Derrière l’emprisonnement des journalistes

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Par Roger Mitton
Vendredi 24 Octobre 2008

La ligne dure du Parti communiste se met à tuer le messager et tire sur le Premier ministre

La condamnation à Hanoï la semaine dernière de deux journalistes chevronnés est plus liée aux luttes intestines au sein de la direction du Parti communiste du Vietnam que de toute autre chose. La parodie du procès des journalistes anti-corruption et de deux enquêteurs montre l’intensité du conflit entre les factions conservatrices et réformatrices. Le perdant semble être le Premier ministre Nguyen Tan Dung.

Une nouvelle génération de technocrates réformateurs et d’autres partisans d’une société plus ouverte et plus transparente se sont réunis autour de Dung. Ils viennent pour la plupart du Sud du pays et ont étudié dans les universités occidentales. Sous la direction de Dung, ce groupe constitue le fer de lance de la progression du Vietnam vers une plus grande économie de marché avec un accent mis sur une forte croissance, davantage d’investissements et des dépenses de consommation plus élevées. S’oppose à eux un groupe plus nombreux composé de hauts dirigeants, la plupart issus du Nord et du Centre du Vietnam, et majoritairement des militaires et des policiers du parti, qui place la stabilité nationale au-dessus de tout. Ces conservateurs appréhendent toutes les réformes, économiques ou politiques, avec la plus grande prudence, car selon leur point de vue, elles mènent à une menace impardonnable à la primauté du parti.

Constitutionnellement, le Vietnam est un État à parti unique. Excepté le parti communiste, aucune autre organisation politique n’est autorisée à exister. Et naturellement, tout événement qui jette le discrédit sur le parti risque d’affaiblir l’acceptation par la population de cette règle absolue. Et aucun événement au cours de ces dernières années n’a autant écorné l’image du parti que le scandale PMU-18 d’il y a deux ans.

À l’époque, en pleins préparatifs du 10e Congrès du parti, les enquêteurs de la police ont organisé des fuites dans les médias sur la façon dont des fonctionnaires de l’unité de gestion de projet 18 (PMU-18) du ministère des Transports avaient détourné de grosses sommes d’argent pour parier sur des matchs de football dans la Premier League anglaise. Le directeur de la PMU-18, Bui Tien Dung, a publiquement avoué avoir détourné 2,6 millions de dollars de fonds ministériels provenant de la Banque Mondiale et du Japon pour les utiliser dans des jeux de hasard et d’autres activités illicites.

À l’époque, aucun haut dirigeant vietnamien n’a suggéré qu’il pourrait y avoir de doute sur la complicité de ces fonctionnaires du ministère des transports dans les pratiques de corruption. Il a été immédiatement considéré comme acquis, et pas seulement par les gens ordinaires – qui, en tout cas, croient que tous les fonctionnaires du parti, de haut en bas, trempent dans la corruption – mais aussi par les dirigeants nationaux que les fonctionnaires sont coupables et doivent être punis. Ainsi, le groupe du PMU-18 a donc été condamné à des peines allant jusqu’à 13 ans, tandis que le ministre des Transports a été contraint à la démission et son adjoint a été arrêté pour complément d’enquête.

Les deux principaux agents de police qui ont ébruité l’information aux médias ont dit qu’ils l’ont fait parce qu’ils savaient que c’était la façon la plus rapide de pousser leurs supérieurs à prendre des mesures contre les mécréants.

Bien entendu, l’altruisme civique n’est pas le seul motif. Eux et les journalistes savaient bien, étant donné le moment de la fuite, qu’elle serait utilisée pour discréditer certains chiffres qui ont été mis en avant pour la promotion du 10e Congrès du Parti en ce mois d’avril.

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Après tout, la corruption est généralisée à tous les niveaux du parti et, pourvu qu’elle soit relativement discrète et pas trop excessive, la corruption est tolérée afin que les responsables du parti et de l’armée, de la police et de la fonction publique puissent vivre confortablement, en dépit de leurs pitoyables salaires officiels.

Le ministre des Transports de l’époque, Dao Dinh Binh, était déjà membre du Comité central du Parti et considéré comme un membre potentiel pour le Politburo. Son adjoint Nguyen Viet Tien, et le Major Général Cao Ngoc Oanh, un associé du chef de l’unité PMU-18 de Bui Tien Dung, étaient pressentis par le Comité Central pour être promus respectivement ministre et vice-ministre des Transports. Mais après avoir été publiquement pointés du doigt dans le scandale de corruption, leurs chances de promotion furent anéanties.

Comme l’analyste politique Duc Huy l’a noté dans son blog, dans les luttes des différentes factions politiques au Vietnam, de nombreux politiciens « utilisent les journaux comme un moyen de servir leur propre intérêt. » Et ils le font souvent pour faire disparaître leurs rivaux.

Dans quelle mesure la chute du gang de la PMU-18 était due à leur implication directe dans la corruption, car vu la façon dont leurs rivaux les ont exposés publiquement, cela reste un point discutable. Mais à l’évidence la décision de les exposer et de les sanctionner est une décision politique qui a été soutenue par les réformistes, y compris Nguyen Tan Dung, alors Vice-Premier ministre et sa cours, qui a cherché à tirer crédit du travail des militants anti-corruption.

En effet, peu après la fin du Congrès et que Dung soit devenu Premier ministre, il a demandé au ministère de la sécurité publique d’accélérer ses enquêtes sur la corruption des hauts fonctionnaires de l’État et du parti. Il a également appelé les médias à aider le gouvernement à éradiquer la corruption.

Cela a été très bien et il a été largement applaudi par la communauté internationale. Et il a été fortement soutenu par le grand public, qui a été sidéré par le cas PMU-18 et la manière dont il a révélé l’ampleur du népotisme dans la nomination des membres du personnel de l’unité – qui n’a fait que confirmer les pires soupçons du public sur l’importance des liens familiaux pour obtenir des promotions dans le parti, par opposition aux compétences. Et il était étonnant de voir la presse nationale révéler des éléments tels que la richesse inexplicable des fonctionnaires de la PMU-18 et la façon dont la hiérarchie du parti n’a pas réussi à arrêter – et, dans certains cas, a encouragé – l’ascension de ces riches et malhonnêtes fonctionnaires.

Ces révélations choquantes constituaient une claire et présente menace au principal bloc conservateur au sein du parti et de tous les fonctionnaires qui comptent sur les connexions, dessous de table, négociations sous la couette, promotions familiales et compagnie pour survivre.

Si les enquêteurs de la police sont autorisés bon gré mal gré à laisser fuir des informations dans les médias sur les pratiques de corruption, alors presque tous les membres du parti sont en danger. C’était l’angoisse. C’était la colère. Traditionnellement, il est très bien vu d’exposer certains membres du Parti de niveaux intermédiaires s’ils ont transgressé la loi de manière inconvenante et si le parti a décidé qu’ils sont remplaçables, mais la décision est toujours prise en interne par le parti avant que les fonctionnaires soient jetés en pâture.

Et jamais, en aucune circonstance, des membres du Comité central ou des ministres peuvent être exposés sans l’approbation du Politburo. L’affaire de la PMU-18 a brisé ce code. Sans avoir obtenu au préalable l’approbation de la direction du parti, les deux principaux enquêteurs, le général Pham Xuan Quac, chef de l’un des services d’enquêtes du ministère de la Sécurité publique, et l’un de ses subordonnés, le lieutenant-colonel Dinh Van Huynh, ont alimenté la presse en informations.

Les journalistes chevronnés qui ont reçu les informations du scandale de la PMU-18 sont Nguyen Viet Chien et Nguyen Van Hai, qui étaient vice-rédacteurs en chef des deux journaux hautement considérés et les plus vendus au Vietnam, Thanh Nien (jeunes) et Tuoi Tre (Jeunesse).

Ce quatuor – les deux journalistes et les deux enquêteurs – sont ceux qui ont reçu le coup de massue la semaine dernière lorsque la Cour Populaire de Hanoi les a reconnus coupables d’ « abus des libertés démocratiques pour porter atteinte aux intérêts de l’État », en vertu de l’article 258 du Code pénal vietnamien.

Leur véritable crime, bien sûr, fût d’avoir enfreint un autre code, qui est de ne pas exposer les hauts membres du parti sans avoir obtenu l’approbation du Haut et, d’autre part, d’avoir servi d’instruments aux luttes internes du parti pour faire tomber certains dirigeants et permettre ainsi à d’autres de progresser.

Évidemment, les deux côtés sont coupables. Le général Quac, à l’origine de la fuite, espérait être recommandé pour un poste au comité central en 2006, mais il s’est fait doublé par d’autres au ministère de la sécurité publique, ce qui le poussa naturellement à laisser fuir des informations qui n’allaient pas aider pas ses rivaux.

« Cette affaire reflète une lutte interne au sein du ministère. », déclare le professeur Nguyen Manh Hung, directeur du programme Indochine à l’Université George Mason aux États-Unis.

Pourtant, personne, pas même le Premier ministre Dung, ne conteste le fait qu’il existe vraiment une corruption rampante au sein de l’unité PMU-18 et que sa médiatisation a contribué à la déraciner. Et à cause de cela, les dirigeants ont dû laisser passer un certain temps avant de pouvoir lancer les actions de « représailles » contre les auteurs des fuites et les journalistes qui avaient enfreint le code.

Au cours de cette période, tandis que des dizaines de journalistes ont été convoqués pour être interrogés sur leurs sources dans l’affaire de la PMU-18, les initiés à l’intérieur du parti savaient déjà qui était impliqué et quelle serait la punition.

Il va sans dire que les conservateurs, qui restent majoritaires au sein du parti, ont gagné et que, en dépit de l’opposition personnelle du Premier ministre à agir, la décision de poursuivre en justice ceux qui ont révélé le scandale a quand même été prise.

Bien sûr, le fait que le boss du parti, le Secrétaire général Nong Duc Manh, a été personnellement embarrassé par l’affaire parce que son gendre Dang Hoang Hai a travaillé pour la PMU-18 signifie que des mesures prises contre les auteurs des fuites étaient inévitables.

Cela dit, les suites de cette action ont surpris de nombreuses personnes, en particulier la peine de deux ans de prison donnée au journaliste chevronné, et beaucoup apprécié, Nguyen Viet Chien. Comme Chien l’a dit lui-même la semaine précédent à l’ouverture du procès, ses articles ne sont pas motivés par un gain personnel, mais par le désir « de lutter contre la corruption ». Plaidant non coupable, il a dit à la cour : « Les informations utilisées dans mes articles de presse ont été fournies par des fonctionnaires de police. »

« Les deux journalistes ont obtenu leur informations à partir des sources gouvernementales. Et lorsque des fonctionnaires contactent des journalistes pour publier certaines informations, il est presque impossible pour eux de refuser. » dit le Professeur Hung.

Ces arguments n’ont pas bénéficié aux accusés, pas plus qu’aux autres journalistes qui ont protesté contre l’arrestation de leurs collègues ; cette action leur a coûté presque leurs accréditations de presse. Et cela a enflammé encore plus l’indignation publique.

Le journal Tuoi Tre, qui a qualifié les arrestations de « parodie de justice », a indiqué qu’il a été submergé d’appels téléphoniques, de courriels et de lettres de citoyens en colère pour protester contre l’action du gouvernement – le plus grand nombre reçu en 33 ans de publication.

Mais avant que la sentence ne soit prononcée la semaine dernière, le juge Tran Van Vy a affirmé que Chien avait publié des informations fabriquées qui « ont atteint le prestige de certains officiers de haut rang, portant la population à avoir une opinion négative des plus hauts niveaux du gouvernement. »

Cherchant à enrayer la montée des opinions négatives, la Commission du parti pour l’idéologie et la Culture a ordonné à tous les médias locaux de moins parler des arrestations et de sanctionner tout employé qui désobéirait à cette directive (ce qui a forcé Huynh Kim Sanh à quitter son poste de directeur de la rédaction du Thanh Nien et Bui Thanh, le rédacteur en chef adjoint de Tuoi Tre, à être licencié, en compagnie de Hoang Hai Van, rédactrice en chef).

Nguyen Tran Bat, président de la Investconsult Group, l’une des plus importantes sociétés de conseil du pays, dit : « Lorsque le gouvernement arrête et emprisonne des personnes qui ont été félicitées pour leur travail de dénonciation de la corruption, il est très difficile de comprendre. » Il est bien connu que le Premier ministre Dung a été contacté et a exprimé en privé sa sympathie pour les journalistes, mais manifestement il ne pouvait pas faire plus. Il est désormais interdit aux journalistes du Vietnam de recevoir des informations concernant la corruption parmi les membres du parti.

Lors du contre-interrogatoire de Chien, l’un des procureurs a déclaré que tous ses entretiens avec des sources de police sont illégaux en vertu d’une loi vietnamienne sur la presse parce que « les journalistes ne sont pas autorisés à recevoir des informations des sources non autorisées. » Selon Reporters sans frontières : « Les verdicts de ce procès constituent une terrible régression pour le journalisme d’investigation au Vietnam. La fragile base d’une presse capable de jouer son rôle de contestation contre l’autorité en place a été sérieusement ébranlée. »

Aujourd’hui, même les journalistes étrangers basés au Vietnam sont prudents sur l’expression en public de leur point de vue, de peur de représailles, généralement sous la forme de refus de visa. Sans scrupule, le parti a resserré les rangs et a réaffirmé qu’au Vietnam, le rôle des médias d’État est de protéger le parti et de communiquer ses désirs à la population.

Il convient de noter que le 20 juin de cette année, le vice-ministre de la culture Do Quy Doan a dit que les médias nationaux sont une force pour lutter contre « les fausses idées et les plans des forces ennemies et d’autres opportunistes politiques, et pour protéger les idées, l’agenda et la direction fondamentale du parti [pour le pays]. » Il ne convient pas de dénoncer les malversations au sein de la direction du parti et de l’embarrasser.

La répression, qui s’est abattue en même temps qu’une action dure lancée contre la communauté catholique et des militants syndicaux et même contre toute tentative de lutte intérieure contre la ligne du parti, reflète le triomphe des conservateurs et un grave revers pour le mouvement réformateur.

PM Dung a dû se rallier à la répression après avoir subi les critiques des conservateurs contre une plus grande tolérance et l’ouverture aux médias de son gouvernement, et contre son accent sur la rapide croissance économique, en dépit d’une inflation très douloureuse qui lui a mis à dos une grande partie de la base rurale du parti. De plus en plus considéré comme à la fois mou sur la sécurité et enclin à se plier aux exigences étrangères, Dung est en passe d’être éclipsé dans le parti par Truong Tan Sang, membre sudiste du Politburo et de plus en plus puissant, qui dirige le Secrétariat et gère les actions quotidiennes du parti. Sang est à la tête de la répression sur les médias et a poussé avec succès le procès des journalistes et d’autres dissidents, en invoquant le besoin de stabilité au cours d’une conjoncture économique difficile.

Il a récemment déclaré : « La tenue de ces procès politiques a atteint un certain degré de succès, en donnant à ces personnes une leçon et, par conséquent, balaye efficacement les activités politiques non autorisées alors qu’elles sont encore à un stade embryonnaire. »

Alors que son étoile s’élève, comme celles des autres durs tels que Le Hong Anh et Ho Duc Viet, celle du Premier ministre Dung commence à être éclipsée. Les durs qui ne font pas de prisonniers ont pris maintenant l’ascendant. Leur montée et les revers des réformateurs se manifestent déjà dans les accrochages internes en cours sur la façon de traiter la grave récession économique et pourrait faire encore plus de dégâts au sommet si ce ralentissement se poursuivait. Comme un spécialiste du Vietnam l’a déclaré : « La semaine dernière, le procès ne portait pas sur une paire de journalistes, mais sur la façon dont ils ont été finalement utilisés, parmi de nombreux autres journalistes, dans les luttes entre les factions. »

Il a poursuivi : « Il est difficile de dire qui est aux côtés de qui, et même si nous pouvons facilement qualifier ce groupe de « conservateur » ou ce groupe de « modéré », les luttes entre les factions semblent être moins motivées par l’idéologie mais plus par un mélange de conflit de pouvoir et d’enrichissement personnel. »

Le professeur Carlyle Thayer, un expert du Vietnam à l’Australian Defense Force Academy, ajoute : « La légitimité du parti-État au Vietnam repose en grande partie sur la « légitimité de la performance », c’est-à dire son succès dans la réalisation d’une croissance économique pour la société en général. »

Sans cette croissance, l’indignation publique contre des mesures draconiennes comme les condamnations de la semaine dernière va sans aucun doute s’accroître et menacer de plus en plus la légitimité du parti.

http://www.asiasentinel.com/index.php?option=com_content&task=view&id=1500

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