflexion officiel, ce septuagénaire dresse un tableau inquiétant.

UN TIERS DES DÉPUTÉS ONT “PEU CONFIANCE”

“On a essayé de vendre les actifs des entreprises publiques. On appelle ça, ici, “actionnariser” – mais cela n’a totalisé que 19 % des entreprises d’Etat, les principales restant sous le contrôle de l’Etat”, relève encore l’économiste. “Je redoute une crise sociale, prévient-il. Entre 2000 et 2010, les prix de l’immobilier ont décuplé alors que le PIB par tête n’a augmenté que de 2,9 %. Le coût du logement est maintenant 25 fois supérieur aux revenus moyens des Vietnamiens !”

Conséquence, le premier ministre est de plus en plus contesté par ses pairs. Mardi 11 juin, un tiers des 500 députés de l’Assemblée nationale, qui jouit d’un pouvoir limité dans ce système à parti unique, ont déclaré avoir “peu de confiance” dans le chef du gouvernement. Un désaveu.

Les relations du premier ministre avec le président de la République, Truong Tan Sang, et le secrétaire général du PCV, Nguyen Phu Trong, sont des plus mauvaises. Ce qui affaiblit la position de Nguyen Tan Dung, qui garde néanmoins le soutien de l’armée, de la police et d’une grande partie du comité central du PCV.

DÉBATS DANS CERTAINS CERCLES DE L’APPAREIL DU PARTI

Dernièrement, une pétition signée par 72 intellectuels, anciens ministres et officiers supérieurs de l’armée a illustré la nature des débats dans certains cercles de l’appareil, où l’on estime que des réformes économiques pour tirer le pays de l’ornière doivent nécessairement s’accompagner de réformes politiques. Même si les signataires du texte sont à la retraite, ce ne sont pas des dissidents, ils jouissent d’une légitimité incontestable qui leur a permis d’appeler à la suppression de l’article 4 de la Constitution qui définit le caractère dominant du Parti communiste et justifie le système du parti unique. Leur but est de faire évoluer le Vietnam vers la démocratie et les élections au suffrage universel. Rien de moins. On imagine l’onde de choc au sein du bureau politique, l’instance suprême du pouvoir vietnamien.

Comme l’explique au Monde l’un des rédacteurs de la pétition, Chu Hao, ancien ministre des sciences et technologies, “nous voulons préparer le terrain à l’émergence d’un système de multipartisme, même si nous sommes conscients que l’on ne peut pas espérer ce changement tout de suite, bien sûr”. “Pour que les choses bougent, continue-t-il, il faut qu’il y ait dans le parti des gens assez courageux pour faire changer les choses. Il y a en déjà peut-être, mais, pour l’instant, on ne les voit pas. Nous, les rédacteurs de cette pétition, ne sommes pas des utopistes. On sait bien que nos propositions ne peuvent pas être acceptées comme telles. Mais on fait cela pour contribuer à un processus d’évolution vers la démocratie dans le but de créer une société civile vivante et saine.”

Pour l’heure, le Vietnam ne prend pas le chemin de la démocratie et de la liberté d’expression. L’arrestation, depuis le début de l’année, de 46 militants, blogueurs et critiques du régime témoigne de la crispation des responsables d’un système de plus en plus contesté dans la population.

Source : Le Monde

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