Déclaration au Sommet Mondial contre la Discrimination et la Persécution

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Le 21-22 septembre 2011 alors que les dirigeants du monde se réunissaient au Siège des Nations Unies pour ouvrir la 66e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, une coalition internationale d’ONGs (dont Viet Tan) organisait un sommet parallèle pour pointer les situations urgentes de discrimination et de persécution à l’ordre du jour des nations, pour promouvoir les droits de l’homme et la démocratie et pour faire entendre ceux qui n’ont pas de voix.

Tran Khai Thanh Thuy a rejoint les défenseurs des droits de l’homme pour partager son expérience et son rêve pour le Vietnam.


Chers militants des droits de l’Homme qui participez à ce Sommet,

Au nom de ceux qui ne peuvent se faire entendre au Vietnam, et au nom de tous les membres de Viet Tan, où qu’ils se trouvent dans le monde, je voudrais remercier le comité organisateur de m’avoir fourni une occasion rare de m’exprimer sur la condition des droits de l’homme au Vietnam et de pouvoir partager avec vous mon expérience sur les années difficiles que j’ai passées dans les prisons communistes vietnamiennes.

Avant d’être ici aujourd’hui, je suis passée par la plus grande des prisons, celle de la République Socialiste du Vietnam, et par ses prisons faites de quatre murs. J’ai été placée en isolement pendant dix mois et chaque jour un gardien venait simplement voir si j’étais encore vivante. J’ai aussi été enfermée avec toutes sortes de criminels : des trafiquants de drogue, des drogués, ceux qui faisaient du trafic humain, des voleurs à la petite sauvette ou des voleurs en bande organisée, des violeurs, des meurtriers. Enfin, toutes sortes de criminels.

Je suis née en 1960. J’ai été professeur de lycée pendant onze ans et ai travaillé comme journaliste pour les médias d’état pendant sept ans. Après avoir vécu et travaillé cinquante ans au Vietnam, je n’ai jamais commis d’acte dont je puisse avoir honte. Mon rêve a été brisé et je suis devenue victime d’un régime brutal et corrompu parce que j’étais attirée par les belles notions de liberté, de démocratie et de droits de l’homme. Je suivais ce que ma conscience me dictait, et refusais d’écrire selon les règles que le régime imposait. J’ai été à plusieurs reprises harcelée au grand jour par la police, condamnée sous de fausses et ridicules accusations telles que pour trafic de drogue, tentative d’assassinat, utilisation illégale d’internet, et pour trafic de femmes et d’enfants. Ma maison a été perquisitionnée des douzaines de fois. On a confisqué mes affaires personnelles, comme par exemple mon ordinateur, mon téléphone portable, mon appareil photo, mes clés USB, mes livres et mes notes manuscrites. J’ai été arrêtée deux fois, en avril 2007 et en octobre 2009 pour, respectivement, désordre public et tentative d’agression.

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Tran Khai Thanh Thuy au Sommet Mondial contre la Discrimination et la Persécution

Trente mois de prison injustement mérités. Aussi bien mon corps que mon esprit étaient traités de manière cruelle. Je suis à plusieurs reprises passée de la vie à la mort, pour à chaque fois revenir à la vie. Les responsables en prison ont arrêté mon traitement contre le diabète pendant deux mois, ce qui a fait que j’avais constamment des nausées, des sueurs froides, des douleurs ; mes mains, mes bras, mes pieds et mes jambes étaient engourdis ; je murmurais à peine, je faisais pipi sur moi. Les huit fois où j’ai été supposée aller aux urgences, on m’a renvoyée à ma cellule sans aucun soin médical ni aucun médicament à part quelques calmants. A cause de tout ça, mon cerveau a été lourdement endommagé, causant maux de tête, vertige, fatigue, insomnie et troubles alimentaires. Mon organisme s’est de jour en jour détérioré. J’ai fait deux tentatives de suicide. La première, dans la prison B14. J’ai pris 34 somnifères et suis restée trois jours dans le coma. La deuxième fois, c’était à la prison de Hoa Lo. Je ne me contrôlais plus à cause du manque de sommeil et des violents maux de tête. J’ai essayé de me noyer dans une bassine d’eau, en espérant que la mort emporterait avec elle toute la douleur que j’éprouvais physiquement et mentalement.

J’ai été deux fois envoyée en prison et cinq fois on m’a battue. La première fois que j’ai été battue, c’était par l’Officier Le Phuong et l’inspecteur Nguyen Hung Tuan. La deuxième fois, la police a envoyé des officiers en civil chez moi pour me harceler. Les deux autres fois, c’était quand j’étais en prison. Des gardiens ont ordonné à un groupe de délinquants de me frapper au visage, la poitrine et même dans mes parties les plus intimes. J’étais meurtrie aussi bien physiquement que mentalement. Durant toutes ces années où j’écrivais et défendais les droits de l’homme et la démocratie au Vietnam, à part les fois où j’étais enfermée, j’ai toujours vécu sous la menace de quelque chose. Même maintenant, bien que je sois libre de la grande prison et des petites prisons grâce au gouvernement américain, à Viet Tan et à toutes les autres organisations des droits de l’homme, je n’arrive toujours pas à surmonter cette crise mentale. Après trois mois de traitement, après avoir repris un rythme régulier ainsi qu’un régime équilibré, je ne me remets toujours pas ni physiquement ni mentalement.

En plus d’être harcelée physiquement et mentalement, on m’a également interdit d’écrire et j’ai été détenue au secret sans pouvoir communiquer avec les autres prisonniers, politiques ou autres. Tous ce qui me sert à écrire, aussi bien les livres, les stylos, le papier, les cahiers et bloc-notes qui m’avaient été adressés par ma famille ont tous été confisqués par les gardiens de prison.

Tout peut arriver en prison. Elle est pleine de risques, de tragédies, de honte, de tristesse et d’événements malheureux. J’étais une personne qu’on peut qualifier de bonne, de digne, et auteure de vingt livres publiés au Vietnam et à l’étranger. J’ai été arrêtée, battue, harcelée, traitée comme un animal et suis devenue très malade à cause du manque de nourriture et de médicaments. De plus, il ne m’était pas possible de communiquer ou d’envoyer des lettres à ma fille, mon mari ou ma mère à la maison. Il y a eu des moments où je déprimais, des moments où je perdais toute illusion ou tout repère et faisais abstraction de tout ce qui m’entourait. Si on n’avait pas fait pression pour ma libération, je serais certainement devenue folle.

J’ai par ailleurs été témoin de nombreuses et scandaleuses violations des droits de l’homme lors de mes deux incarcérations.

- Les prisonniers étaient traités comme des enfants. Le personnel pénitentiaire les obligeait à s’adresser à eux en des termes respectueux de piété filiale, alors que la plupart du personnel avait environ quarante ans de moins que les détenus et les prisonniers. Les Prisonniers devaient porter un insigne mentionnant leur nom, leur adresse, leur crime, la date de leur arrestation et le temps de leur détention afin qu’ils puissent prendre des photos.

- Les prisonniers devaient porter une inscription sur leurs uniformes de prison, aussi bien que sur tous les vêtements envoyés par les membres de leur famille.

- Les prisonniers devaient travailler le week-end pour atteindre des quotas élevés. Tout le monde devait travailler neuf à dix heures par jour avec seulement 15 minutes de pause déjeuner. Alors qu’en vertu de l’article 15a de la Loi vietnamienne, les prisonniers sont autorisés à se reposer les week-ends ; s’il s’avère nécessaire de travailler le week-end, un autre jour de repos doit leur être proposé. Ils profitaient du fait que la plupart des prisonniers ne connaissent par la loi pour les faire travailler, quelle que soit leur condition. Ceux qui physiquement ne pouvaient pas travailler devaient payer pour qu’on les laisse tranquilles.

Les cellules de prison étaient extrêmement sales et peu saines. Une pièce de 40 m² pouvait contenir entre soixante et quatre-vingt prisonniers, comme dans les camps de concentration des Nazis ou de Staline. On devait tous dormir sur un côté pour que tout le monde ait de la place. Tout ça, en plus de la chaleur, du manque d’air, des moustiques, etc.

Les cellules étaient faites sur deux niveaux. Le haut était aéré alors qu’il faisait extrêmement chaud et étouffant dans le bas, comme dans un four humain géant. Tous les jours, un prisonnier était appelé et fouillé à six reprises dans la journée. Soixante-dix personnes se bousculaient dans leurs activités quotidiennes, créant ainsi une nouvelle civilisation de prison, une civilisation aux toilettes communes. Des visages blêmes tenaient leurs pantalons et leur estomac, attendant leur tour. Vous pouviez entendre les gens marmonner, insulter, se plaindre, faire des reproches et hurler de partout. Quand vous êtes en prison, c’est comme si vous deviez oublier les bonnes manières et vous complaire dans la grossièreté et la saleté. Après avoir martyrisé nos corps à travailler dans les usines et les fermes, des milliers de prisonniers se pressaient à un puits, essayant de se doucher. C’était comme un énorme animal de ferme poussant de gros bruits, bousculant et criant dans un petit espace et un temps limité. Si ce qu’ils disaient reflétaient leur âme, alors les dizaines de milliers d’âmes qui peuplent les 900 prisons à travers le Vietnam sont sales, pourries et fétides.

On peut dire que jamais auparavant les droits de l’homme au Vietnam n’avaient été aussi sévèrement violés que maintenant. Des centaines de personnes sont arrêtées pour avoir simplement exprimé leur opinion, réclamé la restitution de leurs biens, demandé la démocratisation du pays, appelé à des changements pour une société plus humaine avec un système pluraliste et pluripartite, demandé l’abrogation de l’Article 4 de la Constitution vietnamienne, réclamé l’intégrité territoriale, ou s’être opposé à la note diplomatique signée par Premier Ministre nord vietnamien Pham Van Dong. Qu’il soit activiste pour la démocratie, ouvrier ou avocat, étudiant ou intellectuel, tous deviennent victimes des mesures de répression du gouvernement vietnamien à travers sa soi-disant force de sécurité publique du peuple (en réalité, la police est formée de membres du Parti communiste vietnamien et agit comme vecteur pour supprimer toute velléité populaire). En garantie d’un salaire minimal de la part des dirigeants du Parti, la police met volontairement sa conscience de côté et applique la dictature, la répression et commet de graves crimes contre son propre peuple.

Il ya des centaines d’exemples de violation des droits humains qui illustrent la cruauté de la police travaillant sous un régime dictatorial.

- Le 7 Juin 2010 à 21h00, Nguyen Phu Trung est entré chez Nguyen Viet Thu (village de Thuy Xuan Tien, arrondissement de Cuong My). Pensant qu’il s’agissait d’un voleur, Thu a attrapé Trung par le col et l’a frappé, puis est allé signaler l’incident à la police du village. C’est alors que Vu Dinh Nghia (30 ans), adjoint de la police du village Thuy Xuan Tien, Le Van Hoan (33 ans), officier de police et Nguyen Quang Sinh (36 ans) ont utilisé des tiges électriques, des menottes et des bâtons en bois pour battre Trung. Ils lui ont brisé cinq côtes. Après ça, ces trois personnes ont mis Trung sur un tricycle et l’ont jeté sur le bas-côté de la route qui longe l’autoroute 6A à Tien An, village de Thuy Xuan Tien puis sont partis.

- Le 22 Décembre 2009, la police de la sécurité publique du village de Bom Bo (arrondissement de Bu Dang, province de Binh Phuoc) a arrêté Nguyen Van Long (40 ans) et l’a emmené au poste de police du village pour “enquêter sur une présomption d’agression sexuelle sur des enfants “. Après une nuit passée à l’état-major, Long est décédé durant sa détention.

- Le 15 Mars 2010, Nguyen Manh Hung, 33 ans, est décédé après avoir été détenu dans l’arrondissement de Ha Dong (ville de Hanoi). Après 11 jours de prison, on a retrouvé son corps tout sec, ses dix doigts enflés étaient violet-noir, ses deux jambes meurtries étaient noires et bleues. Ces 18 derniers mois, Nguyen Xuan Binh, le père de la victime, a adressé des réclamations un peu partout, mais pour le moment, il n’a aucune information concernant les circonstances douloureuses du décès de son fils.

Ces exemples démontrent que le système juridique n’est pas fait pour appliquer la loi ou assurer la justice, mais est l’instrument de la force et de la répression contre les gens ordinaires. La cause principale est l’autoritarisme et le manque de responsabilité du système à tous les échelons. Les fonctionnaires se donnent le droit de décider de la vie ou de la mort de chacun. Malheureusement, ce phénomène n’a pas l’air de diminuer, mais a plutôt tendance à augmenter. Ceux qui sont censés “exercer des fonctions officielles” sont ceux qui abusent de leurs pouvoirs et c’est pour cela que le peuple perd confiance en l’Etat.

Non seulement tout l’appareil de sécurité de l’Etat gagne de l’ampleur avec environ 1,2 millions membres, mais le nombre de généraux est également monté à 300. Le Premier Ministre Nguyen Tan Dung nommera bientôt 70 généraux de plus. Pourtant, il est un fait que le Vietnam est instable.

Une autre raison importante qui explique les abus de la police est que la direction de Hanoi utilise systématiquement le système juridique pour réprimer le peuple, une répression souvent réalisée par des personnes dites régulières. Il y a en conséquence un nombre incalculable de personnes blessées ou battues à mort par la police. Notamment les militants pour la démocratie, les syndicalistes et les fermiers activistes qui ont été arrêtés et torturés en prison. Parmi les militants récemment arrêtés, il y a Ho Thi Bich Khuong, arrêtée pour la troisième fois le Janvier 1, 2011 ; Nguyen Hoang Quoc Hung, Do Thi Minh Hanh et Doan Huy Chuong, arrêtés en février 2010 ; le pasteur Duong Kim Khai, Trân Thi Thuy, Nguyen Thanh Tam, Pham Van Thong, Nguyen Chi Thanh, Pham Ngoc Hoa, et Cao Van Tinh arrêtés en Juillet 2010.

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Tran Khai Thanh Thuy en compagnie des autres dissidents participant au Sommet Mondial contre la Discrimination et la Persécution

Le régime de Hanoi se fiche qu’on le critique sur la violation des droits fondamentaux. Il continue de restreindre la liberté sur internet, les médias privés et les organisations indépendantes. Il réprime ceux qui défendent la liberté d’expression, appelle à des réformes juridiques et à la libération des prisonniers politiques. L’avocat Cu Huy Ha Vu a été arrêté en Novembre 2010. Le Professeur Pham Minh Hoang a été arrêté le 13 août 2010. Le blogueur Nguyen Van Hai a été arrêté une seconde fois en octobre 2010, sans aucune explication. Et depuis juillet-août, plus de 13 jeunes militants catholiques et blogueurs ont été arrêtés arbitrairement.

Le Rapporteur spécial sur les droits humains auprès des Nations Unies se voit régulièrement refusé le droit de se rendre au Vietnam. La position souvent adoptée par le Vietnam communiste est qu’ils n’arrêtent pas les dissidents politiques, mais seulement les contrevenants à la loi. Cela démontre combien le régime est malhonnête quand il s’agit des droits humains et comment il essaie de berner l’opinion publique. Les Vietnamiens qui se trouvent au Vietnam et ceux vivant à l’étranger doivent travailler ensemble afin d’arracher eux-mêmes ces droits humains. En même temps, il est extrêmement important qu’ils aient le soutien de toutes les personnes éprises de liberté et du monde entier. Nous sommes infiniment reconnaissants pour tout le soutien international et, la situation devenant de plus en plus critique, nous appelons la communauté internationale à soutenir le processus démocratique qui a lieu au Vietnam et à faire pression sur le régime communiste de Hanoi pour respecter les libertés fondamentales garanties par, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Enfin, mon rêve est que, dans un proche avenir, le régime communiste courbe la tête devant le peuple vietnamien, au Vietnam comme à l’étranger, et s’incline devant la communauté internationale pour les violations des droits humains de toutes ces années.

Tran Khai Thanh Thuy
New York
22 septembre 2011

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