Vietnam : la loi au service des violations des droits de l’homme

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Discours prononcé le 13 mars 2012 par Michel Tran Duc au 4ème Sommet de Genève sur les Droits de l’Homme et la Démocratie.


Geneva Summit for Human Rights and Democracy

13 mars 2012 – Michel Tran Duc

Vietnam : la loi au service des violations des droits de l’homme

Mesdames et messieurs,

Chers amis militants pour les droits de l’homme,

C’est un immense honneur pour moi de pouvoir m’exprimer devant une si prestigieuse audience pour parler de mon pays natal, le Vietnam.

Le Vietnam, pour certains, c’est une destination paradisiaque avec son climat tropical, sa cuisine raffinée, ses plages aux sables chauds, sa citadelle impériale ou encore sa baie d’Ha Long.

Le Vietnam, c’est aussi un enfer que d’autres sont heureux de quitter comme l’a dit l’écrivain opposant Tran Khai Thanh Thuy en juin 2011. Pourquoi une telle dichotomie ?

Sous ses airs de tigre asiatique, le Vietnam donne une image d’un pays apaisé, uni, et qui se développe depuis plus de vingt ans. Il est vrai que de l’extérieur, le touriste et l’observateur peu averti ne voit pas pour quelles raisons les organisations de défense des droits de l’homme ressassent sans arrêt les accusations de violations de ces mêmes droits.

Il suffit de gratter un peu le vernis qui recouvre cette façade pour se rendre compte que la situation du pays n’est si rose que cela.

Le modèle de croissance économique actuelle du pays repose principalement sur les investissements étrangers et sur une main d’œuvre bon marché et docile, bien servi par une législation du travail des plus laxistes. Ce que le régime vietnamien appelle l’économie de marché à orientation socialiste n’est autre chose qu’un capitaliste sauvage imposé au peuple vietnamien. Plus grave, la croissance économique crée d’énormes inégalités qui ne cessent de se creuser au fil des ans car ceux qui s’enrichissent sont toujours ceux qui sont liés au pouvoir en place. Ce phénomène est amplifié par une corruption endémique qui, à la faveur d’un système politique verrouillé s’insinue dans tous les rouages de l’administration.

Cette libéralisation à outrance de l’économie n’a pas été accompagnée par une libération du système politique vietnamien, qui reste un des derniers pays communistes au monde, avec Cuba, la Chine, le Laos et la Corée du Nord. Dans ce pays où seul le parti communiste a le droit d’exister, la répression des opposants politiques et des militants pour la démocratie est continuelle.

Les autorités de Hanoi abusent littéralement de la loi pour réduire au silence l’opposition politique.

Longtemps isolé sur la scène internationale, depuis une dizaine d’année, le pays se cherche une respectabilité et enchaîne les candidatures : adhésion à l’OMC en 2007, acquisition d’un siège de membre non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU en 2008-2009, président de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-est) en 2010. Et comble de l’ironie, voilà que le Vietnam, tant critiqué pour les violations des droits de l’homme, se porte candidat au Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour le mandat 2014-2016.

En occupant ces postes honorifiques, le régime communiste vietnamien veut montrer le visage d’un pays civilisé, d’un état de droit où nul n’est emprisonné pour ses idées mais simplement parce qu’il a enfreint la loi. Là encore, la réalité est tout autre. es autorités de Hanoi abusent littéralement de la loi pour réduire au silence l’opposition politique. En voici quelques exemples.

Verrouillage par la Constitution

En principe dans un état de droit, lorsqu’un pays ratifie un texte international, il doit s’assurer que sa Constitution est en conformité avec ce texte. Ensuite, les articles de lois du pays doivent être en conformité avec la Constitution du pays. Et enfin, les décrets d’applications doivent être en conformité avec les lois, qui sont eux-mêmes en conformité avec la Constitution.

Le Vietnam est signataire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Théoriquement, le pays est tenu de respecter et faire respecter les droits de l’homme à tous les niveaux de l’état. Or l’article 4 de la Constitution du Vietnam de 1992 viole déjà plusieurs articles des deux textes cités plus haut. Que dit cet article 4 : « Le Parti communiste du Vietnam, avant-garde de la classe ouvrière vietnamienne, représentant fidèle des droits et des intérêts de la classe ouvrière, laborieuse et de toute la nation, guidé parle marxisme-léninisme et la pensée de Ho Chi Minh, est la force qui dirige l’État et la société. ». Ceci décrit ni plus ni moins une situation de monopole du PCV et une négation du droit d’existence des autres partis politiques. Et puisque les autres partis politiques n’ont pas le droit de gouverner le pays, il n’y a donc aucune raison qu’elles aient le droit d’exister, CQFD. Voilà comment on supprime toute opposition politique légale.

La justice aux ordres du régime

Le parquet, le barreau, les juges sont tous aux ordres de la chancellerie, qui elle-même est aux ordres du parti communiste.

Le Code Pénal vietnamien date de 1999, modifié en 2009, et son article 1 précise que « sa mission est de protéger le régime socialiste », avant même de faire respecter la loi. Avec ce 1er article, inutile de parler des notions d’indépendance et d’impartialité de la justice aux juges et magistrats vietnamiens. Le parquet, le barreau, les juges sont tous aux ordres de la chancellerie, qui elle-même est aux ordres du parti communiste. D’ailleurs, les procureurs, juges, greffiers, bâtonniers sont quasiment tous membres du parti communiste, la boucle est bouclée.

Les articles fourre-tout dans le Code Pénal

Toujours dans la Constitution de 1992, les articles 50, 53 et 69 assurent aux Vietnamiens le respect de leurs droits fondamentaux, les autorisent à participer à la vie politique, de créer des associations et de s’exprimer librement « en conformité avec la loi ». L’expression « en conformité avec la loi » permet au régime de Hanoï à la fois de prétendre qu’il respecte les droits de l’homme et qu’ils n’arrêtent que les contrevenants à la loi. Car une fois traduit dans le code pénal, c’est un euphémisme de dire que plusieurs articles du code pénal limitent très fortement ces libertés. Je n’en citerai que trois ici.

L’article 79 (subversion ou mouvement insurrectionnel) est appliqué contre tous les membres d’un mouvement politique structuré comme une organisation, un parti politique. Il n’y a que dans les pays dictatoriaux que ce genre de « crime » existe. Dans n’importe quel pays démocratique, le gouvernement peut être « renversé » à chaque élection. D’ailleurs, on ne parle pas de renversement mais plutôt d’alternance politique.

L’article 88 (Propagande contre l’Etat de la République socialiste du Vietnam) est appliqué contre tous ceux qui expriment ouvertement la politique menée par le gouvernement. Au Vietnam, la liberté d’expression est fortement limitée par cet article du code pénal. Chacun peut s’exprimer, mais surtout ne pas critiquer l’état ou le parti communiste sous peine d’aller en prison pour plusieurs années. Depuis 2007, des dizaines de personnes ont été envoyées en prison pour avoir enfreint cet article.

L’article 258 (Abus de ses droits et libertés) est une bizarrerie que seules les dictatures savent en créer. Selon cet article, toute personne qui abuserait de sa liberté d’expression, de presse, de religion, d’association ou de toute autre liberté s’expose à des peines allant du simple avertissement jusqu’à trois ans de « rééducation », voire de prison lorsque les faits sont « graves ».

Ces trois articles fourre-tout du code pénal sont particulièrement vagues et les autorités entretiennent volontairement le flou en omettant de publier des décrets d’application pour ces crimes. Ce flou entretenu permet aux policiers, magistrats et juges d’arrêter puis de faire condamner n’importe qui et à n’importe quel moment.

Les droits de la défense sont bafoués

Le Code vietnamien de la Procédure Pénale regorge de bonnes intentions comme la présomption d’innocence, l’égalité de tous les citoyens devant la loi, la garantie de l’intégrité physique et morale des personnes mises en examen, l’impartialité des enquêteurs, le respect des droits de la défense, etc. Mais dans les faits, qu’en est-il ?

Par exemple, l’article 48 de ce Code dit que les personnes mises en détention provisoire doivent pouvoir connaître la raison de leur détention. Les rédacteurs de cet article ont seulement omis de préciser le délai car dans le cas du professeur de mathématique Pham Minh Hoang, il n’a su la raison de sa détention qu’après avoir passé plusieurs semaines derrière les barreaux en détention provisoire. De plus, tous les entretiens que Pham Minh Hoang passés avec son avocat ont été filmés par des policiers qui ne perdaient pas une miette des échanges.

Au Vietnam, l’avocat ne peut rencontrer son client et accéder au dossier qu’une fois l’enquête terminée, ce qui peut prendre jusqu’à un an. C’est une durée très très longue où le prévenu est seul face à la Sécurité Publique, subissant toutes sortes de pressions pour avouer tout ce que les autorités veulent lui faire avouer.

Mais il y a pire encore. En mai 2011, les sept militants des droits fonciers de Ben Tre n’ont pu rencontrer leur avocat qu’une semaine avant le procès, alors qu’ils étaient sous le coup de l’article 79. Comment est-ce qu’un avocat, si bon soit-il, peut préparer la défense de son client en une semaine alors que celui-ci risque la peine de mort ?

Des procès expéditifs

Aucun dissident politique n’a jamais été acquitté par un tribunal vietnamien.

Les procès politiques au Vietnam durent moins d’une journée, le plus souvent ils ne prennent que deux ou trois heures. Le procès est en fait un débat durant lequel les autorités annoncent la sentence qui a été prédéterminée. Avant la procédure, la Sécurité Publique, le Parquet et les juges se réunissent et décident à l’avance du verdict et de la sentence. L’audience dans le tribunal ne sert à rien d’autre qu’à officialiser la décision prise plus tôt. En conséquence, les avocats de la défense sont cantonnés à un rôle de faire-valoir. Leurs arguments, leur plaidoirie n’a aucune influence sur la décision du juge. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’aucun dissident politique n’a jamais été acquitté par un tribunal vietnamien.

Les observateurs étrangers sont rarement autorisés à assister aux procès. Dans certains cas très médiatisés, les diplomates et les journalistes étrangers sont parfois autorisés à observer les débats au travers d’un moniteur de télévision situés en-dehors de la salle. Et bien que les procès soient publics, il arrive fréquemment que les supporters, même la famille, des personnes jugés ne puissent pas accéder au tribunal. Cela a été le cas en août 2011 où la mère de Pham Minh Hoang n’avait pas pu assister au procès de son fils car soi-disant la salle était déjà pleine.

Les opposants politiques jugés ont possibilité de faire appel mais généralement, la sentence est confirmée ou bien elle diminue seulement de quelques mois s’il y a eu des pressions internationales. En revanche, le pourvoi en cassation est un privilège réservé au parquet et le cas ne s’est jamais présenté avec les procès politiques, puisque les juges et le parquet ne sont jamais en désaccord.

Les défenseurs des militants visés à leur tour

Quand le défenseur des défenseurs des droits l’homme veut faire son travail jusqu’au bout, les autorités utilisent un argument extrêmement dissuasif : la radiation du barreau ce qui signifie de facto la perte de sa licence pour l’avocat.

Si la justice n’est pas indépendante au Vietnam, le Barreau du Vietnam ne l’est pas non plus. Une des missions les plus nobles d’un Barreau est de défendre ses confrères contre les abus d’autorités. Or au Vietnam, le Barreau est aux ordres du ministère de la Justice et c’est ainsi que depuis 2007, une bonne dizaine d’avocats ont ainsi perdu la possibilité de travailler comme Le Quoc Quan Le Tran Luat, Le Cong Dinh, Le Thi Cong Nhan, Nguyen Van Dai.

La dernière victime en date est Me Huynh Van Dong qui a été radié du barreau en août 2011 après le procès des militants de Ben Tre où on ne l’a pas laissé défendre convenablement ses clients. Me Dong a même été expulsé du tribunal en plein procès.

Outre le retrait de leur licence, les avocats subissent aussi des mesures de rétorsions économiques et psychologiques comme c’est le cas de Me Le Quoc Quan où son cabinet de consultant est harcelé par les autorités. Lui-même est sous le coup d’une mesure administrative qui le contraint à se faire « ré-éduquer » pendant six mois. La décision n’est pas encore exécutée car Me Quan a déposé des recours.

On le voit, le métier d’avocat au Vietnam n’est pas un métier facile. Néanmoins, le nombre élevé d’avocats radiés du barreau montre qu’il y a une véritable prise de conscience dans la profession. De plus en plus d’avocats vietnamiens veulent vraiment défendre de leurs clients contre l’injustice, quitte à devenir à leur tour la cible du régime.

* * *

La Vietnam a beau s’efforcer de montrer un visage civilisé au monde, il suffit de regarder en détail le pays pour voir que le régime en place reste l’un des plus arriérés du monde sur le plan de la justice, avec des méthodes dignes des pires années de Staline ou de Mao. Il est bien dommage que le vice de forme n’existe pas dans le système judiciaire vietnamien, sinon, les prisons vietnamiennes ne regorgeraient pas d’autant de prisonniers politiques.

Il se peut que le Vietnam révise sa Constitution et certains articles de son Code Pénal pour 2012. Si cela est avéré, car par le passé il est arrivé que ce genre d’annonce ne soit pas suivie d’effet, faisons tous pression pour que cette révision aboutisse à de vraies avancées du système judiciaire vietnamien, avec notamment l’abrogation des articles 79, 88 et 258.

Je vous remercie de votre attention.

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