Répression par la loi : Comment le Vietnam communiste supprime toute opposition politique

Share on facebook
Share on google
Share on twitter
Share on whatsapp
Share on email
Share on print
Share on facebook
Share on google
Share on twitter
Share on whatsapp
Share on email
Share on print
PDF - 246.6 ko
Répression par la loi : Comment le Vietnam communiste supprime toute opposition politique (en version pdf)

18 novembre 2010

Criminaliser les droits fondamentaux

La République Socialiste du Vietnam s’appuie de plus en plus sur l’autorité de droit pour restreindre toute liberté d’expression et toute opposition civique. Cette tendance a commencé dans les années 1990 quand le Parti communiste vietnamien a ouvert le pays au commerce et aux investissements étrangers et a créé des structures juridiques et gouvernementales afin de traiter avec le monde extérieur.

Ces dernières années, le Vietnam s’est encore plus largement investi dans le monde international en adhérant à l’Organisation Mondiale du Commerce en 2007, en siégeant au Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2008-2009 et en présidant l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est en 2010. Afin de satisfaire encore plus aux exigences de transparence et de confiance, les autorités vietnamiennes se sont engagées à créer « un État régi par la loi du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

En pratique, cela signifie que l’État a utilisé la loi comme instrument pour gouverner le peuple. Cette situation est illustrée par une disposition clé de la Constitution : Les citoyens ont droit à la liberté d’expression et à la liberté de Presse ; ils ont le droit de recevoir des informations et le droit de réunion, d’association et de manifestation en conformité avec la loi.

L’expression « en conformité avec la loi » permet au régime de Hanoï à la fois de prétendre qu’il respecte les droits de l’homme et qu’ils n’arrêtent que les contrevenants à la loi. Ainsi que le Président Nguyen Minh Triet déclarait à des journalistes Occidentaux : « nous aimons les droits humains fondamentaux et respectons les droits de l’homme. Mais si quelqu’un viole la loi nous devons le punir ».

La manière dont le régime réprime les soi-disant contrevenants à la loi a suivi l’évolution de la dissidence politique au Vietnam. Dans les années 1990, les dissidents vietnamiens à quelques exceptions près étaient de vieux chefs spirituels et d’anciens membres du Parti communiste. Pour la plupart ils agissaient seuls ou étaient plus ou moins coordonnés. Les autorités avaient réagi en isolant les dissidents et le plus souvent en les détenant sans aucune forme de procès. Dans les rares cas où un procès a eu lieu, les dissidents étaient souvent reconnus coupables « d’avoir abusé des libertés démocratiques et porté atteinte aux intérêts de l’État » (Article 258 du Code pénal vietnamien).

Ces dix dernières années, les activistes vietnamiens se sont élargis et comprennent de jeunes professionnels, des travailleurs sociaux et des journalistes citoyens. Une grande part de l’activisme a été facilitée par le développement de la technologie d’information puisque les activistes mettent régulièrement leurs articles en ligne. Internet a atteint son paroxysme en 2007 quand 15 millions de vietnamiens, soit près de 20 % de la population, étaient en ligne. En réponse à ce grand espace politique offert par le Web, le régime a emprisonné de nombreux individus pour « propagande contre l’état socialiste » (Article 88).

Pendant ce temps, le mouvement vietnamien pour la démocratie est lui aussi devenu plus organisé, des groupes politiques non autorisés ont commencé à opérer quelque peu ouvertement. Des organisations nouvelles ou existantes sont brusquement apparues telles que le Bloc 8406 et l’Union des Travailleurs et Fermiers ; des partis politiques tel que le Parti de Progression du Vietnam, le Parti Démocrate du Vietnam, le Parti Démocrate du Peuple, le Parti Populiste du Vietnam et Viet Tan.

Les autorités réprimèrent cette nouvelle génération d’activistes avec toute une nouvelle série d’accusations. Promouvoir une démocratie pluripartite fut considérée comme « mener des activités visant à renverser le gouvernement du peuple » (Article 79). Organiser des manifestations pacifiques fut considérée comme « incitation » ou « trouble à l’ordre public » (Articles 89 et 245).

Le code pénal vietnamien contient une litanie de dispositions pour réprimer toute dissidence. Le tableau 1 reprend les accusations politiques les plus couramment utilisées. Malgré les efforts des organisations des droits de l’homme, il est pratiquement impossible de garder une trace de tous les procès politiques au Vietnam. Le tableau 2 dresse une liste des militants pour la démocratie et la justice sociale les plus connus et persécutés ces dernières années. Toutes ces personnes ont été arrêtées pour leurs activités pacifiques et leurs cas ont été soulevés par les ONG internationales de défense des droits de l’homme.

JPEG - 35 ko

Un système juridique inversé

Ainsi que les prisonniers politiques au Vietnam le savent, les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution sont limités dans la pratique. L’avocat vietnamien défenseur des droits de l’homme Le Quoc Quan a noté que le système de hiérarchie juridique au Vietnam est en fait inversé. En bas se trouve la Constitution. Au-dessus de la Constitution, il y a les lois adoptées par l’Assemblée nationale. Au-dessus des lois, il y a les décrets publiés par les autorités gouvernementales. Et l’application réelle et parfois arbitraire du système juridique remplace souvent les décrets gouvernementaux.

Par exemple, les autorités gouvernementales ne sont pas censées adopter des lois. Théoriquement, elles sont seulement autorisées à publier des décrets visant à appliquer les lois adoptées par l’Assemblée nationale. Mais au Vietnam, les autorités gouvernementales (du Premier ministre, au Président, en passant par les Ministères) décident toutes sortes de lois interdisant directement le peuple de faire certaines choses. L’exemple en est de la Décision 97 du Premier Ministre Nguyen Tan Dung qui a limité la recherche scientifique et technique à 317 matières spécifiquement agréées. En vertu de cette directive en date du 15 septembre 2009, les groupes au Vietnam ne peuvent discuter publiquement de sujets qui ne sont pas explicitement autorisés.

En ce qui concerne les militants pour la démocratie, la justice arbitraire peut survenir dès leur arrestation jusqu’à la déclaration de leur culpabilité. Selon le code de procédure pénal du Vietnam, tous les accusés doivent être informés de la raison de leur arrestation, mais la police refuse souvent de fournir un mandat d’arrêt écrit ou de fournir à la famille de l’accusé tout document prouvant sa détention. Dans certains cas, quand des membres d’une famille sont témoins d’une arrestation, la police contraint les parents à s’engager par écrit à ne pas discuter de l’arrestation avec qui que ce soit.

Bien que, théoriquement, les accusés aient droit à un avocat, le gouvernement doit approuver le choix de l’avocat et décider quand lui et son client peuvent se rencontrer. Ainsi, les militants sont souvent privés de toute représentation juridique ou de toute visite régulière de leur avocat lorsque celle-ci a été accordée. Il est fréquent pour un avocat de la défense de rencontrer son client pour la première fois quelques jours avant le procès. Lors du procès de l’activiste pour la démocratie Le Thi Cong Nhan, son avocat n’a eu droit qu’à 15 minutes pour parler.

Les procès politiques au Vietnam durent moins d’une journée, le plus souvent ils ne prennent que deux ou trois heures. Le procès est en fait un débat durant lequel les autorités annoncent la sentence qui a été prédéterminée. Avant la procédure, la Sécurité Publique (Cong An), l’accusation (Vien Kiem Sat) et les juges se réunissent souvent pour parvenir à accord sur l’issue du procès. En conséquence, aucun dissident politique n’a jamais été acquitté par un tribunal vietnamien.

Les observateurs étrangers sont rarement autorisés à assister aux procès. Dans certains cas très médiatisés, on a permis aux diplomates et aux journalistes d’observer les débats au travers d’un moniteur de télévision situés en-dehors de la salle. Mais dans d’autres procès politiques, tel que celui de la cyber-activiste Pham Thanh Nghien en janvier 2010, les diplomates se sont vu refuser l’accès du tribunal même en circuit fermé, et ce malgré leurs demandes officielles. Les locaux qui essaient de participer aux procès et d’apporter leur soutien aux accusés sont refoulés et parfois eux-mêmes arrêtés.

Détourner les charges des accusations politiques

Bien que les autorités vietnamiennes utilisent régulièrement le code juridique pour criminaliser la liberté d’expression et les activités de pro-démocratie, le régime n’est pas entièrement insensible aux réactions nationales et internationales. A plusieurs reprises, les autorités ont ainsi choisi de recourir à des charges non politiques pour persécuter les dissidents. En particulier les deux cas tristement célèbres des arrestations du blogueur Nguyen Van Hai en avril 2008 et de la romancière Tran Khai Thanh Thuy en octobre 2009.

JPEG - 38.7 ko

Nguyen Van Hai, sous le pseudonyme Dieu Cay (qui veut dire « la pipe à eau du paysan »), a été l’un des premiers journalistes citoyens vietnamiens. Grâce à son blog Yahoo 360, Dieu Cay dénonçait la corruption du gouvernement, appelait à la liberté d’expression et était parmi les premiers Vietnamiens à critiquer la décision du gouvernement chinois d’intégrer les îles Paracels et Spratly – qui sont revendiquées par le Vietnam – à la province chinoise du Hainan.

Dieu Cay a participé aux manifestations qui ont eu lieu à l’extérieur du consulat chinois à Saigon durant deux dimanche consécutifs en décembre 2007. Malgré les fréquentes intimidations de la police, il a continué à alimenter son blog et le 19 janvier 2008, est apparu avec d’autres blogueurs sur les marches de l’Opéra du quartier central de Saigon. En portant tous des t-shirts flanqués de menottes représentant l’emblème des anneaux Olympiques, les manifestants ont attiré l’attention sur l’invasion de la Chine et sur l’occupation des Îles Paracels depuis exactement 34 ans. Dans un acte de désobéissance civile, Dieu Cay invitait à boycotter le Relais de la Flamme Olympique de Pékin qui devait passer par le Vietnam le 29 avril 2008.

La police a convoqué Dieu Cay pour interrogatoire et a même menacé sa sécurité personnelle en lui faisant comprendre qu’ils ne seraient pas responsables si des agents chinois venaient à lui faire du mal. Avant que la Flamme de Pékin n’arrive au Vietnam, la police a officiellement arrêté Dieu Cay le 19 avril 2008. Les autorités l’ont accusé de fraude fiscale et l’a condamné à 30 mois de prison. Les principales associations internationales des droits de l’homme ont alors accusé le Vietnam d’avoir inventé de faux prétextes pour le réduire au silence. Le gouvernement vietnamien insistait par ailleurs sur le fait que Dieu Cay était un criminel de droit commun et que son arrestation n’avait aucun lien politique avec ses convictions personnelles. Ironiquement, lorsque la peine de 30 mois d’emprisonnement de Dieu Cay a expiré en octobre 2010, les autorités l’ont maintenu en prison pour propagande contre l’Etat.

JPEG - 33.9 ko

La romancière Tran Khai Thanh Thuy est l’un des écrivains et une des activistes pour la démocratie les plus renommés au Vietnam. Elle a été détenue pendant neuf mois en 2007 pour avoir rendues publiques les affaires des fermiers ayant perdu leur terre du fait de la corruption du gouvernement. Après sa libération, elle a été physiquement et psychologiquement intimidée par les autorités. Plus d’une douzaine de fois, des provocateurs, qui seraient liés à la police, ont jeté des excréments humains et des animaux morts sur le pas de sa porte et cadenassé sa porte d’entrée.

Le 8 octobre 2009, Tran Khai Thanh Thuy a été physiquement empêchée d’assister au procès de ses amis militants pour la démocratie. Ce soir là, les autorités ont envoyé des agents en civil pour harceler sa famille. Thuy a été frappée avec des briques lui causant de blessures à la tête. Sa fille de 13 ans a été témoin de l’incident et a été laissée seule au domicile après que la police ait emmené Thuy et son mari. Alors que le couple était détenu, les médias contrôlés par l’État publiait une fausse version des faits qui avaient mené à leur arrestation. Des blogueurs vietnamiens ont pu prouver que la photo publiée par les médias d’Etat de la personne qui aurait soi-disant été frappée par Thuy était une photo truquée qui avait en réalité été prise plusieurs années avant les évènements.

Thuy a été condamnée à trois ans et demi de prison pour « agression physique » le 5 février 2010. La communauté internationale – dont l’ambassade des Etats-Unis à Hanoï, les parlementaires du monde entier et les ONGs internationales – ont fortement condamné les circonstances de sa détention.

À la différence des cas typiques d’autorité de droit où les autorités vietnamiennes ont puni en toute légitimité des activités politiques internationalement reconnues, les cas cités ci-dessus sont des exemples de fabrication d’activité criminelle par les autorités. Alors que Hanoï fait face à une plus grande critique concernant ses violations des droits de l’homme, les autorités peuvent de plus en plus recourir à des poursuites criminelles ordinaires pour faire taire toute dissidence politique.

Jouer la carte du terrorisme

Suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les autorités vietnamiennes ont cherché à exploiter l’inquiétude internationale vis-à-vis du terrorisme pour discréditer leurs opposants politiques chez eux. La différence cruciale dans le contexte vietnamien est que les groupes considérés comme « terroristes » par Hanoi – notamment Viet Tan et le Parti Démocrate du Peuple – n’adhérent pas à la violence et favorisent le changement démocratique par des moyens pacifiques.

En août 2006, l’Américain d’origine vietnamienne Do Thanh Cong et trois autres fondateurs du Parti Démocrate du Peuple étaient arrêtés par la police vietnamienne. Les autorités ont tout d’abord accusé le groupe d’attentat à la bombe contre le Consulat des Etats-Unis à Saigon. Ne pouvant justifier l’accusation de terrorisme et sous pression du gouvernement américain, les autorités expulsa Do Thanh Cong vers les États-Unis. Les trois autres militants pour la démocratie (Le Nguyen Sang, Huynh Nguyen Dao et Nguyen Bac Truyen) furent ensuite condamnés le 10 mai 2007 pour propagande contre l’Etat.

JPEG - 47.4 ko

Le 17 novembre 2007, la Sécurité Publique arrêtait six membres et sympathisants du Viet Tan à Saigon alors qu’ils s’apprêtaient à distribuer 7.000 tracts prônant l’action civique non violente. Les autorités accusèrent les activistes de se préparer à commettre un acte terroriste.

Une semaine plus tard, la police dissimulait un pistolet et des munitions dans les bagages enregistrés d’un couple d’innocents américains vietnamiens arrivant de Los Angeles (Californie) à l’aéroport de Tan Son Nhat à Saigon. Les autorités racontèrent que ce couple était relié aux activistes du Viet Tan mentionnés ci-dessus, afin que Viet Tan soit reconnu comme organisation terroriste. Parce que l’histoire de ce couple sans défense n’était pas crédible aux yeux du monde extérieur, le gouvernement de Hanoï a discrètement libéré le couple et aucune plainte n’a été déposée contre eux. Selon une enquête de l’Administration de la Sécurité des Transports des Etats-Unis (TSA), il n’y avait aucune preuve que quelqu’un ait transporté une arme à feu et passé les barrages de sécurité de l’aéroport le jour où le couple a quitté Los Angeles.

Des six militants de Viet Tan initialement détenus, trois ont vite été relâchés et trois (Nguyen Quoc Quan, Nguyen The Vu et Somsak Khunmi) ont été traduits en justice le 13 mai 2008 et rapidement reconnus coupables de « terrorisme ». En dépit de l’importance de l’accusation, et en raison de la pression internationale exercée pour leur libération, .les accusés n’ont essentiellement été condamnés qu’au temps qu’ils avaient déjà passé en prison.

JPEG - 51.3 ko

Le 10 octobre 2010, l’assistante sociale Hong Vo était arrêtée et soupçonnée de « terrorisme ». La veille, elle et d’autres membres de Viet Tan avaient organisé une manifestation publique à Hanoï où les participants avaient lu à haute voix une déclaration et distribué des tracts, des t-shirts et des casquettes prônant la souveraineté vietnamienne sur les îles Paracels et Spratly. Après dix jours de prison, Hong Vo fut libérée et extradée vers l’Australie. Bien que les médias d’Etat aient continué à la désigner, elle et Viet Tan, de « terroristes », les autorités n’ont jamais fourni de preuves à leurs revendications.

Sous l’accusation de terrorisme, les autorités vietnamiennes cherchent à combiner les aspects les plus inquiétants de l’autorité de droit : la criminalisation d’activités politiques pacifiques et la fabrication de fausses accusations.

Recommandations générales

1. Plaider en faveur d’une réforme du système juridique au Vietnam
L’autorité de droit n’est pas seulement un problème de droits de l’homme, mais est également une question sérieuse de gouvernance. Le Vietnam ne peut pas offrir un climat propice aux affaires, ni parvenir à un développement durable sans un système juridique fiable. Les investisseurs étrangers, les ONGs internationales et les donateurs devraient inciter le gouvernement de Hanoï à abroger les lois, en particulier les Articles 79 et 88 du Code pénal – qui criminalisent les droits de l’homme internationalement reconnus.

2. Soutenir les procédures juridiques visant les détentions arbitraires au Vietnam
Une communauté, petite mais dévouée à la défense des droits de l’homme au Vietnam se confronte à l’injustice de tous les jours. Ces personnes peuvent avoir plus de poids si on leur apporte notre assistance technique et financière. En dehors du Vietnam, les représentants juridiques peuvent obtenir justice en déposant des dossiers auprès du Groupe de travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire et auprès d’autres juridictions.

3. Exiger du gouvernement vietnamien de libérer les prisonniers politiques
Enfin, aucune personne ne devrait être envoyée en prison pour avoir exercé ses droits fondamentaux. Vous pouvez contribuer à sensibiliser l’opinion et à défendre les militants pour la démocratie emprisonnés au Vietnam. Exprimez votre solidarité à ces prisonniers et soutenez leurs familles.

JPEG - 145.6 ko

JPEG - 463.7 ko

Share on facebook
Share on google
Share on twitter
Share on whatsapp
Share on email
Share on print

Derniers articles

Action collective pour les îles Paracel et Spratly

Aujourd’hui, la communauté internationale s’accorde à dire que la République populaire de Chine mène des actions de plus en plus agressives dans la région indo-pacifique, notamment en mer de Chine méridionale. Ces hostilités ont commencé il y a 49 ans avec l’invasion chinoise des îles Paracels (Hoàng Sa) le 19 janvier 1974,