Les 6 et 8 avril derniers, plus d’une centaines de militants pour la démocratie, tous résidant à l’intérieur du pays, ont signé puis diffusé deux documents à caractère fondateur pour la démocratisation du Viêt Nam. L’Appel au multipartisme regroupe 116 signataires qui réclament ouvertement aux autorités de Hà Nôi d’abroger l’article 4 de la Constitution, autrement dit, abandonner le monopole du Parti Communiste Vietnamien. Ils appellent également les partis démocratiques clandestins à se faire connaître courageusement au grand jour. La Déclaration pour la Liberté d’Expression a été signée par 118 militants qui affirment que les objectifs du combat pour la démocratie au Viêt Nam sont le changement du système politique vietnamien, le rétablissement et le respect des libertés individuelles comme celle d’information, d’expression, d’association, d’engagement politique, syndical ou religieux.
Le sujet de ces deux textes n’est certes pas nouveau car il a déjà été évoqué par beaucoup d’organisations, de partis politiques et d’autres dissidents célèbres depuis ces deux dernières décennies. En revanche, la nouveauté réside dans la façon d’opérer et dans la courageuse signature de plus d’une centaine de militants, souvent inconnus des médias mais appartenant à différentes catégories de la société. Ce dernier point montre que le chemin pour la démocratisation au Viêt Nam n’est plus emprunté uniquement par les organisations, les Eglises et les dissidents célèbres, mais qu’il y a aussi de nombreux anonymes qui n’ont plus peur d’exprimer leurs opinions. Autrement dit, le mouvement pour la démocratie au Viêt Nam a franchi une étape avec la participation grandissante de la population vietnamienne.
Ce mouvement pour la démocratisation du Viêt Nam n’est pas une organisation politique, religieuse ou autre. Il ne possède pas de structures établis ou de règles de fonctionnement mais ressemble plutôt à un mouvement populaire. Les gens se regroupent autour d’une idée commune qui est le rejet de la dictature communiste actuelle et de ses néfastes effets qui ont trop duré. Ce mouvement est multiforme. Il passe par les prises de position des dissidents contre le régime communiste comme ces deux récents textes, ou bien par les appels au boycott des prochaines élections législatives, faute de multipartisme. Ce mouvement se caractérise aussi par de nombreuses grèves dans l’industrie du textile, depuis 5 mois, pour réclamer la liberté syndicale et des conditions de travail décentes ; ou encore par ces dizaines de familles qui campent mois après mois dans le jardin public Mai Xuân Thuong, à Hà Nôi, pour dénoncer la confiscation de leurs rizièrs par les autorités locales.
A partir de quelques protestations isolées et éparpillées, c’est un véritable mouvement de contestation populaire qui s’est installé dans le pays depuis le début de l’année 2006, convergeant vers le régime communiste. L’Appel au multipartisme et La Déclaration pour la Liberté d’Expression sont novateurs dans le fait que les signataires cherchent à se regrouper pour coopérer dans le combat pour la démocratie. Ainsi, la portée de leurs actes est bien meilleure et il est évident que, isolément, ces militants seraient une proie facile pour l’appareil de répression communiste.
De plus, afin de parvenir à la démocratie, tous les mouvements doivent passer par une étape incontournable : la transition de la clandestinité vers la lumière, pour ensuite briser les chaînes de la dictature lorsque le moment sera propice. Ce cas de figure s’est déjà présenté en Europe de l’Est et dans l’ex-Union Soviétique où les grèves et autres formes de protestation, par différentes catégories de la population, ont grossi et convergé vers les autorités. Le plus souvent, la dictature en place ne cède pas facilement aux revendications populaires. Par conséquent, les dissidents doivent canaliser toutes les formes de mécontentements populaires et les tranformer en revendications pour la démocratie. En leur temps, Lech Walesa en Pologne et Vaclav Havel en Tchécoslovaquie ont fait de même avec les mécontentements des ouvriers, des agriculteurs, de la jeunesse et des autres catégories de la population, pour les inviter à signer des textes similaires à ceux qui ont été diffusés par les dissidents vietnamiens les 6 et 8 avril dernier. Lorsque plusieurs centaines de milliers de personnes oseront signer ce genre d’appels, alors l’heure de la fin de la dictature aura sonnée et la liberté commencera.
