Voyage au Vietnam

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Le voyage

Genève-Zurich, puis 12 heures dans l’immense Airbus A380 dans lequel on a presque plus l’impression d’être en l’air. Quatre heures d’attente dans l’un des temples de la consommation. L’aéroport de Singapour est entièrement dédié au achats, d’électronique et de vêtements de marque pour l’essentiel. Dans l’avion, le passager qui regarde une vidéo à la demande a dû subir deux minutes de publicité, donc un bon quart vente les mérites de la Cité-Etat en matière d’impôts et taxes : pas d’imposition sur la fortune, ni sur les successions, pas de TVA, Un petit paradis vaguement déhumanisé.

Arrivée à Hanoi

De l’avion, un paysage plat et inondé, nous sommes à la fin de la saison des pluies. Des champs pour la plupart encore inondés séparent des villages très proches les uns des autres mais bien dessinés, visiblement le fruit d’une planification rigoureuse où l’initiative privée n’a visiblement pas eu son mot à dire.

A l’Européen, aucune question au passage de l’immigration mais aux doubles nationaux, on demande pourquoi ils viennent, qui ils vont voir. Première distinction qui n’est pas une surprise quand on sait que le Vietnam ne reconnaît pas la double nationalité. Pour les autorités locales, on ne peut être que vietnamien.

La ville

Si le centre est relativement aéré, c’est surtout sur le plan architectural : peu d’immeubles de plus de trois étages et beaucoup d’espaces verts ou de terrains en friche : il y a visiblement une marge pour le développement urbain au sens où nous l’entendons en Europe. Par contre, l’air lui même est très chargé en gaz d’échappement qui irritent la gorge. On respire mal. La circulation anarchique mais plutôt efficace des scooters-taxis occupe toute la rue. Les deux tiers de conducteurs de deux-roues portent des masques protecteurs et, ô miracle, des casques il est vrai pas toujours attachés… Le reste de l’espace apartient aux taxis alors que l’on voit très peu de véhicules privés.

Le but du voyage

Pour nous, il s’agit de prendre contact avec des activistes, harcelés par les autorités et les familles des trois personnes détenues pour raisons politiques. Il est très important pour eux qu’ils sachent que des gens, hors du pays, les soutiennent et sont au courant de la situation dans laquelle ils survivent. Dans ce combat pour la liberté d’expression, les autorités vietnamiennes doivent aussi savoir qu’elles sont surveillées. La communauté vietnamienne en exil, notamment en Suisse, exerce une pression constante pour que les autorités respectent les droits de l’homme mais aussi leur propre loi nationale.

La sécurité

La mission implique quelques précautions, pas tant pour moi qui suis, en principe, protégé par mon statut d’étranger mais pour ceux qui m’accompagneront au cours du voyage. Par contre, pour ceux que nous allons rencontrer, les conséquences sont nettement plus sérieuses. Ils prennent des risques mais les évaluent très bien : c’est leur quotidien. S’ils ont souhaité nous rencontrer, c’est qu’ils y voient plus d’avantages que d’inconvénients à moyen et long terme pour l’avancement de la cause de la démocratie et des libertés au Vietnam. A court terme, il est possible que leur situation s’agrave. Ils le savent et sont libres de nous rencontrer ou non. C’est d’ailleurs une des seules libertés qu’il leur reste : prendre ou non des risques.

Les précautions

A Genève comme à Singapour, nous avons fait le tri dans nos documents : éviter de livrer un numéro de téléphone qui pourrait causer du tort à nos contacts au Vietnam en cas de fouille approfondie. Nous nettoyons porte-feuilles, disques durs et documents. Dans un premier temps les rendez-vous seront organisés via un contact à l’étranger. Paranoia ou simple prudence ? Nous espérons ne jamais le savoir vraiment.

Certaines dictatures dont la prospérité repose en partie sur le tourisme, le commerce et la sous-traitance manufacturière pour de grandes firmes étrangères sont sensibles à l’image qu’elles donnent à l’extérieur.

Mardi 5 octobre

J’ai rencontré dans un grand hôtel de la capitale deux représentants du parti Viet Tan. Ils sont venus de loin. Prudents, ils sont visiblement mal à l’aise dans l’espace ouvert du lobby. Nous trouvons un endroit tranquille. Loin des oreilles et des yeux indiscrets, ils semblent plus détendus. L’un d’eux arbore un sourire aux dents gâtées. Il en fait spontanément un argument politique : quand sa vie et sa liberté sont quotidiennement menacées, s’occuper de sa dentition devient secondaire… Lucide.

La valeur d’un soutien extérieur

Nos contacts sont très heureux et impressionnés que l’on vienne de si loin pour les voir et leur apporter un message de soutien de Genève et de la part du Parti radical. Nous leur expliquons que les libertés sont à la base de notre engagement à Genève depuis 1847, une lutte qui a commencé dans la rue pour se poursuivre a travers les institutions de l’Etat. En plus d’un soutien direct, le but de la visite est également de faire savoir à l’extérieur du Vietnam dans quelle situation vivent ceux qui ne se coulent pas dans le moule du Parti communiste local.

Nos interlocuteurs ne pensent pas encore être connus des autorités mais s’attendent à être arrêtés un jour ou l’autre. C’est presque inévitable. Les deux travaillent en indépendants car leurs activités politiques ne leur laissent plus le temps d’occuper un emploi complet.

Action non-violente uniquement

Pendant tout l’entretien, nous nous retiendrons de leur demander des renseignements qui pourraient présenter un risque de sécurité pour eux. Noms, lieux, chiffres restent vagues. Ils nous annoncent cependant un événement que nous ne pouvons retranscrire ici pour l’instant. Ils peuvent compter sur le soutien d’une grande partie de la communauté vietnamienne à l’étranger dont des milliers de membres appartiennent à la branche extérieure du même parti d’opposition. Pour ma part, je ne pose qu’une seule condition : je ne peux soutenir que des actions qui soient en accord avec le droit international et les droits de l’homme. Ils donnent quittance : non, le parti Viet Tan ne s’engage pas dans des actions violentes mais seulement politiques et visent à mobiliser la population.

La Constitution vietnamienne est verrouillée

Sur le plan politique, le problème vient de l’article 4 de la Constitution de la République Socialiste du Vietnam de 1992 qui prévoit que « le Parti Communiste du Vietnam, avant-garde de la classe ouvrière vietnamienne et loyal représentant des intérêts de la classe ouvrière, du peuple ouvrier de la nation entière, qui adhère au Marxisme-Léninisme et à la pensée de Ho Chi Minh, est la force qui assume la direction (leadership) de l’Etat de la société ». Cette confusion constitutionnellement entretenue des intérêts de la Nation et du Parti permet de verrouiller toute initiative qui se développe en dehors de lui. L’omniprésence des organes du parti unique à tous les niveaux de l’organisation sociale, de la presse, des organisations professionnelles, sportives et culturelles permet un contrôle total sur la société.

Les pressions et manifestations contre le régime à l’extérieur ont-elles un effet ? Dans le pays, on n’en sait rien si l’on n’a pas accès à internet. Les moyens d’information accessibles à la majorité du peuple ne relaient que ce que le gouvernement veut laisser passer. Internet est surveillé mais les autorités ne parviennent pas à tout contrôler.

Les Vietnamiens peuvent pratiquer la religion, mais à l’intérieur de structures contrôlées par l’Etat (et donc le Parti). De ce point de vue, les catholiques romains, un groupe auquel appartiennent nos deux contacts, est une épine dans le pied de l’Etat : le clergé reçoit de l’information et des instructions de Rome, ce qui rend le rend un peu moins contrôlable.

La corruption est très largement répandue à l’intérieur de l’appareil officiel mais il est impossible de s’en plaindre puisque le système judiciaire répond à la même logique.

Même la défense du territoire national est un sujet délicat

Il arrive même que le patriotisme le plus sincère entre en contradiction avec le Parti : il est interdit d’affirmer que les îles Spratleys et Paracels appartiennent au Vietnam. Pour des raisons stratégiques, l’Etat vietnamien s’interdit de les revendiquer officiellement alors qu’elles sont occupées par la Chine. Pour le Régime, cela reviendrait à accuser son principal soutien régional et à admettre qu’il ne parvient pas lui-même à protéger efficacement le territoire national.

La défense de la Patrie est placée tout en haut dans la hiérarchie des valeurs à protéger et la trahison définie comme le plus grave des crimes (article 76 de la Constitution). Est-ce un hasard si cet article vient immédiatement après celui qui définit les devoirs des Vietnamiens vivant à l’extérieur ? Il y a là comme un parfum de menace pour la communauté vietnamienne expatriée.

La liberté d’expression est criminalisée

Nos interlocuteurs sont très soucieux de se débarrasser des accusations officielles de terrorisme qui sont utilisées contre eux par l’Etat. A noter qu’il suffit de très peu pour se voir condamné à de très lourdes peines de prison : les articles 78 à 92 du Code pénal vietnamien prévoient de très nombreux crimes tels que la « participation à un mouvement insurrectionnel » (art 79), « l’entrave à la mise en œuvre de politiques socio-économiques ou de politiques de solidarité » (art 86 et 87) et même « propagande contre la république socialiste du Vietnam » (art 88). Tous les actes réprimés comme des atteintes à l’Etat seraient décrites en Suisse comme une simple critique de la politique gouvernementale. A ce tarif là, la moitié de ce qu’écrit notre presse tomberait sous le coup du code pénal, faire campagne serait illégal, faire signer une pétition ou une initiative populaire serait souvent de la haute trahison. Tout cela n’est pas surprenant quant on lit l’article 1er de ce même code pénal vietnamien : « Le Code pénal a pour mission de protéger le régime socialiste, le droit de maître du peuple, l’égalité entre les communautés… »

Après presque trois heures d’entretien, nos contacts repartent prendre leur bus. Nous espérons que ce contact ne leur coûtera pas une convocation par la sécurité nationale ou pire, une arrestation ou une détention plus ou moins longue. Pour des raisons de sécurité, nous n’avons fait aucune photo de cet entretien.

Mercredi 6 octobre

Cas de Mme Tranh Khai Thanh Thuy

Dans un autre grand hôtel de la capitale vietnamienne, nous avons rendez-vous avec M. Do Ba Tan, mari de Mme Tranh Khai Thanh Thuy, une journaliste et écrivain, militante pour la démocratie. Membre du Pen Club et suivie par Amnesty international. Comme lui, elle a juste 50 ans. Harcelée, interrogée à de multiples reprises en 2006, elle a été détenue puis condamnée à 9 mois ferme, soit juste sa détention préventive. En septembre 2009, les autorités ont organisé un « incident » devant son domicile au cours duquel elle a été prise à partie par « d’autres personnes ». Pour s’être défendue, elle a été accusée de coups et blessures volontaires et arrêtée immédiatement. En janvier 2010, elle a été condamnée à 3 ans et demi de détention. Elle souffre de diabète et de tuberculose. La communauté vietnamienne de Suisse lui fait parvenir des médicaments par notre intermédiaire car son traitement ne serait pas poursuivi en détention.

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Selon son mari, les autorités sont coutumières de ce type de montage. Après sa première condamnation, elle avait été prise à partie par une foule hurlante rassemblée par la police. Dans un pays où la propagande fonctionne à plein régime depuis 80 ans, il est relativement facile aux autorités d’indiquer à des groupes de jeunes « ce qu’il faut faire » avec l’assurance de l’impunité.

Do Ba Tan est arrivé avec une bonne heure de retard. Ennui mécanique, mauvaise adresse ? ou plus simplement le temps qu’il faut pour semer ceux qui le surveillent. Il nous indique que sa femme était « traitée » par la Sécurité nationale tandis que son cas, de moindre importance, est délégué à la police locale de son quartier. Toujours est-il qu’il n’est pas à l’aise dans le lobby. De la terrasse du 18e étage d’où l’on domine la ville et sa pollution démentielle, il semble plus à l’aise.

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Une très lente évolution sous pression internationale

Il estime que la pression internationale et le bruit qui est fait autour de cas tels que celui de sa femme fait évoluer la situation. Depuis 10 ans, il a pu sentir la pression se relâcher un peu. Les autorités ne sont pas insensibles à ce qu’on dit d’elles à l’extérieur. Elles ont besoin de reconnaissance, d’établir des liens commerciaux et ne souhaitent pas rejoindre les rangs des nations mises au ban comme la Corée du Nord ou le Turkménistan. De ce point de vue, tout ce que nous pourrons dire de cette situation à l’extérieur est positif. Malgré les risques, lui-même et sa femme sont heureux d’y contribuer et nous en remercient.

Pour sa part, il n’a écopé que d’une condamnation à 2 ans avec sursis à la suite du montage de septembre 2009 devant son domicile, une peine que l’on a assorti d’un délai de mise à l’épreuve exceptionnellement long : presque 4 ans. Au Vietnam, il existe un moyen particulier de contrôler socialement les individus : les comités d’entreprise ou d’établissement. En tant que simple enseignant, son cas est suivi par un comité de son école, dirigé par un membre du Parti. Il peut lui infliger encore des sanctions selon son « comportement ».

Procès arrangé

Mais qu’est-ce qui lui fait dire que le procès contre son épouse était arrangé ? Il a vu des actes du procès qui avaient été rédigés avant les audiences. Son avocat a soulevé 15 points de procédure qui ont été rejetés sans exception ni explication. Et finalement, Tran Khai Thanh Thuy a été transférée dans son lieu de détention actuel à 180 kilomètres de Hanoi dès la fin de son procès sans attendre le délai de 15 jours pendant lequel on peut faire appel. Comme si tout était déjà scellé alors que la sentence n’était pas encore exécutoire. Ce n’était pas fini : à l’intérieur de la prison, Tran a rencontré l’hostilité de toutes les détenues, sans exception. Les autorités avaient fait passer le mot, ce qui est assez facile avec ce public « captif ».

Do Ba Tan a l’air à la fois triste et presque joyeux. Pas en même temps, bien sûr mais alternativement. Triste parce qu’il ne voit son épouse qu’une fois par mois, à travers une vitre et un interphone. Sachant que nous allions essayer de l’accompagner pour la visite d’octobre, il a décalé la date d’une semaine. Espérons que notre présence n’aura pas un impact négatif sur son droit de visite. Il en est conscient et accepte ce risque.

Paradoxal : les persécutions sont une nouvelle raison de vivre

Il paraît parfois joyeux. L’explication survient plus tard, au détour d’une phrase : cette tragique aventure lui a donné une raison de vivre, il s’est découvert une capacité d’exprimer ses sentiments. Il a grandi dans l’épreuve. A le voir, il ne fait pas de doute que ce petit oiseau est doté d’une vraie force intérieure.

Son seul regret, c’est de ne pas pouvoir mieux accueillir ses visiteurs venus d’Europe. Visiblement ému, il retrouve dans l’ascenseur son œil aux aguets et une gestuelle typique de ceux qui ont peur. Non pas peur de ce qui peut leur arriver car ils s’y attendent depuis longtemps mais peur du moment où tout peut basculer.

C’est ce sentiment que j’ai personnellement connu au Liban en 1989 alors que j’étais délégué du CICR. Ce n’est pas des conséquences de l’obus qu’on a peur mais de la peur que fera le simple bruit de celui qui nous est peut-être destiné.

Jeudi 7 octobre : la ville et les préparatifs de la célébration

Un rendez-vous tombe à l’eau, notre interlocuteur s’étant foulé la cheville. J’en profite pour déambuler dans le centre. On prépare activement les cérémonies de clôture du 1000ème anniversaire de la ville de Hanoi qui sera officiellement célébré le dimanche 10 suivant avec un grand défilé militaire dans la grande tradition soviétique. La ville est couverte de drapeaux rouges frappés de l’étoile jaune. Au rythme de un chaque 10 mètres, ce sont des centaines de milliers de drapeaux qui ornent chaque parcelle de la ville.

Décoration versus investissement ?

Tous les bâtiments officiels portant d’énormes caliquots exhaltant le régime et ses succès. Dans les parcs, sur les places, on trouve des dizaines d’écrans géants passant en boucle un film à la gloire de la ville et de l’Oncle Ho (Chi Minh), du Parti Communiste. Le Parti (ou est-ce l’Etat, on ne sait plus vraiment), aurait consacré 4,5 milliards de dollars pour l’ensemble de ces festivités. On doit se demander s’il ne s’agit pas d’un énorme gaspillage, car presque rien de ce qui a été fait ou construit ne profitera à la population. Ce matériel de propagande vieillira sur pied un temps ou sera retiré et détruit mais rien ne restera ou presque. Investir dans de véritable transports publics collectifs, l’assainissement de l’air ou la remise en état de réseaux routiers ou électriques aurait certainement profité plus à l’économie et à la santé d’un Peuple si cher au Régime en place. Un film a été spécialement réalisé par les Chinois à l’occasion de ces festivités.

Mais que pense vraiment la population ?

Timide incursion du capitalisme, on trouve sur certains lieux les logos d’une grande entreprise nationale ou régionale. Les acteurs, chanteurs, danseurs semblent à la fois contents qu’il se passe quelque chose mais vaguement contraints. Ils exercent visiblement leur « art » sous étroite surveillance. Ces festivités organisées à très grande échelle, cette liesse populaire à la fois touchante et terriblement mécanique me rapellent très nettement des scènes vécues en Ouzbekistan ou au Turkménistan, à un moindre degré au Rwanda ou en Syrie. Seul manque ici le culte de la personnalité. A part l’oncle Ho, on ne voit aucune tête dépasser.

Une question alors : que pense le citoyen de tout cela ? Mais pense-t-il ? Comment peut-il se faire une opinion alors que 80% de la population n’a jamais rien connu d’autre que cette pesante propagande un peu infantilisante. Mais le citoyen de base est avant tout tenu dans l’ignorance de tout ce qui pourrait lui donner des idées. Ce n’est pas un hasard si les détenus politiques le sont tous pour avoir fait circuler de l’information, via des banderoles, des écrits ou des blogs. La vraie menace pour le régime, c’est l’information du peuple (voir les entretiens de samedi matin).

Quel développement économique ?

Partant de très bas, le Vietnam connaît un véritable développement économique, qui semble à la fois bridé (ce n’est pas seulement un mauvais jeux de mots) et totalement anarchique. Alors qu’elle est officiellement organisée pour favoriser le Collectif, la société vietnamienne semble laisser la place à l’individualisme le plus féroce. Tout le monde arnaque tout le monde, profite chaque fois que c’est possible. On m’a rapporté que les anciens n’ont plus vraiment prise sur les jeunes.

Vendredi 8 octobre : la prison

C’est le jour de visite pour M. Do Ba Tan, le mari de Mme Tran Khai Thanh Thuy, détenue dans la prison de Thanh Hoa, à 180 km de Hanoi depuis tout juste un an. Modeste enseignant, son mari loue habituellement une voiture avec chauffeur, une pratique courante et prudente quand on connaît la circulation à Hanoi et pire encore, sur les routes encombrées de la périphérie.

Une circulation hallucinante

Tout s’y mélange. Vieillards cyclistes à chapeau cônique ou coiffés du casque vert de forme coloniale qui était la marque de fabrique des troupes du Nord pendant la guerre, taxis, bus, gros 4×4 d’officiels qui semblent avoir bien réussi à tirer leur épingle du jeu et surtout le flot des motocyclettes japonaises ou chinoises que les Vietnamiens conduisent avec une hallucinante désinvolture. Souvent sans casque, souvent aussi le téléphone à l’oreille, les motocyclistes emportent entre un et trois passagers derrière eux, parfois devant. Il n’est pas rare de voir le père de famille, son épouse et un, deux ou même trois enfants sur la même moto. Du bébé à l’adolescent, toujours sans casque. Entre 3 et 6 ans, les enfants prennent place devant le conducteur et s’accrochent au centre du guidon. Les nourrissons dorment entre les adultes. On frémit à l’idée d’un choc frontal.

Pollution sonore aussi

Une bonne moitié des motocyclistes portant un masque en tissu pour se protéger de l’athmosphère poussiéreuse. Mais ce qui frappe et prend à la gorge, c’est surtout l’air vicié, saturé des gaz d’échappement de centaines de milliers de motocycles mal réglés. Le vacarme est assourdissant puisque tous les conducteurs klaxonnent presque en permanence, comme s’ils avaient abandonné tout effort pour voir les autres usagers de la route et se contentaient de les entendre venir. A ce tarif, il serait en effet suicidaire de ne pas faire de bruit. Tout cela s’harmonise finalement assez bien. Pour l’avoir tenté comme passager à deux ou trois reprises, je recommande la confiance totale, une croyance forte en l’existance de l’Au-delà ou le fatalisme. Toute autre attitude est intenable.

180 km en huit heures

Ce matin-là, le mari de la détenue n’a pas de chauffeur et conduit lui-même. Nous avons rendez-vous dans la périphérie à 5h45. Nous réalisons un peu tard a une expérience limitée de la conduite mais il accepte des conseils de prudence. Après une heure de route, il négocie mal un mauvais passage et pose violemment son carter sur une grosse pierre qui dépasse du revêtement défoncé. Grosse fuite d’huile, appel à Hanoi. Une voiture avec chauffeur arrive trois bonnes heures plus tard, si bien que, partis à 6h, nous n’arrivons en vue de la prison que huit heures plus tard.

Négociations à l’entrée

Le lieu est très discret. De la rue, on ne voit qu’une portique d’entrée, un bâtiment administratif et une allée arborisée qui mène aux quartiers des détenus. Comme la zone est parcourue d’étangs, de lacs très isolée, on imagine que l’éloignement comme le contrôle social font plus pour retenir les détenus que les murs eux-mêmes. Le mari obtient l’autorisation de visite et nous entamons une discussion avec un officier responsable. Explications sur notre présence au Vietnam, notre provenance, l’intérêt que le Parti Radical à Genève porte aux libertés et à la détenue Tran Khai Thanh Thuy en particulier et notre demande à la rencontrer. L’idée est de faire passer le message qu’il y a une attention internationale sur cette détenue et sur d’autres dans son cas. Comme il est hors sujet d’expliquer les subtilités de partis suisses, nous nous contentons d’expliquer que le PRG est l’un des quatre partis gouvernementaux en Suisse. Nous utilisons parfois mes fonctions de rédacteur du journal le Genevois ou le titre de Secrétaire général, sachant qu’à des oreilles communistes, ces mots peuvent signifier beaucoup.

Après une consultation, on nous répond, comme c’était à prévoir, que les autorisations de visite pour des étrangers sont à faire via le Ministère des Affaires étrangères directement au gouvernement vietnamien. Les deux heures passées devant la prison nous permettent de constater que tous les gardiens se déplacent avec des motos d’une cylindrée nettement supérieure à la moyenne. De là à penser qu’ils disposent de revenus importants, il y a un pas que l’on peut franchir sans trop de peine.

Debriefing sur la visite

A la sortie du mari, nous apprenons que la visite a été tendue : informée de notre présence à la porte et du soutien international qui lui est apporté, Mme Tran Khai Thanh Thuy était très heureuse et très remontée, s’emportait contre les raisons de sa détention, contre les gardiens, contre sa condamnation. Comme à chaque visite. Il semble que son caractère très fort lui permette à la fois de mener son combat mais lui rende aussi la vie difficile.

Un point important du déroulement de la visite familiale : deux fonctionnaires y assistent et notent tout ce qui est dit. Ils en dressent un pv qui est signé par le visiteur et le détenu avant leur départ. C’est une modalité de visite que je n’avais jamais rencontrée pendant 15 ans de visites de prisons avec le CICR.

Importance du soutien extérieur

Mme Tranh Khai Thanh Thuy est très reconnaissante à la communauté internationale, à la diaspora vietnamienne et à ses visiteurs du jour pour le soutien. Selon son mari, elle en repart renforcée dans sa lutte. La communauté vietnamienne de Suisse romande lui fait également parvenir des fournitures médicales et des médicaments qu’elle n’obtient pas en détention.

Pendant les quatre heures que dure le retour, nous apprenons encore que tous les détenus ont droit à un appel téléphonique, sauf les trois détenues politiques. Motif : ce droit est lié à la bonne conduite, ce qui inclut, au sens vietnamien du terme, la reconnaissance de ses fautes, ce que les politiques ne font pas bien entendus.

Pour la petite histoire, M. Do Ba Tan a passé toute la journée dans un polo « les Radicaux de la ville de Genève » du plus bel effet , casquette du parti vissée sur la tête. Certainement une première.

Samedi 9 octobre : familles et manifestation

Le samedi, nous avons rendez-vous une fois encore dans un lobby d’un grand hotel, un endroit où, pense-t-on, la sécurité hésiterait à intervenir. Nous recevions trois femmes et un homme qui sont des proches parents de personnes détenues depuis septembre 2008. A cette date avait lieu un sommet de l’Organisation des Etats de l’Asie du Sud-Est (ASEAN dans son acronyme anglais). Les quatre, écrivains, blogueurs, enseignants, ingénieurs, ont diffusé de l’information « préjudiciable au Parti, à l’Etat et au Peuple vietnamien », une infraction très grave selon le code pénal pour laquelle ils ont tous été condamnés à des peines entre 3 et 6 ans de détention, assortis de périodes probatoires de plusieurs années. Des manifestations ont également eu lieu lors du passage de la flamme olympique à Hanoi avant les jeux de Pékin. Nous avons rencontré les personnes suivantes :

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  • Mme Nguyen Thi Nga, épouse de M. Nguyen Xuan Nghia, écrivain, détenu
  • Mme Ly Thi Tuyet Mai, épouse de M. Vu Hung, enseignant, détenu
  • Mme Nguyen Thi Huyen Trang, épouse de M. Pham Van Troi, ingénieur, détenu
  • M. Ngo Duy Quyen, frère de M. Ngo Quynh, étudiant, détenu

Motifs d’arrestation

Des peines très dures pour des activistes qui n’ont commis aucune violence, ni contre les personnes ni même contre les biens. Plus encore : en substance, les trois revendications qui ont valu aux quatre détenus leurs condamnations sont les suivantes :

  • « l’augmentation des prix fait mal à la population »
  • « perdre les Iles Spratleys , c’est être coupable envers les ancêtres »
  • « il faut réaliser le multipartisme au Vietnam »

On le constate, rien que du lourd. Mais à y bien regarder, on comprend que les autorités le prennent mal. Jeter une ombre sur le développement économique, le principal succès revendiqué par le Parti est grave. Reprocher au régime de ne pas défendre le territoire national, c’est à la fois le mettre en situation difficile vis à vis de ses encombrants et riches parrains chinois et reprendre un thème nationaliste qui touche chaque citoyen et rendu presque anachronique l ‘accusation de trahison. Finalement, le multipartisme, c’est la négation de l’article 4 de la Constitution vietnamienne qui place le Parti communiste comme clef de voûte de tout le système, au dessus de l’Etat.

Des entretiens séparés et collectifs, on apprend que deux des détenus ont été punis de 3 mois d’isolement (24 heures sur 24) pour avoir « fait de l’agitation » au sein de la prison ». Ils auraient protesté contre le fait que leur cellule voisinait le four à brique de la prison, qu’il y faisait 41 degrés en permanence et que des émanations toxiques rendaient tout le monde malade.

Comment tordre un procès en toute légalité

On apprend aussi que les procès, en principe publics, se sont déroulés en présence de 1 seul, parfois deux membres de la famille. Les téléphones portables étaient confisqués lors de la fouille à l’entrée du tribunal. Rien d’étonnant à cela. Ce qui l’était plus, c’est que le reste du « public » utilisait fréquemment … leurs portables pendant l’audience. Une claque très probablement constituée de policiers en civil auxquels la fouille ne s’applique pas. Les plaidoiries des avocats étaient fréquemment interrompues par ce même « public ». Il n’est pas rare que le volume de la sonorisation du tribunal baisse de plusieurs crans dès qu’un avocat s’exprime. L’un d’eux a même quitté l’audience faute de pouvoir s’exprimer. La presse officielle n’a rapporté que les condamnations rendues.

Des familles sous pression

Les familles des détenus sont surveillées, souvent suivies. Le fils de l’une d’elle, étudiant à la faculté de géologie a été contraint de signer un document au terme duquel il s’engageait à ne pas manifester comme son père pendant les festivités d’octobre 2010.

D’abord effrayés par cette rencontre puis plus à l’aise après une heure d’entretien, nos quatre contacts ont été heureux d’apprendre que d’autres, à l’étranger allaient continuer leur soutien. Divers cadeaux et documents leur ont été remis, donc des exemplaires du Genevois relatant la pose d’une stèle aux boat people au Grand Saconnex au printemps 2010 en présence de François Longchamp, président du Conseil d’Etat de Genève.

Rendez-vous à midi

Nous avons été avisés par un contact hors du Vietnam que nous ferions bien de nous trouver à midi en un point du centre de Hanoi, à proximité des préparatifs des célébrations du lendemain. Vers 12h05, des dizaines de jeunes et quelques adultes ont sorti des t-shirts bleus frappés de slogans en grosses lettres blanches aux couleurs du parti d’opposition Viet Tan. Nous nous sommes mêlés aux manifestants et aux curieux avec certitude que la police allait intervenir très rapidement. Nous avons été pris en photo avec les manifestants et avons tourné plusieurs vidéos de la scène qui permettront de faire savoir ce qui s’est passé.

A noter que les thèmes choisis étaient des moins contestables : le Parti Viet Tan commémore le millénaire de Hanoi et informe la population de la menace chinoise contre l’intégrité nationale (défense des Iles Spratleys). Nous avons filé après une dizaine de minutes afin de mettre à l’abri les images prises sur place. Les visages n’étaient pas encore floutés, la saisie par la de telles images pouvaient causer des dommages aux participants et à leurs familles.

A l’intérieur d’une manifestation illégale

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Plusieurs dizaine de policiers en uniforme et en civil police sont intervenus avec une certaine mesure, saisissant le matériel de propagande. Deux correspondants des agences internationales de presse sont sur place assez rapidement et réalisent quelques interviews. Pas de violence constatée, ni d’arrestation sur le moment. Un suivi policier devrait être donné après les célébrations du week-end, une fois les quelques correspondants repartis. Nous tenterons de rendre compte des conséquences pour les manifestants ces prochains jours à travers les réseaux sur place.

C’est une chose étrange que de se retrouver au milieu de gens qui ont le courage de risquer beaucoup pour un idéal. On mesure mieux à quel point une vie peut rapidement basculer. A quel point aussi nous jouissons en Suisse d’une situation privilégiée où le pire ennemi de l’activisme est l’indifférence. On ne peut que rendre un immense hommage à ceux qui ont fait ce choix, d’autant plus quand ils le font sur un mode non-violent. C’est la seule condition que nous avions mis à notre présence à cet endroit : nous ne voulions pas participer à quelque chose qui serait contraire à ce qu’admet le droit international dans le domaine de la liberté d’expression et de son exercice. Nous n’aurions pas cautionné des destructions et moins encore des violences.

Pour suivre la situation : le site internet http://www.viettan.org/

Nous avons appris dimanche que Mme Vo Hong, une militante de nationalité australienne avant été arrêtée à l’aéroport juste avant son embarquement. On est pour l’instant sans nouvelles.

Pour des raisons de sécurité, un rendez-vous avec une avocate très menacée par la sécurité a été annulé dans la soirée. De même il a été décidé d’éviter toute communication publique avant notre sortie du pays dans la journée de dimanche.

Economie et corruption

Malgré l’idéologie collectiviste, la plupart des Vietnamiens suivent la piste du chacun pour soi. Chaque fois que c’est possible, les prix sont gonflés et pas uniquement pour profiter d’un étranger riche et supposé naif. La pratique a cours à chaque instant. Même lorsqu’il s’agit de donner un coup de main pour dégager un véhicule en panne au milieu de la route, les passants négocient la récompense avant d’agir et menacent de remettre la voiture dans sa position initiale s’ils ne sont pas payés à satisfaction.

Les prix des hôtels et les tarifs usuels tels que le parking pour un motocycle ont été multipliés d’un facteur 3 à 10 à la fin de le semaine de festivités. Les taxis ne prennent plus de clients sur de petits trajets. Selon nos contacts locaux, la corruption absorbe environ la moitié des bénéfices de toute activité, une pratique dénoncée par plusieurs opposants incarcérés.

Dimanche 10 octobre

A Hanoi depuis presque une semaine, nous n’avons pas vu un seul mendiant, pas un enfant des rues, aucun sans abri, pas de cireur de chaussure. Vérification faite, il semble qu’ils aient tous disparu la semaine précédente. D’ailleurs, le chef de la police revendique fièrement ce cadeau offert pas ses services à la ville de Hanoi pour ses 1000 ans. Pendant la semaine, il ne semble pas que les touristes internationaux aient afflué vers la capitale. La baie de Halong continue de concentrer l’attention d’un tourisme international tant européen qu’intra-asiatique.

Une cérémonie colorée, grandiose, futile et en plastique…

Nous avons suivi à la télévision une partie de la retransmission de la cérémonie officielle qui a eu lieu dimanche matin 10 octobre entre 7h45 et 9h. Interrogé sur cet étrange horaire, un contact s’en tenait à un narquois « l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt ». La vraie explication est probablement qu’il serait impossible de rassembler les dizaines de miliers de participants en milieu de journée. Le trafic ne le permettrait jamais. Ce n’est pas non plus pour préserver la fraicheur des banderoles et chars fleuris. Pas de risque de ce côté-là, tout est en plastique…

Rolin Wavre
Secrétaire général du Parti radical genevois

Hanoi / Singapour / Genève, 4-11 octobre 2010.

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