Un gêneur

Share on facebook
Share on google
Share on twitter
Share on whatsapp
Share on email
Share on print
Share on facebook
Share on google
Share on twitter
Share on whatsapp
Share on email
Share on print

21 septembre 2009

Le Vietnam a capté l’an dernier une somme impressionnante de 8 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE), selon un rapport publié le 17 septembre par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce Et le Développement. En effet, le rapport de la CNUCED révèle que les investisseurs étrangers ont vu le Vietnam comme une opportunité d’investissement plus attrayante que l’ensemble de ses dix pays voisins d’Asie du Sud, à l’exception de la Malaisie (également 8 milliards de dollars), de Singapour (22,7 milliards, et de la Thaïlande (10 milliards). Les effets bénéfiques résultant de ce flux d’IDE au Vietnam durant la dernière décennie sont visibles. Lorsque j’ai visité le Vietnam en 2000, il était encore très arriéré et très pauvre, à l’image de ces pays en ruine sous régime marxiste-léniniste dont le Vietnam avait suivi le chemin. Mais lors de ma plus récente visite en septembre dernier, la ville de Ho Chi Minh (anciennement Saïgon) étincelait. Quand j’ai roulé en voiture pendant plusieurs jours autour du delta du Mékong, les signes d’une prospérité croissante étaient visibles partout, surtout sur les visages des gens ordinaires se rendant paisiblement à leur travail sur ces motos omniprésentes. Même les plus critiques doivent reconnaître les progrès économiques impulsés par les dirigeants du Vietnam (communiste) dans la dernière décennie, en s’éloignant de l’économie dirigée à la soviétique.

Les investisseurs étrangers, notamment l’AmCham, la Chambre de commerce américaine au Vietnam, peuvent véritablement se prévaloir d’avoir largement contribué à la modernisation naissante du Vietnam. Les membres de l’AmCham ont toujours soutenu que lorsqu’ils encouragent le Vietnam à respecter l’inviolabilité des contrats commerciaux ils encouragent le pays sur la voie de la primauté du droit, ce qui progressivement favorisera la libéralisation politique. Après tout, la Convention internationale relative aux droits civils et politiques, dont le Vietnam est signataire, est aussi une obligation contractuelle entre le gouvernement et ses citoyens. Hélas, les autorités vietnamiennes ne respectent pas vraiment ce pacte. Malgré les signes visibles de croissance économique que j’ai observés il y a un an, septembre 2008 marque aussi le début d’une nouvelle vague de répression qui atteint les citoyens vietnamiens dont les « crimes » sont fondamentalement qu’ils revendiquent la liberté d’expression, d’association et de réunion que la Convention internationale relative aux droits civils et politiques est censée protéger. Jusqu’à présent, plus de vingt de ces braves gens ont entendu la police frapper à leur porte pour venir les arrêter. Et c’est là que le bât blesse, embarrassant la Chambre de commerce américaine.

Le 13 juin, un avocat vietnamien de premier plan, Le Cong Dinh – membre actif de l’AmCham dans la ville d’Hô Chi Minh (Saïgon) et défenseur respecté de l’État de droit, tant sur les questions commerciales que sur les droits de l’homme – a été arrêté et jeté en prison, où il reste détenu. Dinh a été le partenaire de gestion de D.C. Law, un cabinet connu d’avocats de la ville d’Hô Chi Minh avec parmi ses clients les principaux investisseurs étrangers au Vietnam. Désormais, il est radié de la pratique du droit (conformément à la méthode en vigueur dans les systèmes communistes, Dinh a été radié du barreau avant la fin de l’enquête et avant la tenue d’un procès-spectacle). Le « crime » de Dinh est d’avoir défendu l’exercice pacifique des libertés que la Convention internationale des droits civils et politiques oblige le gouvernement vietnamien à respecter. Plus précisément, on s’est référé à l’article 88 du Code pénal vietnamien qui criminalise la « propagande » contre l’État telle que définie par le Politburo. Le Politburo use de l’article 88 et de lois similaires pour contourner les conventions internationales relatives aux droits de l’homme. Quant à l’attitude des milieux d’affaires américains au Vietnam, eh bien, elle consiste à détourner les yeux. La Chambre de commerce américaine au Vietnam a tourné le dos à Le Cong Dinh, qui est devenu un homme gênant.

Cette histoire illustre la situation difficile à laquelle sont confrontés les investisseurs étrangers lorsqu’ils tentent de faire des affaires dans les pays risqués du tiers-monde où la primauté du droit est fragile. L’AmCham, quant à elle, maintient un profil bas sur les règles de droit importantes, même lorsque ses membres les plus brillants et les meilleurs sont attaqués. Les autorités de Hanoi, peut-être encouragées à croire qu’elles peuvent violer en toute impunité la liberté de parole de ses citoyens, sans aucune objection sérieuse de la part de la communauté d’affaires, ont récemment poussé le bouchon très loin. Car maintenant Hanoi menace aussi la liberté du discours commercial – y compris la recherche universitaire sur les questions économiques importantes, si cette recherche risque d’aller à l’encontre de la ligne du parti communiste. Ainsi, par son silence sur les injustices qui sont commises contre Le Cong Dinh et d’autres défenseurs de la démocratie, la communauté d’affaires américaine a contribué à encourager les forces qui menacent aujourd’hui ses propres intérêts directs. En outre, l’AmCham doit s’inquiéter du signal qu’elle a envoyé aux défenseurs des droits de l’homme à Capitol Hill.

Voici pourquoi :

***

En détournant volontairement leur regard, même en cas d’atteinte aux libertés individuelles frappant l’un des leurs, les dirigeants de l’AmCham ont laissé croire aux autorités de Hanoi que leur attitude répressive bénéficie de l’appui tacite de la communauté d’affaires américaine. De plus, en refusant de souligner la contradiction entre un article 88 draconien et les obligations du pays à adhérer aux normes juridiques internationales qui définissent les sociétés civilisées, AmCham a également envoyé un signal aux parlementaires de Capitol Hill qui doutent des vertus des échanges commerciaux avec le Vietnam. Des critiques comme la sénatrice de Californie Barbara Boxer contestent au Vietnam son privilège de libre échange avec les États-Unis (Système généralisé de préférences), pour le motif que, malgré les progrès économiques indéniables du Vietnam, son bilan sur les droits de l’homme reste déplorable. Par son silence, l’AmCham a fourni aux parlementaires défenseurs des droits de l’homme une preuve manifeste qui étaie leurs accusations selon lesquelles, quand il est question de droits de l’homme, les milieux d’affaires privilégient les profits plutôt que les principes.

Le 1er octobre 2008, soit un mois après le début de la répression vietnamienne actuelle, la sénatrice Boxer a formulé la question de manière succincte, lors d’une proposition de loi visant à retirer au Viêt Nam son privilège commercial : « Comme beaucoup de mes collègues du Sénat, j’avais espéré que le renforcement de nos relations commerciales et économiques avec le Vietnam et que notre soutien à l’intégration du Vietnam dans la communauté internationale permettrait d’améliorer considérablement le dossier des droits de l’homme au Vietnam, mais cela ne s’est pas vérifié ».

Désormais, après l’arrestation du membre de l’AmCham Le Dinh Cong et d’autres défenseurs pacifiques de la démocratie, la sénatrice dispose de plus d’arguments pour faire voter son projet de loi.

***

JPEG - 15.1 ko

L’American Bar Association (Association Américaine du Barreau) a dénoncé l’irrégularité évidente de la procédure impliquant Dinh et d’autres défenseurs de la démocratie qui sont victimes de la répression en cours. De même, l’ambassadeur américain à Hanoi, Michael Michalak, a souligné que Dinh et les autres ont été arrêtés pour « des activités qui, dans de nombreux endroits dans le monde, sont considérées comme normales, des discussions ordinaires visant à renforcer la primauté du droit au Vietnam ». Human Rights Watch et d’autres organisations respectées de défense ont également été éloquentes en disant que l’article 88 et les lois similaires d’origine marxiste-léniniste devraient être enfouis dans les poubelles de l’histoire communiste. Mais la Chambre de commerce américaine n’a rien dit, elle dont la voix devrait se faire entendre, haut et fort, à Hanoi.

Adam Sitkoff, directeur exécutif de l’AmCham à Hanoi m’a dit, dans un échange de courriels qui prit une tournure aigre « L’AmCham soutient sans conteste un système juridique plus transparent et un meilleur respect du droit au Vietnam ; toutefois, nous ne faisons pas de déclaration publique sur le cas Dinh Cong Le, nous n’avons pas d’opinion sur lui ». Lorsque je lui ai demandé si, après réflexion, l’objectif affiché de l’AmCham pourrait gagner en crédibilité si l’AmCham s’exprimait sur les injustices qu’elle observe, Sitkoff a rétorqué : « J’apprécie que vous tentiez de mettre des mots dans ma bouche ».

Virginia Foote, membre éminent du conseil des administrateurs de l’AmCham, largement respectée, tant à Hanoi qu’à Washington pour ses efforts visant à resserrer les liens commerciaux entre les deux pays, a déclaré le 1er septembre dans un courriel : « Je n’en sais pas suffisamment sur ce cas pour le commenter ; je me trouve aux États-Unis depuis plusieurs semaines ».

Le cabinet d’avocats de Dinh, D.C. Law, compte parmi ses clients l’entreprise d’investissement de Virginia Foote, Vietnam Partners. Priée de dire si elle se sentait concernée par le fait que l’un de ses propres avocats ait été pris dans une vague de répression décidée par Hanoï, Mme Foote a répondu : « Je ne sais pas s’il a servi comme avocat pour Vietnam Partners – nous faisons habituellement appel à une autre entreprise – et je ne sais pas à quoi vous vous référez. L’AmCham s’est exprimée à plusieurs reprises lorsque le conseil [des administrateurs] ou ses membres étaient en désaccord avec le gouvernement américain ou celui du Vietnam.

Virginia Foote a joué un rôle de premier plan dans la création de l’Accord Commercial Bilatéral entre les États-Unis et le Viêt Nam, puis dans l’admission du Vietnam à l’OMC. Elle a reçu la Médaille vietnamienne de l’Amitié en juillet 2007, remise par le président Nguyen Minh Triet.

Bien que les membres de l’AmCham ne se précipitent pas pour le reconnaître, il y a peu de doute que, avant de devenir un homme gênant pour les milieux d’affaires américains, Dinh fût l’un des symboles les plus visibles, à l’AmCham, des progrès du Vietnam sur la voie de droit.

***

[Le Cong Dinh] a défendu plusieurs membres connus militant pour la démocratie. Il est devenu un critique virulent des hautes autorités de Hanoi, dont le président.

Jusqu’au 13 juin, quand la police de sécurité l’a appréhendé et accusé d’être un ennemi de l’État, Le Cong Dinh, 41 ans, était considéré comme l’un des personnages les plus brillants de la République socialiste du Vietnam. Le parcours de Dinh est éblouissant : diplômé de l’université de Saïgon, puis de la faculté de Droit de Hanoï. La bourse Fulbright à l’université de Tulane, où il a reçu une maîtrise de droit en 2000. Avocat en droit commercial international du très puissant cabinet d’avocats White & Case, où en 2003 il défendit l’Association vietnamienne des exportateurs de fruits de mer dans l’affaire de la lutte anti-dumping introduite par le lobby du poisson-chat américain contre le Vietnam. Cofondateur en 2005 et gérant associé de D.C. law, dont le siège est dans la ville Ho Chi Minh. Marié depuis 1998 à une ex-Miss Vietnam qui est connue pour son intelligence et sa beauté, Nguyen Thi Ngoc Khanh.

Dinh connaissait beaucoup de gens dont la plupart se focalisaient sur la promotion de la primauté du droit dans un pays encore communiste où le pouvoir politique est concentré dans le Parti communiste et un Politburo. En tant que vice-président de l’Association du Barreau de la ville de Ho Chi Minh à partir de 2005 – 2008, Dinh a concentré ses efforts sur le développement des réformes juridiques commerciales dans son pays natal. La liste impressionnante des clients de D.C. Law comprend Yahoo, Intel, Toshiba, Hyatt International et Toyota ainsi que Vietnam Partners, la banque d’investissement de Ginny Foote. Dinh était également un membre actif de l’AmCham. Il a souvent participé à des réceptions de mise en relation organisées par l’AmCham dans la ville d’Ho Chi Minh ainsi qu’à des événements AmCham visant à développer une meilleure appréciation de l’État de droit au Vietnam.

Dinh n’hésitait pas non plus à souligner que l’État naissant du droit au Vietnam s’étend au-delà de l’inviolabilité des contrats commerciaux. Il a défendu plusieurs militants pro-démocratie. Il est devenu un critique virulent des plus hautes autorités à Hanoi, y compris du président. Dinh a aussi exploité le puissant sentiment nationaliste antichinois (ressentiment fondé sur mille ans de domination chinoise au Vietnam), accusant le gouvernement d’offrir trop de concessions à Pékin pour exploiter une mine de bauxite dans les hautes terres du centre.

Dinh, qui est habile à utiliser Internet pour diffuser largement son message pro-démocratie, s’est aussi lié d’amitié avec des organismes extérieurs au Vietnam, comme le Viet Tan (Parti Vietnamien de la Réforme), qui sont également experts en communication moderne. Viet Tan est né en 1982, mouvement clandestin qui diffuse au Vietnam des émissions radio d’actualités en ondes courtes. L’organisation a des bureaux en Californie, mais aussi à Paris et en Australie, et affirme également être présente à l’intérieur du Vietnam. Le message politique de base du parti réformiste est pacifique : le Vietnam devrait devenir une démocratie libérale. (Malgré le plaidoyer du Viet Tan pour la démocratie et son rejet de la violence, Hanoï le considère comme une organisation « terroriste »). Avec d’autres militants pro-démocratie, Dinh s’est investi dans des efforts visant à élaborer un modèle de constitution plus moderne pour son pays, qui garantisse les libertés d’expression et de réunion. Les ennuis de Le Cong Dinh viennent de là.

Le 1er Juin – seulement douze jours avant son arrestation – Dinh a été élu secrétaire du Parti Démocratique du Vietnam, qui prône « l’unité nationale fondée sur le principe de la liberté, de la démocratie et de l’égalité » Au Vietnam, cela est considéré comme une infraction pénale.

JPEG - 36.9 ko

Un Vietnamien défenseur de la démocratie confirme que Dinh a assisté à un séminaire sur la lutte non-violente que le Viet Tan a organisé en Thaïlande en Mars. Quand il fut arrêté le mois suivant, les autorités vietnamiennes trouvèrent au domicile de Dinh un texte en vietnamien d’une brochure intitulée De la dictature à la démocratie, qui avait été traduit et distribué à l’intérieur du Vietnam par le Viet Tan. Le kafkaïen article 88 a été fait pour ces « crimes ».

Actuellement, les contacts de Dinh se limitent principalement à ses geôliers et aux « libertés », qu’ils lui accordent dans les confins de sa cellule, dans un endroit tenu secret. Il pourrait y rester 20 ans, ou bien être exilé. En attendant, Dinh – qui a fait l’« aveu » (peu convaincant) qu’il aurait violé l’article 88, aveu que les autorités vietnamiennes ont fait diffuser sur YouTube – doit se demander comment il pourra reprendre une vie normale.

***

Le mois dernier, une autre dissidente vietnamienne a été arrêtée, son crime étant d’avoir porté un T-shirt avec un slogan politiquement incorrect qui protestait contre le projet chinois d’extraction de la bauxite, et contre les Chinois en général.

Si les slogans inscrits sur des supports rudimentaires tels que les T-shirts effraient les autorités de Hanoï, imaginez leur crainte des moyens de communication modernes qui apportent au peuple vietnamien des nouvelles et des informations que le Parti communiste estime politiquement incorrect. Il y a les nouvelles de l’Internet, par des journaux comme le New York Times et le Wall Street Journal, le service Radio vietnamienne de la BBC, la Voix de l’Amérique, la blogosphère active du Vietnam, Twitter, les téléphones cellulaires, les messageries texte, et ainsi de suite. Dinh, comme la plupart des autres démocrates qui ont été arrêtés, est réputé très habile à utiliser l’Internet pour diffuser des idées puissantes.

Au cours de la longue lutte du Vietnam pour l’indépendance, ce sont les communistes qui ont réussi à contrôler les messages et la propagation des idées. Pendant la guerre civile avec le Sud qui s’est achevée par la victoire des communistes en 1975, les forces de Ho Chi Minh étaient des combattants de la liberté. Ils étaient des nationalistes qui avaient d’abord combattu l’impérialisme français, puis les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, puis les Français à nouveau, puis les Américains, jusqu’à ce qu’ils l’eurent emporté. Mais de nos jours, les organisations de dissidents comme le Viet Tan, avec leur habileté à utiliser les outils de communication modernes, dominent la communication – maintenant ce sont les communistes qui paraissent dépassés. Le 14 septembre, par exemple, le Viet Tan a organisé un rassemblement « virtuel » sur Internet qui se concentrait sur ses objections à l’extraction de la bauxite chinoise dans les montagnes du centre et contre l’influence de la Chine au Vietnam. Si son but est de renverser les communistes de Hanoï et d’ouvrir le pays politiquement aussi bien qu’économiquement, les « armes » les plus puissantes ne sont plus les fusils. Les communistes ont les canons, mais ils n’ont plus d’idées politiques fortes.

***

J’ai demandé au ministre de la Justice vietnamien, Ha Hung Cuong, et à l’ambassadeur du Vietnam aux États-Unis, Le Cong Phung, s’ils me permettaient d’interviewer Le Cong Dinh pour entendre sa version des faits. Je leur ai également demandé s’ils voulaient m’aider à entrer en contact avec l’avocat vietnamien de Dinh. Ils ont refusé. Jugeaient-ils raisonnable de qualifier de criminel un groupe de citoyens vietnamiens s’unissant pour affirmer que, plus tôt les Vietnamiens seraient autorisés à choisir leurs propres dirigeants, mieux ce serait ? À cette autre question, le ministre et l’ambassadeur n’ont pas voulu répondre.

Un avocat intrépide à Hanoi, Le Quoc Quan, ne fut pas aussi réticent. Ancien avocat, en réalité. Quan, un défenseur respecté de la démocratie, fut arrêté le 3 mars 2007 après son retour de Washington où il avait travaillé dans la Fondation Nationale pour la Démocratie (National Endowment for Democracy). Il fut libéré quelques mois plus tard, après un tollé international auquel avaient participé des Américains comme l’ancien secrétaire d’État Madeleine Albright et le sénateur John McCain.

Comme son ami Le Cong Dinh, Quan a été radié du barreau alors qu’il était en prison, avant même qu’une enquête officielle fût achevée. « La police m’a remis la décision de ma radiation pendant que j’étais en cellule » déclare Quan. « Je n’ai pas eu la possibilité de consulter mes avocats, mais j’ai trouvé que cela n’était pas conforme à la loi. Ensuite, j’ai emprunté le stylo de la police pour écrire ma plainte. Je n’ai pas été poursuivi en justice par un procès et mes plaintes restent sans réponse ».

Quand j’ai dit à Quan que je me demandais comment les autorités vietnamiennes traiteraient Gandhi, s’il était vietnamien et vivait dans le pays aujourd’hui. Sa réponse a été aussi touchante que son courage : « Kakaka … c’est intéressant et semble une « pensée naïve », a répondu Quan. « J’aime beaucoup Gandhi et son style de lutte ; l’an dernier, j’ai organisé un cours d’anglais dans l’église de Thai Ha. J’ai apporté un document en anglais parlant de Gandhi. J’ai demandé à mes élèves de le traduire en vietnamien. La police m’a par la suite menacé ainsi que tous les membres de ma classe. Ils ont tellement peur d’apprendre quelque chose sur la lutte non violente pour la démocratie et la justice. Il ne pourrait pas y avoir de “Gandhi au Vietnam aujourd’hui” », a conclu Quan.

J’ai demandé à Quan s’il avait reçu le soutien de la communauté d’affaires américaine quand il a été arrêté et radié du barreau. Il répondit indirectement en se référant au cas de Dinh. « Dinh est mon ami. Je l’ai soutenu totalement et je voudrais que d’autres l’aident. Je pense que la voix du milieu des affaires peut aider efficacement puisque le Vietnam tente de faire de plus en plus d’affaires avec le monde ».

***

« [la police] a tellement peur d’apprendre quelque chose sur la lutte non violente pour la démocratie et la justice »
L’avocat Le Quoc Quan

Quant à la communauté d’affaires américaine, l’AmCham et ses investisseurs étrangers font maintenant face à une autre attaque contre la liberté d’expression ; or cette fois-ci, ce discours risque d’affecter les résultats financiers directement, car il établit un lien explicite entre l’économie et les droits politiques.

Le 24 juillet, le Premier ministre Nguyen Tan Dung a signé une directive appelée « Décision 97 » qui aurait dû sonner l’alarme dans les bureaux de l’AmCham. La directive interdit aux universitaires et aux chercheurs de débattre publiquement sur des sujets variés qui pourraient causer de la gêne au Parti communiste. Ainsi que le journaliste de l’Associated Press Ben Stocking l’a signalé, le décret « limite la recherche scientifique et technique à 317 thèmes approuvés, et interdit à des groupes de publier des recherches sur la politique du Parti communiste et du gouvernement ».

Les restrictions englobent même la recherche macro-économique – visant évidemment à interdire les débats publics et les analyses sur la politique (inepte) de Hanoi qui a contribué à une inflation inquiétante. La semaine dernière à Hanoi, un groupe de réflexion indépendant, l’Institut d’Études du Développement, a décidé qu’il n’avait pas d’autre choix que de se dissoudre en raison de la décision 97, selon le rapport Stocking AP. Quand il a été créé voici deux ans, l’IED attira l’attention internationale parce que la liste de ses membres incluait certains des intellectuels les plus éminents du Vietnam, certains ayant des liens étroits avec le Parti communiste. Comme Le Cong Dinh l’a douloureusement appris, les intellectuels ont connu les limites de la liberté d’expression et de pensée. « Avec cette nouvelle décision, on ne peut guère avancer », a déclaré l’économiste et vice-président d’IED Pham Chi Lan. « Il serait très difficile pour nous d’élever notre voix en tant qu’institution. C’est pourquoi nous avons décidé de fermer ».

***

Avec une ironie amère on peut observer que la répression sur la liberté d’expression, d’abord exercée contre un membre de l’AmCham défenseur de la démocratie, se soit désormais étendue jusqu’à menacer la liberté de parole sur les questions économiques comme la hausse de l’inflation au Vietnam – les questions économiques qui préoccupent grandement l’AmCham et d’autres investisseurs étrangers dans le pays.

« Le commerce international est l’un des principaux instruments par lesquels vous introduisez la primauté du droit », explique le grand économiste de l’Université Columbia, Jagdish Bhagwati. Le professeur ajoute rapidement que « la primauté du droit est également déterminante car elle favorise l’extension des droits de l’homme et du développement économique, et l’accompagne ».

Une nouvelle guerre du Vietnam a lieu, celle-ci opposant des idées. Le milieu d’affaires américain, tôt ou tard, devra décider dans quel camp il se place réellement – et où se situent, à long terme, ses intérêts bien compris.

http://www.rushfordreport.com/2009/090921Inconvenient.htm

Share on facebook
Share on google
Share on twitter
Share on whatsapp
Share on email
Share on print

Derniers articles

Action collective pour les îles Paracel et Spratly

Aujourd’hui, la communauté internationale s’accorde à dire que la République populaire de Chine mène des actions de plus en plus agressives dans la région indo-pacifique, notamment en mer de Chine méridionale. Ces hostilités ont commencé il y a 49 ans avec l’invasion chinoise des îles Paracels (Hoàng Sa) le 19 janvier 1974,