Interview du Premier Secrétaire du Viêt Tân à propos de la lutte du peuple birman pour la démocratie

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Radio Nouvel Horizon  : Chers auditeurs, depuis le 1er octobre, les manifestations des bonzes et des civils birmans ont été brutalement réprimées par la junte militaire au pouvoir. Selon les médias internationaux, il y aurait au moins 200 morts et 2000 arrestations. Bien que le régime libère les manifestants au fil des jours, il continue néanmoins à rechercher et à arrêter les personnes qui ont pris part aux protestations. Pendant ce temps, la communauté internationale a réagi tardivement, lorsque les armes avaient déjà parlé en Birmanie. Est-ce à cause de cette relative indifférence de la communauté internationale que les mouvements populaires birmans ont été éteints ? Est-ce que le combat du peuple birman pour la démocratie a encore échoué comme en 1988 ? Nous vous invitons à prendre connaissance des analyses de M. Ly Thai Hung, Premier Secrétaire du Viêt Tân, parti pour la Réforme du Viêt Nam, sur ces interrogations.


Radio Nouvel Horizon  : Pour commencer, pouvez-vous nous résumer les derniers évènements et nous livrer vos analyses sur la situation en Birmanie ?

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Ly Thai Hung  : Chère madame, chers auditeurs, les manifestations du peuple birman ont commencé le 19 août 2007 afin de protester contre l’augmentation du prix de l’essence décidée par le régime deux jours plus tôt. Ces manifestations ont suivi deux phases distinctes :
- La première phase a duré du 19 août au 5 septembre, à l’initiative d’un certain nombre de dissidents parmi l’opposition birmane. Ces manifestations ont été en partie réprimées. Mais comme le nombre de participants était relativement faible, l’information n’a pas été relayée dans les médias.
- La deuxième phase a duré du 5 au 29 septembre, avec la participation de plus en plus nombreuse des bonzes birmans. Cette phase a connu son apogée le 25 septembre lorsque plus de 100 000 personnes sont descendues dans les rues. A partir de cette date, des dizaines de milliers de bonzes ont mené les manifestations avec le soutien de plus en plus nombreux de la population et de l’opposition politique. L’ampleur de ce mouvement a été remarquée par la communauté internationale qui était réunie pour la 62ème Assemblée Générale de l’ONU.

Bien que le mouvement ait pris de l’ampleur à Rangoun, la participation des civils n’était pas encore assez forte. En même temps, les bonzes et les opposants politiques ont été trop ambitieux dans la fixation de l’objectif des manifestations. Ils auraient dû s’en tenir aux revendications initiales à savoir la suppression de l’augmentation du prix de l’essence afin de rallier le plus largement possible la population à leur mouvement. Au lieu de cela, la revendication principale est rapidement devenue le renversement du régime militaire alors que les leaders des manifestations n’étaient pas encore suffisamment préparés pour ce combat final. De ce fait, lorsque les militaires ont lancé la répression en visant d’emblée les meneurs du mouvement de protestation chez les bonzes et chez les opposants politiques, les manifestations ont été rapidement dispersées.

Depuis le 1er octobre, la dictature militaire birmane a arrêté au moins 2000 personnes soupçonnées d’avoir dirigé les manifestations. Parmi eux se trouvent certains opposants politiques déjà présents lors des manifestations de 1988. La junte a annoncé avoir libéré environ 200 bonzes mais ce sont principalement des jeunes bonzes, alors que les chefs spirituels clés sont toujours emprisonnés. Dans le même temps, on est sans nouvelle d’environ 200 opposants politiques après leurs arrestations. C’est à cause de cette répression que la vague de protestation est retombée ; mais elle pourrait renaître pour deux raisons. La première, c’est que la communauté internationale continue à protester contre la junte militaire ; la seconde, c’est qu’un certain nombre de bonzes et d’opposants clés dans l’opposition sont toujours en liberté et se cachent parmi la population.

Cependant, à côté de la répression contre les manifestations des bonzes et du peuple birman, on constate également de profondes dissensions chez les militaires. A l’heure actuelle, il est difficile de prédire comment la situation évoluera dans les prochaines semaines.

Radio Nouvel Horizon  : Certains disent que la lutte du peuple birman a été écrasée car la réaction de la communauté internationale a été trop timorée. Que pensez-vous de ce jugement ?

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Ly Thai Hung  : Comme je viens de le dire, les meneurs des manifestations ont fixé trop tôt et trop haut l’objectif de la protestation en demandant le renversement de la junte au lieu de continuer à demander au régime de revenir sur l’augmentation du prix de l’essence. C’était prématuré car la participation populaire n’était pas encore assez forte. Devant cette revendication, toutes les dictatures craignent pour leur survie et n’hésitent plus à réprimer violemment. Dans cette confrontation cruciale, le soutien du monde libre est très important car il permet de limiter la répression. Mais ce soutien ne pourra être réellement efficace que s’il permet de lier les mains du régime, en même temps que la participation de nombreuses couches de la population en plusieurs endroits du pays, poussant les fidèles du régime à reculer devant la pression des manifestants. Il ne faut pas oublier que les pressions des pays comme les Etats-Unis, la France, l’Australie, le Japon ou la Thaïlande ne peuvent qu’être d’ordre économique et diplomatique. Jamais ces pays n’enverront leurs soldats pour défendre les manifestants contre la répression du régime.

Durant ces manifestations, je ne pense pas que la communauté internationale soit restée timorée car la plupart des pays libres se sont préoccupés de la situation et se sont exprimés à l’instar des présidents américains, français, des premiers ministres anglais et australien. Même l’ASEAN a demandé au régime birman de ne pas réprimer sa population. Par ailleurs, le Secrétaire général des Nations Unies a mandaté un envoyé spécial en Birmanie pour faire une pression sur la junte. Toutes ces actions me font dire que la communauté internationale est intervenue activement.

Cependant, le monde libre n’a pas pu faire davantage car les manifestations de septembre se sont déroulées de manière discontinue. Généralement, les manifestants marchaient le matin et se dispersaient dans l’après midi, sans avoir un point de ralliement permanent afin d’attirer la masse populaire. C’est cette discontinuité qui n’a pas permis aux meneurs de la protestation d’exploiter pleinement le soutien international. Je pense en fait que la communauté internationale a été active mais que les meneurs de la contestation n’ont pas su exploiter ce soutien pour accroître la force des manifestants.

Radio Nouvel Horizon  : L’évolution de la situation en Birmanie n’est pas celle qu’espéraient les personnes qui aspirent à la démocratie dans le monde. Selon vous, quels sont les enseignements à tirer de ces évènements ? Peut-on dire que la lutte du peuple birman a échoué ?

Ly Thai Hung  : Je ne considère pas le combat des birmans comme un échec. Au contraire, je pense qu’ils ont réussi à exploiter le mécontentement populaire causé par l’augmentation du prix de l’essence pour ressusciter le mouvement d’opposition au régime militaire qui avait été réprimé dans le sang en 1988 avec 3000 morts. Si l’on considère que les birmans ont échoué à faire renverser le régime ou à faire baisser le prix de l’essence, alors c’est exact. Mais il serait prématuré et pessimiste à l’excès de dire que le combat du peuple birman a échoué car ce n’est pas facile de ressusciter un mouvement 20 ans après son extinction brutale sous les coups d’une dictature barbare.

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L’image de dizaines de milliers de bonzes et de civils birmans défilant à Rangoun a soulevé un nouvel élan, non seulement pour la Birmanie mais aussi pour les autres peuples comme les Chinois et les Vietnamiens. L’utilisation du mécontentement concernant le niveau de vie comme détonateur pour mobiliser la masse populaire et remettre en cause le régime en place est une technique que nous devons apprendre. Je pense qu’avec une économie profondément en crise et face aux pressions internationales, la société birmane continuera ses protestations pour améliorer ses conditions de vie et poussera le régime militaire dans une position inconfortable. Les revendications concernant la vie de tous les jours sont de bonnes occasions pour déclencher à nouveau de grandes manifestations comme celles du début septembre. Toutes les révolutions doivent passer par les manifestations comme celles que le peuple birman a faites et fera encore. Je pense que ces mouvements populaires, conjugués aux pressions internationales, sont capables de faire effondrer n’importe quelle dictature, comme cela a été le cas en Europe de l’Est il y a 20 ans, ou bien plus récemment en Serbie, Ukraine, Kyrghizistan, etc. Je pense que les manifestations réprimées récemment n’ont pas totalement échoué : elles n’ont pas atteint les objectifs fixés mais le peuple birman peut descendredans la rue à nouveau car le contexte politique international est favorable et parce qu’il existe des dissensions internes au sein de la junte.

Radio Nouvel Horizon  : Certains disent que l’échec du peuple birman résulte d’une mauvaise tactique. Autrement dit, les rassemblements le matin pour défiler et se disperser dans l’après midi favorisent le régime dans sa chasse aux meneurs des manifestations. Que pensez-vous de cette analyse ?

Ly Thai Hung  : Les manifestations en Birmanie ont rassemblé jusqu’à cent milles personnes et c’est un point extrêmement positif. Mais la répression menée par la junte nous oblige à tirer quelques enseignements :

1) Les manifestations manquaient de continuité. Elles se formaient le matin pour se disperser dans l’après midi. Surtout, il a manqué au birmans un point de rassemblement permanent afin de rallier efficacement la population au mouvement. De plus, les manifestations ont été menées principalement par les bonzes. La participation des autres catégories de la population birmane est restée relativement faible, celle des étudiants comme celle des fonctionnaires, eux qui représentent une force capable de faire s’effondrer le régime de l’intérieur.
2) Les meneurs de la contestation auraient dû se faire connaître publiquement, apparaître devant les médias internationaux au lieu de rester dans l’ombre. Le résultat est que lorsque ceux-ci ont été arrêtés par les militaires, le monde n’en a rien su et n’a pas pu faire pression pour leur libération. Les meneurs qui n’ont pas été arrêtés doivent maintenant se cacher. Si on connaissait les leaders de la contestation, il est certain que l’envoyé spécial de l’ONU aurait cherché à les rencontrer pour consolider leurs positions et assurer leur protection contre la junte. A défaut, il n’a pu voir que madame Aung San Suu Kyi qui est trop isolée pour diriger les manifestations.
3) La première phase des manifestations a été très bien organisée car la contestation s’est rapidement propagée dans les provinces avant de venir se concentrer sur Rangoun. Mais lorsque la répression a commencé, les organisateurs de la contestation auraient dû appeler à la dispersion du mouvement pour revenir dans les provinces et continuer la protestation. Cela aurait permis de gagner du temps afin que les pressions de la communauté internationale fassent effet.
4) Les organisateurs des manifestations ont fixé le but final de la contestation (le renversement du régime) de manière prématurée alors que le but initial (pas d’augmentation du prix de l’essence) n’était pas encore atteint. Il est important d’engranger de petites victoires à chaque étape afin d’avoir le temps de mobiliser la population. A chaque petite victoire, on fixe un peu plus haut le prochain but de la manifestation. Cela permet de maintenir efficacement une pression continuelle sur le régime.

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Malgré ces points négatifs, nous devons reconnaître que la vague de protestation en Birmanie ces derniers jours a apporté des changements prometteurs :

1) Le mouvement a réussi à focaliser l’attention médiatique internationale sur le combat du peuple birman, qui était un peu oublié ces dernières années, après les répressions de 1988.
2) La protestation et surtout la répression exercée contre les religieux bouddhistes ont créée des dissensions dans les rangs des militaires. Selon diverses sources, de nombreux officiers et soldats n’ont pas obéi aux ordres de réprimer les bonzes. Je pense que cette dissension peut contribuer sensiblement au changement politique en Birmanie dans un avenir proche.
3) Les différentes techniques de la lutte non violente ont été utlisées avec beaucoup de discipline par les bonzes et cela va créer un précédent dans les mouvements pour la démocratie en Asie. Je suis persuadé que ces techniques seront appliquées prochainement au Viêt Nam, en Chine.

Radio Nouvel Horizon  : Il y a quelques temps, vous aviez déclaré que si les manifestations se poursuivaient avec une forte mobilisation populaire et une pression internationale efficace, le régime serait amené à dialoguer avec madame Aung San Suu Kyi. Selon vous, pourquoi ce scénario ne s’est-il pas produit ?

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Ly Thai Hung  : Ce scénario ne s’est pas encore produit et cela ne veut pas dire qu’il ne se produira pas. Comme je l’ai dit plus tôt, bien que les manifestations aient été réprimées, le régime n’a pas une liberté d’action totale, à cause de la pression du monde libre. Le régime a certes arrêté deux milles personnes mais il n’a pas pu utiliser le même degré de violence qu’en 1988. Je pense toujours que la junte devra dialoguer avec madame Aung San Suu Kyi, pour deux raisons :

1) Les graves dissensions internes chez les militaires
2) Madame Aung San Suu Kyi reste une icône en Birmanie. Si le junte refusait le dialogue avec elle alors la contestation populaire continuerait et les manifestations reprendraient tôt ou tard.

Le dialogue entre les militaires et madame Aung San Suu Kyi est la solution préconisée par les Nations Unies et de nombreux pays dans le monde, pour ouvrir un avenir meilleur à la Birmanie.

Radio Nouvel Horizon  : Les manifestations du peuple birman nous font repenser aux manifestations de juillet dernier à Sài Gon, celles des paysans vietnamiens dépossédés de leurs terres. Bien que d’ampleurs différentes, les deux manifestations ont été éteintes par les autorités. Quelles comparaisons pouvons-nous faire entre ces deux mouvements ?

Ly Thai Hung  : Je pense que les deux manifestations sont très différentes même si elles ont duré à peu près un mois dans le deux cas. Il est vrai que l’origine des deux manifestations se trouve dans les conditions de vie des gens. Les manifestants réclamaient aux autorités une amélioration de leur vie au quotidien.

Bien entendu, l’ampleur des deux manifestations est très différente :

1) Les manifestations en Birmanie ont été précipitées. Il manquait une phase de maturation sur des revendications sociales, quotidiennes afin de rassembler la masse populaire. A l’inverse, les manifestations à Sài Gòn ne portaient que sur des réclamations de terres, de compensations, sans toucher au domaine politique si bien que les autorités vietnamiennes étaient bien embarrassées, hésitant à réprimer.
2) Les manifestations birmanes avaient le potentiel de renverser le régime si bien que la junte n’a pas hésité très longtemps avant de réprimer. Au Viêt Nam, les manifestations restent de tailles très modestes et ne menacent pas immédiatement le régime en place, même si c’est gênant pour les autorités communistes.
3) La dernière différence, c’est que la junte militaire birmane a recherché activement les organisateurs des manifestations pour les emprisonner alors que les communistes vietnamiens se sont contentés de disperser les manifestants en les renvoyant dans leurs provinces. A vrai dire, il n’y a pas eu de répression contre les manifestants au Viêt Nam.

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Ces différences me font dire que les manifestations des paysans plaignants vietnamiens vont continuer comme c’est déjà le cas ces jours-ci à Sài Gòn.

Radio Nouvel Horizon  : A partir de l’exemple birman, quels sont les enseignements à tirer pour le combat pour la démocratie du peuple vietnamien ?

Ly Thai Hung  : Je dirais qu’il y a quatre leçons à retenir pour les vietnamiens.

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1) Les manifestations doivent être organisées dans différentes villes régionales, là où se trouvent les mécontentements, et dans la capitale de manière continue ou alternée afin de faire pression sur le régime et gagner le soutien populaire. Pour la manifestation dans la capitale, il faut un point de rassemblement permanent pour que les gens qui veulent se joindre à la protestation aient un lieu de repère et s’y rende.

2) Le combat doit commencer par des objectifs réalistes et atteignables. Il faut engranger les petites victoires avant de fixer des objectifs plus ambitieux. Cela permet de motiver les manifestants et de rallier les autres catégories sociales.

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3) Une partie ou la totalité des organisateurs des manifestations doivent se faire connaître et défiler en tête des manifestants afin de capter l’attention médiatique, faire passer leurs messages au monde entier et gagner la protection internationale et faire hésiter le régime s’il veut lancer la répression. Si la situation tournait mal, il faut également prévoir des lieux sûrs pour que les organisateurs puissent se retirer et continuer la coordination de la protestation.

4) Nous devons maîtriser la communication pour garder le contact avec le monde extérieur mais aussi avec les différentes régions du pays. Communication qui doit consister non seulement à informer du déroulement des manifestations mais surtout à expliquer aux autres catégories sociales pourquoi et comment elles doivent y participer.

Radio Nouvel Horizon : Je vous remercie pour cette interview.

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